#25
- J'ai imaginé une choré très simple, ne t'inquiètes pas, me dit-elle avec douceur. Ça s'imbrique bien dans la scène qu'on va jouer. J'ai modifié le dialogue de fin pour intégrer la danse : on va finir notre chamaillerie en défi. Je te provoque, et tu finis par céder à mes avances.
- À tes... avances ?
- Oh... (elle rougit) Non, le choix des mots est mauvais. À mes attaques, plutôt.
- … Ok.
- Voilà. Je n'ai pas inventé grand chose, ça ressemble à ce qui s'est réellement passé après tout.
- Si tu le dis...
- Non ?
- Dans la vraie vie, je ne suis pas vraiment du genre « défis ».
- D'accord mais, de toute évidence, tu n'as fait que céder à mes demandes depuis le début de nos préparatifs.
- J'ai un peu peur de la prochaine, d'ailleurs.
Elle étouffe un rire.
- C'est le strip-tease.
- Ah. C'est bien ce que je craignais.
- Tu en as déjà fait ?
- De quoi ? Des strip-teases ?
C'est quoi, cette question ? Elle n'est pas sérieuse, hein ?
- Pas devant cent vingt invités à un mariage, non, jamais.
- Tout comme jouer du théâtre ou danser. Ce sera la journée des nouvelles expériences !
- … Tu te fiches de moi, Victoria, hein ?
Elle sourit coupablement.
- Hum, tu aurais de quoi diffuser la musique ?
- Oui, bien sûr ! Tiens, tu peux connecter ton portable ici.
Elle s'exécute, et je l'observe silencieusement. La musique cubaine résonne dans le salon. On avait convenu de se retrouver chez moi, parce qu'il y a plus de place pour se mouvoir, et l'espace disponible se rapproche probablement de ce qui sera à notre disposition dans la salle du mariage.
Tout en se balançant en rythme, elle porte la main à ses cheveux et les relâche, quitte ses ballerines et récupère des sandales à talons dans son sac. Je l'observe avec avidité enfiler sa chaussure gauche, serrer la bride délicatement, et, en équilibre, faire de même pour la droite. Enfin, elle se redresse, et les six centimètres qu'elle gagne donnent un galbe à ses jambes qui me laisse pantois. Mes yeux caressent ses mollets délicats, le creux à l'arrière de ses genoux, la naissance de ses cuisses qui s'évanouissent sous les volants de sa robe. Je m'arrête à ce niveau, faisant taire le chuchotis des promesses provenant du reste de ses courbes. Un peu de décence, Oscar !
Je sens son regard sur moi, et échoue dans ses yeux curieux. Le rose lui monte aux joues, et je sens qu'aux miennes aussi.
- Je... Tu... vas danser avec ça ?
- Aujourd'hui, oui. Le jour J, j'aurai neuf centimètres.
- Neuf ?! Oh... waouh.
- Je serai de ta taille, je crois !
- Oui... Je n'aurai pas de talons, personnellement...
Elle pouffe de rire.
- Mais, ça va aller ?
- Ce sont mes sandales de danse. Je ne m'entraîne qu'avec ça.
- Ah. D'accord.
On s'évalue en silence. Je comprends à ce moment qu'il va me falloir des ressources pour rattraper mes pensées qui se retrouveront bien rapidement volages. Le tennis. Ma sœur. La fonte des glaces en Arctique. Qu'importe, pourvu que je réussisse à rester focus sur notre objectif du jour : enchaîner une scène de comédie et un morceau de salsa à peu près potables pour épater nos mariés d'Août. Tu peux le faire, Oscar. Tu vas le faire.
- Tu viens ? On s'y met ?
- Oui, oui ! Bien sûr.
Je me place face à elle, et écoute religieusement tout ce qu'elle m'explique. Les pas, simples pour la plupart. Des tours, des échanges. Puis, les quelques pas plus complexes qu'elle a imaginé. Elle me les montre, les détaille, et quand je m'y essaie, elle me guide. Elle a raison : ce n'est pas bien compliqué. On s'entraîne un long moment, au ralenti. Mais je vois bien que danser la démange. Je veux dire : danser pour de vrai.
- Tu veux qu'on s'entraîne en temps réel ?
- Tu le sens comment ?
- On essaie.
- De toute façon, la salsa est une danse intuitive. Je ne vais pas t'ordonner quoi faire, je voulais juste qu'on voie ensemble ces petits trucs mais après... c'est l'homme qui mène, normalement.
- Mmm. Un meneur, c'est tout moi !
Elle me regarde avec curiosité, et je lui réponds en un sourire. Elle doit commencer à me connaître, je suppose : elle devrait sentir que ce n'est pas le cas.
- Bien, bon...
Je démarre, je mène, et elle me suit.
Combien de temps avons-nous dansé, en réalité ? Je n'en sais rien. Je sais juste qu'elle était là, devant moi, toujours aussi aérienne, toujours aussi gracile. Qu'elle glissait sous mes doigts comme une douce caresse. Que c'était facile de la mener, parce qu'elle effectuait ces mouvements comme on respire. Qu'elle se déhanchait magnifiquement, qu'elle tournait comme une valseuse. Que sa main se posant succinctement sur mon épaule m'électrifiait, et que parfois, lorsque nos corps se frôlaient, son parfum aussi dansait avec nous. Je ne sais pas s'ils dansent la salsa, en Arctique, mais j'ai beaucoup pensé à leurs glaciers.
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