Mortelle Prophétie
Synopsis : Victor Noir, écrivain renommé, façonne son destin macabre à travers un roman autobiographique où il prédit sa propre mort. Lorsque son corps est découvert dans une ruelle sombre, l’officier chargé de l’enquête réalise que chaque indice était minutieusement orchestré par Noir lui-même. Toutefois, la victime n’avait pas anticipé sa propre fin.
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La vie, une sphère qui nous enveloppe, où une minuscule erreur peut nous propulser vers notre destin funeste. Durant ma carrière d'inspecteur, j'ai été témoin de nombreux meurtres, certains plus étranges que d'autres. Des vies éteintes pour un simple billet d'un dollar, des drames liés à des histoires d'amour, des malentendus anodins, des motifs insignifiants. Cependant, l'affaire dans laquelle je m'apprêtais à plonger était inédite pour moi.
Peut-on prédire sa propre mort? Peut-on détailler son propre assassinat par écrit? Victor Noir, le célèbre romancier, maître des mots, avait achevé son dernier ouvrage il y a des mois, un roman qui retraçait non seulement son parcours depuis l'enfance, mais décrivait également son propre meurtre. Une première dans le monde des mystères que j'avais l'habitude de résoudre. Découvert assassiné dans une ruelle un vendredi soir, alors qu'il terminait une séance de dédicace, j'avais dirigé l'enquête.
— Victor Noir, demandai-je en découvrant le corps. Comment est-il mort?
— De plusieurs coups de couteau, précisa le policier sur les lieux . Au total, cinq dans la poitrine et trois en plein cœur. Cependant, Inspecteur Addams, ce n'est pas le plus surprenant. En tant que fervent admirateur des romans de Noir, je peux vous affirmer que sa mort était prédite dans ses écrits.
— Abon ? Il est temps pour moi de renouer avec la lecture dans ce cas. Des indices ?
— Celui qui a fait ça s'y connaît. C'est un vrai pro. Nous avons juste quelques traces de pas. Apparemment, notre tueur avait de longs pieds, environ du 45.
— Bien. Recueillez tout cela et envoyez-le au laboratoire le plus rapidement possible. Il n'y a pas de temps à perdre. Qui est-ce ?
— La fille de Noir. La pauvre. Elle est en larmes.
— Je vais aller la voir.
Emily Noir, unique fille de Victor Noir, une ravissante blonde très attachée à son père. Il avait écrit plusieurs romans à son sujet, constituant son plus précieux héritage. Elle était bouleversée, retenue par des officiers l'empêchant d'approcher le corps.
— Emily Noir!
— Mon père, laissez-moi voir mon père, je vous en supplie.
— Toutes mes condoléances, mademoiselle. Je partage votre peine. Moi, c'est l'inspecteur Addams, en charge de l'enquête. Je vous promets de trouver la personne qui a fait ça à votre père. Seulement, j'aurai besoin de votre aide et de vous poser quelques questions. Je passerai vous voir demain à la maison lorsque vous vous serez calmée. Bonne nuit, mademoiselle, et encore une fois, toutes mes condoléances.
Je me suis rendu cette nuit-là à la bibliothèque. J'ai emprunté le roman de Noir et suis rentré chez moi. Vivant dans un petit appartement, veuf, et mes enfants tous mariés. Après avoir préparé mon café habituel, j'ai enfilé mes lunettes marquées par les années et me suis plongé dans la lecture. Plus je progressais dans le roman, plus je m'immergeais dans son personnage.
Une enfance morose aux côtés d'une mère malade. Un père quasiment absent, Victor avait dû se débrouiller seul. Très renfermé, il vendait avec sa mère des petits pains et des rafraîchissements aux employés d'une usine pour subsister. À mesure que la maladie de sa mère progressait, Victor devait assumer seul le commerce. Il multipliait les revenus par de petits boulots, des services rendus à de vieilles dames. S'occupant de leurs animaux de compagnie et effectuant quelques courses pour le marché en échange de quelques sous ou provisions. D'ailleurs, l'une de ces vieilles dames, Marie, était une institutrice à la retraite. Elle consacrait une heure de son temps chaque jour à la demande de Noir, lui enseignant à lire.
