#26
- Un café ?
- Plutôt un rafraîchissement
Excellente idée, de se rafraîchir. J'ouvre la baie vitrée, lui proposant de s'installer sur la terrasse alors que je file chercher de quoi nous sustenter. Je traîne un peu dans la cuisine. Juste histoire de respirer. Seul. Cette séance d'entraînement me bouscule comme une bille dans un flipper.
- Oh ! Qu'est-ce c'est ?
Son visage s'illumine alors qu'elle repère le paquet que j'ai déposé entre nos deux verres et nos glaçons.
- Ouvre ! C'est pour toi.
Elle trépigne comme une gamine. Ça m'amuse.
- Ohlàla, c'est coloré dis donc ! … Ah ! Tu rapportes ça de Paris !
- Oui. Ce sont des macarons. C'est très étrange à manger : la coque est craquante mais l'intérieur fondant, et tu as une crème à différents goûts au centre. T'en trouves partout en France.
- Ooooh... (elle observe les couleurs) Eh bien, on va choisir au hasard... Ceci !
Je me penche sur la boîte et lui traduit le parfum :
- C'est à la violette.
- Ah ? Tu les connais par cœur ?
- Non... C'est écrit ici.
- … Tu lis le français ?!
- À peu près... Hum. Alix est française. J'ai appris la langue avec elle.
- Alix ? La mère de ton fils ?
- C'est ça.
- Elle est française !
J'approuve alors qu'une drôle d'expression fascinée la traverse.
- Tu l'as rencontrée en France ?
- … Euh, non. On s'est rencontrés à Barcelone, quand je travaillais encore au Centre de Formation de la Fédération. Elle terminait ses études en Espagne.
- Elle bosse dans le droit, c'est ça ?
- Oui... elle est juriste. Dans le domaine de l'édition.
- Oh ! J'adore !
Son enthousiasme me décroche un sourire. Je n'ai pas de mal à imaginer qu'elles puissent bien s'entendre, toutes les deux.
- Et... Vous avec l'air amis ?
- Oui.
- Cool. C'est pas souvent le cas, après une séparation.
- Non. Et on a fait des efforts pour que ça le devienne. Mais ça en valait la peine : aujourd'hui, on a une chouette relation, et Andreas me semble heureux au milieu de nous.
- Elle vient souvent ici ?
- À chaque fois que les Français sont en vacances scolaires, elle accompagne Andreas ici. Je m'organise pour être présent, et je passe la semaine avec lui pendant qu'elle télé-travaille. Parfois elle passe du temps avec nous aussi. On se voit tous les deux mois.
- Elle loge chez toi durant ce temps ?
- Oui, à l'étage. C'est plus simple. C'est presque chez elle aussi, si on veut : on avait acheté cette maison ensemble à la base.
- Oh. Je vois. C'est chouette pour vous si ça se passe bien comme ça.
- Oui. J'apprécie que l'on puisse avoir une relation aussi simple. Pour Andreas, c'est essentiel. Déjà qu'il a une situation atypique, autant ne pas ajouter du compliqué dans l'affaire. Mais, bon, je ne vais pas t'embêter avec mes histoires.
- Ça ne m'embête pas du tout, au contraire ! Ça me fait plaisir que tu me racontes tout ça. Je t'apprécie, j'aime bien... connaître qui tu es.
- Ah ?
- Ben, oui... non ?
- Je ne sais pas...
Cette toute petite phrase me rend fébrile. Ça n'a rien d'incroyable, qu'elle veuille me connaître un petit peu, et pourtant... Je me sens déstabilisé. Déjà que la danse m'avait pas mal troublé. Allons, allons, Oscar, reprends-toi : qu'est-ce que ce trouble digne d'un ado de seize ans ?
- T'es pas du genre à beaucoup parler de toi, hein ?
Il y avait de la contrariété dans son intonation.
- Non, pas vraiment, non. Je ne suis pas quelqu'un de très intéressant, de toute manière.
- Quoi ? Tu penses vraiment ça de toi ?
- Ben... Je suis extrêmement banal, tu sais.
- Oui, tu as raison : vivre à Oviedo mais travailler à Madrid, écumer le pays en suivant des équipes de tennis, participer à Roland-Garros, avoir un fils quelque part en France et vivre un mois sur deux avec son ex, c'est la vie d'à peu près tout le monde !
Elle rigole de son constat, mais moi, il me met mal à l'aise.
- Oui, d'accord, j'ai une vie un peu atypique, mais ce sont pour la plupart des événements qui arrivent à moi sans que j'y fasse grand chose.
- Oh oui. C'est « pas grand chose », tout ça. T'es drôle, Oscar !
Elle secoue la tête avec amusement. Je ne sais pas pourquoi, ses dernières répliques m'agacent. Si je n'ai déjà pas l'habitude de parler de moi, j'en ai tout à fait perdu l'envie, désormais. Je prends mon verre et le vide doucement en louchant sur la piscine. Le fait est que ses propos me vexent comme un idiot. J'en suis presque à désirer qu'elle s'en aille, désormais.
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