#35

2 minutes de lecture

 J'observe avec amusement les têtes de déterrés qui se pointent dans l'espace cuisinec ce matin - enfin, ce midi.

  • Yo Oscar, la forme ?
  • Ça peut aller.
  • La vache, le petit dej ! C'est toi ça ?
  • Yep.
  • Mec, t'es un héros.

 Je leur adresse un clin d’œil. Il en faut peu pour accéder au statut de héros : en l'état, avoir osé se lever avant les autres, avoir cuisiné des peufs brouillés, fait frire des churros et avoir préparé un chocolat pour les y tremper.

  • T'as même pas l'air dans le mal, Oscar !
  • Non, ça va.

 Vrai. Je suis resté aussi modéré que je m'étais promis, rien que pour pouvoir driver correctement la petite troupe. Aussi parce que je prends un avion pour le Brésil dans vingt-quatre heures, et que j'ai pas envie d'être un zombie complet durant la quinzaine qui va suivre. Enfin, last but not the least, parce que je tenais à contrôler ma fin de soirée. Et Dieu sait ce que je suis capable de faire, imbibé d'alcool. Il me fallait la tête froide pour garder la fille en mini-short à distance.

  • Tu vas nous mettre une race au golf. Déjà que tu pars avec une avance considérable en termes de talent.

 Ça, oui, je vais leur rouler dessus.

  • Et si on votait pour mettre des malus à Oscar ?
  • OUAI !
  • Tsss... à part lui bander les yeux ET lui attacher les mains, je ne vois pas ce qui pourrait être suffisamment efficace pour éviter sa victoire promise !
  • Regarde-le, avec son sourire de moqueur là !
  • Non, pas du tout, non.
  • Oh, arrête ! Tu vas nous défoncer.
  • Oui. Mais je vous promets que je n'en tirerai aucune gloire.
  • Quelle modestie, Oscar « pas grand chose ».

 Je souffle de lassitude vers Luigi. Nous n'aurons eu que quinze minutes de répit avant que l'Italien ne redevienne cette personne volubile et provocante que l'on connaît depuis toujours. Je m'avance vers lui.

  • Oh, mon ami... Je te sers ton café, mais fais attention : tes larmes de petit chaton vexé pourraient lui donner un goût salé.

 Depuis le temps, avec Luigi à ma droite et Alix à ma gauche, j'ai appris à jongler entre les répliques qui me glissent dessus et les balles judicieusement placées aux moments où mes deux adversaires favoris s'y attendent le moins.

 Luigi me regarde avec avanie alors que les rires fusent autour de la table, et m'arrache presque le café des mains. Je savoure cette mini victoire, qui sera courte, je le sais, avant la prochaine réplique cinglante.

  • Quelqu'un a vérifié qu'il n'y avait pas mini-short dans le pieu d'Oscar avant qu'il ne se lève ?

 Qu'est-ce que je disais ?

  • Hélas, trop tard, mon pauvre ami. Personne ne saura jamais.
  • J'suis sûr que t'as utilisé l'excuse « petit dej » pour la raccompagner en bas.
  • C'est ça. C'est pitoyable de te voir raconter absolument n'importe quoi juste pour ne pas perdre la face. Tu te ramollis, Luigi : je t'ai vu bien plus pertinent que ça.

 Il plisse les yeux alors que je mime le deux – zéro que je viens de lui coller. Finalement, il sourit. Luigi a la défaite humble : tant qu'il peut s'amuser, il accepte le risque de revers à peu près docilement. On fonctionne ainsi depuis toujours, lui et moi. Et, même si je me plains de lui, jamais je ne voudrais changer ça.

Annotations

Vous aimez lire Anaëlle N ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0