#27
- J'ai super hâte, Papa !
- Moi aussi, Andreas, moi aussi. Tu me manques.
Je suis ponctuellement de retour à Madrid pour y accueillir mon fils demain. Une fois n'est pas coutume, ce ne sera pas Alix qui accompagnera Andreas durant le voyage, mais sa timbrée de meilleure amie. Elle avait rencontré María lors de son année de Master en Espagne, et s'était lié d'une amitié inébranlable avec cette folle furieuse devenue, depuis, avocate. Lorsque l'on s'était séparé, María s'était installée à Nantes avec Alix et Andreas, formant une colocation cocasse durant quelques années et obtenant auprès de mon fils l'honorable statut de « marraine de cœur ». Aujourd'hui encore, je supporte difficilement cette grande bécasse excentrique au caractère strictement opposé au mien, mais vu l'importance qu'elle a dans la vie de mon fils et l'une de mes plus proche amie, je prends sur moi à chaque fois qu'il me faut croiser son chemin.
Je boucle les dernières formalités administratives pour mon voyage au Brésil. Pas besoin de visa pour un séjour si court, mais autant avoir des documents à jour et fiables sur soi. En parallèle, je suis les élucubrations de Luigi à propos de l'enterrement de vie de célibataire : si je l'avais écouté, vu ce qu'il a proposé depuis le début, nous aurions eu besoin de 3 semaines pour tout faire. Heureusement que je pratique ce garçon depuis ma plus tendre enfance : avec les années, j'ai appris à dompter son enthousiasme débordant, nous évitant bien des fois pas mal d'ennuis au passage. Quand je dresse le tableau du futur week-end de débauche, je ne suis pas mécontent : nous passerons deux jours à Madrid, logerons dans un hôtel que Luigi nous a dégoté – son carnet d'adresses légendaire nous donnant accès à presque n'importe quoi, « il suffit de demander » – ferons une très traditionnelle tournée des bars rue Cava Baja. J'ai réussi à échapper à une soirée en boîte de nuit : je déteste ces endroits et n'y ai jamais vécu la moindre expérience positive – je dirais même que... je préfère oublier tout ce qui a pu m'arriver en soirée boîte avec Luigi. Le dimanche, les garçons ont opté pour une matinée sans programme – autre que celui de décuver – puis un parcours de golf – durant lequel je risque de les surclasser, comme à chaque fois que l'on s'essaie à quelque chose d'un minimum sportif.
Je me cale dans le fond de mon canapé et observe vaguement par la fenêtre. Les jours sont longs, désormais. Je soupire : la vue depuis mon logement madrilène est triste et bétonnée. Je n'aime pas plus vivre ici que j'ai été indifférent à vivre dix ans à Barcelone. Mon cœur est à Oviedo depuis toujours, et rien ne le fera battre aussi fort que là-bas.
Un « plop » me tire de mes songes.
« de : Victoria
message : Salut ! Comment vas-tu ? J'étais avec Nina et Cisco ce soir, et ils m'ont appris une étonnante nouvelle... Tu pars au Brésil en Août ? C'est vrai ? »
Merde. Je me frotte les yeux en soupirant : la semaine dernière, Victoria est partie dans une ambiance un peu froide, et je n'avais pas eu envie de lui parler de ça après ses remarques désobligeantes. Sauf que je savais que c'était une mauvaise idée, cette rétention d'information. Évidemment qu'elle allait finir par le savoir. Il FALLAIT qu'elle le sache, même, puisqu'à la base nous avions prévu de nous voir en Août pour peaufiner nos projets.
« de : Oscar
Salut ! Ça va bien. Oui, je pars presque trois semaines. »
« Victoria
Ah bon. Ça bouscule un peu nos prévisions de répétitions... Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ? »
« Oscar
Pourquoi discute-t-on par sms plutôt que s'appeler ? »
« Victoria
Je ne veux pas te déranger. Tu es peut-être avec ton fils. Ou en tournoi. Ou dans un pays à l'autre bout de la planète. Ton emploi du temps est un mystère pour moi. »
« Oscar
Je suis seul chez moi. »
« Victoria
Ah ! Je pourrais même venir, alors. »
« Oscar
Chez moi à Madrid. »
« Victoria
Ah. Évidemment. Tu vois. »
Allez, ça suffit. J'appuie sur le téléphone vert.
