#33
Le mois de Juillet fut agréable, quoique toujours trop vite lorsqu'il s'agissait de passer du temps avec mon fils. Si je m'étais interrogé sur notre capacité à être tous les deux autant de temps sans sa mère, la réponse fut limpide : il n'y avait pas de sujet. Comme depuis toujours, les choses sont fluides et évidentes entre lui et moi. Il me ressemble tellement que je sais qui il est et comment faire avec lui, autant qu'il sait qui je suis et comment faire avec moi. C'est éminemment satisfaisant.
Ce vendredi marquait le triste moment de la séparation. Alix avait pu se dégager trois jours pour rester auprès de nous, et être présente pendant le vol retour. On se disait qu'on essayerait de se revoir à mon retour du Brésil – l'anniversaire d'Alix étant mi-Août, elle appréciait le fêter sous le soleil espagnol.
Je serre fort mon fiston dans mes bras, devant la porte d'embarquement.
- J'ai pas envie de te laisser, Papa !
- Moi non plus, niño.
- Reste avec nous !
- Tu sais bien, Andreas. C'est pas si simple. Et je suis occupé ces trois prochaines semaines.
- Tu nous téléphoneras de là-bas hein ? Tu nous filmeras le village olympique, et le stade, et la ville, et tout ça ?
- Oui, oui. Je vous inonderai de films et de photos.
- Tu feras une photo avec Nadal ! Les autres vont être verts au club !
Je me marre. Le poids des idoles sur l'imaginaire des enfants, c'est beau. C'est lourd aussi, parfois. De mes trente-cinq ans, je me rends compte que j'en ai relativement rien à faire de passer quinze jours dans la même piaule que Rafael Nadal – tant de gens voudraient m’étriper s'ils savaient ça.
Alix s'avance et m'enlace aussi. À voix basse, elle me glisse :
- Merci Oscar. Andreas est enchanté de son séjour oviédan.
- Pourquoi merci ? Il n'y a rien de plus normal.
- Merci d'être toi, andouille. Et d'être un si super père pour lui.
- Je suis absent 80% du temps. Je suis un père fantomatique, Alix.
- Faux. Tu ne prends en compte que ta présence physique. T'es pas absent pour autant au quotidien. Tu réponds dès qu'on a besoin de toi. Mais tu ne cesseras jamais de te flageller là-dessus, hein ?
Je hausse les épaules. Est-ce la peine de répondre ?
- Le jour où, adulte, Andreas te diras droit dans les yeux que tu as été génial, promets-moi d'enfin y croire.
Je ne réponds pas non plus. Elle sait ce qu'elle fait : elle sait où elle tape et combien ça me bouscule. Alix est comme cet adversaire qui vous colle un revers toujours dans cet angle mort qui est votre faiblesse, avec une précision d'orfèvre : dix fois la balle vous filera entre les doigts, parce que c'est trop bien placé, et vous n'y pouvez rien. Peut-être que la onzième fois, vous réussirez à récupérer, mais rien n'est moins sûr.
Elle sourit, fière d'elle, comme de bien entendu.
- Allez, vamos ! L'avion vous appelle.
- Amuse-toi bien ce week-end, et à Rio aussi. Profite. Et on se dit à dans trois semaines ?
- Yep. Merci, Alix. À dans trois semaines. Bon vol.
- Bisou, P'pa !
- Bisou mon grand !
- Bye, Oscar !
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