- Oscar ? Salut...
- Salut, Victoria. Tu vas bien ?
- Oui ! Enfin... je suis un peu perturbée par ce que je viens d'apprendre.
- Oui, hum. Désolé, j'ai été un peu bousculé, ça m'est sorti de l'esprit.
- Oui, oui. Bien sûr. Un voyage au Brésil qui tombe du ciel, ça bouscule.
- Je ne sais pas ce que t'ont raconté Cisco et Nina, mais ça m'est littéralement tombé dessus, oui.
- Ok. Je pensais qu'on connaissait les dates des JO plusieurs années à l'avance, moi.
- Les dates, bien sûr, mais pas les participants ! Ce n'était absolument pas prévu que j'y aille !
Son ton acerbe m'agace prodigieusement. Non mais vraiment, elle s'imagine quoi ?
- Nina a adoré me l'apprendre. … J'ai eu l'air idiote.
- (je souffle) Je suis désolé, Victoria, j'aurai dû t'en parler bien sûr, c'était nul de ma part...
- Ça a donné de l'eau à son moulin, tu sais.
- C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire qu'elle était ravie de me répéter à quel point tu étais peu impliqué et nonchalant, et combien la description qu'elle m'avait faite de toi était juste.
Je maugréé. Ai-je le droit, en tant que témoin, de penser très fort que la future mariée est une peste ?
- Si elle pense qu'elle a raison, alors, grand bien lui fasse.
- Pourtant, moi, j'essaie de lui expliquer qu'elle a tort. Mais tu ne m'aides pas, sur ce coup-là. Je me suis sentie très seule avec mes arguments en papier.
- … Tu me défends devant Nina ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Parce que je trouve qu'elle a une vision de toi erronée. T'es pas du tout je-m'en-foutiste et indifférent, au contraire ! On leur prépare un mini spectacle, tu apprends ton texte, tu fais l'effort de le jouer correctement, tu acceptes d'affronter ta timidité pour danser, tu répètes, tu écoutes ce que je te conseille, tu es attentif à mes propos... le garçon que j'ai rencontré n'est pas celui dont Nina m'a parlé, non ! Ça me fout les boules qu'elle se méprenne autant...
Je reste stupéfait. Cette avalanche de jolis mots, je ne l'avais pas anticipée. C'est vrai que je fais tout ça. Est-ce si incroyable ? Le malaise est palpable.
- Hum hum, oui... Merci, mais tu sais, c'est pas...
- … grand chose ?
Je soupire. Bordel de bordel, on ne va pas remettre ça ?
- C'est leur mariage, je suis témoin, je peux bien faire tout ça pour eux, quand même !
- Il n'y a pas que pour eux ! Tu essuies tes chaussures à chaque fois que tu entres chez moi, tu m'apportes toujours quelque chose depuis que je t'ai dit que j'avais un faible pour les sucreries, tu ne bois jamais avant que je ne sois prête à le faire aussi, tu me tiens la porte quand j'entre ou sors de chez toi, tu me demandes avant de prendre ma main quand on danse. C'est pas grand chose, encore ?
- Euh... je... ne sais pas.
Bordel... c'est quoi cette liste ? Je fais vraiment ça, moi ? Et ça a tant d'importance que ça ?
- Elle te critique alors que son futur mari ne lui fait pas le quart de tout ça !
- Ah... Tu sais, tu ne devrais peut-être pas t'énerver pour si peu.
- Pour si peu ?
- Je veux dire, je suis juste l'autre témoin. Tu devrais n'en avoir rien à faire de ce que Nina pense de moi.
- … Je devrais ?
- Je crois que oui...
- Ah. D'accord.
Un long silence s'en suit. Je songe que cette fois-ci, elle n'a certainement pas les joues roses. Je me demande même l'expression qu'elle a, en ce moment.
- Bon, du coup : on essaie de se caler des moments pour répéter ?
- Oui. Je suis disponible tout Juillet, Victoria. J'aurai Andreas avec moi mais, il est grand, il peut s'occuper un peu seul. Ou aller chez ma sœur avec ses cousines.
- Et ton ex... euh pardon, Alix ?
- Exceptionnellement, elle ne sera pas présente.
- D'accord. Bon. Je regarde mes soirs de repos ?
- Dis-moi.
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