Cet enfant apprenait incroyablement vite. En moins de deux ans, il commençait déjà à dévorer des romans de 400 pages. Il les empruntait chez Madame Marie et les lisait chez lui, quand sa mère réussissait à s'endormir. À 15 ans, Victor perdit sa mère, son seul repère, l'une des plus grandes pertes de sa vie. Il en voulait à la pauvreté, à la maladie, et à lui-même de n'avoir pu faire davantage pour celle qui s'était sacrifiée pour lui. — N'ayant plus de ressources pour maintenir l'appartement où ils vivaient et trop jeune pour être livré à lui-même, il fut adopté par Madame Marie. Une nouvelle réconfortante, car elle avait été sa deuxième mère et son soutien dans cette épreuve douloureuse.
Madame Marie avait une grande bibliothèque dans sa maison. Victor avait le privilège d'y accéder une fois ses devoirs terminés et lorsqu'il se montrait sage. Il adorait la lecture, surtout les romans policiers, et pouvait y passer des nuits entières. À la mort de Madame Marie, Victor, en tant que seul proche, hérita de sa maison, de ses biens, y compris sa vaste bibliothèque.
Rongé par le chagrin, sans amis ni confident, il consignait ses peines dans un carnet. Peu à peu, des histoires naquirent de son imagination, de sa vie, de ses douleurs. Avec l'argent hérité, il s'inscrivit dans des instituts littéraires, où il compléta ses études et sa formation. Noir était résolu, planifiant chaque acte, minutieusement noté dans son carnet fétiche.
À 30 ans, après avoir rencontré Caroline, sa femme et plus grande admiratrice, avec qui il eut la magnifique Emily deux ans plus tard, qui ressemblait étrangement à sa mère et qu'il chérissait par-dessus tout. D'ailleurs, il lui donna le même nom que sa mère. Peu d'années après la naissance d'Emily, Caroline succomba à un cancer du sein. Noir éleva sa fille seule, se noyant simultanément dans ses écrits.
Depuis un moment, Noir renouait avec sa passion pour les drames meurtriers, voire même y fantasmait. Il créait sans cesse des histoires de tueurs en série, de meurtriers, jusqu'à ce qu'une idée germe en lui : écrire son propre roman autobiographique, détaillant sa propre mort tragique.
Pour Noir, mourir d'une maladie, d'un accident, ou dans le silence était une mort banale, laissant peu d'empreinte dans le monde. Qui se souviendrait longtemps d'un homme mort silencieusement chez lui ou emporté par une maladie ? Les gens l'oublieraient rapidement.
Alors qu'un meurtre ferait la une des journaux pendant des mois, voire plus. Noir conclut son roman ainsi. Il aurait été assassiné par un individu masqué le traquant depuis des mois. Selon le livre, un homme grand, aux cheveux châtains, un fervent admirateur de Noir. Peut-être trouvez-vous cela étrange, mais le mobile du meurtre était l'amour. Oui, la personne coupable n'en voulait pas à Noir, au contraire, elle l'aimait. Elle désirait ardemment que son vœu le plus cher se réalise. Cette personne était son plus grand fan, ayant sûrement lu le livre dans les moindres détails. Notre assassin pouvait être n'importe qui. Tout le monde admirait Noir. Tout le monde se retrouvait parmi ses œuvres. Un homme de grande taille, avec de grands pieds !
Je refermai le roman, achevant ma tasse de café dans la réflexion. Puis, je m'endormis. Le lendemain matin, comme prévu, je me rendis au domicile de Noir, envisageant un interrogatoire avec Emily dans la bibliothèque de son père. Elle portait une robe jaune, couleur du printemps, les yeux gonflés et rouges. Elle avait probablement passé la nuit à pleurer. J'acceptai une tasse de thé, puis nous nous assîmes.
— Merci d'avoir accepté de me recevoir, mademoiselle. Je suis sincèrement désolée pour cette tragédie. Connaissez-vous quelqu'un qui pourrait en vouloir à votre père, dans le monde de l'édition par exemple?
— Oh non, je ne pense pas. Mon père était un homme exceptionnel, un écrivain de talent. Tout le monde l'aimait et le respectait, enfin je croyais. Vous devez absolument trouver la personne responsable. Je veux qu'elle paie pour tout le mal qu'elle m'inflige.
— Je vous le promets, mademoiselle. Mais personnellement, je pense que la personne qui a fait ça à votre père devrait être l'un de ses plus grands fans. Vous savez, son meurtre avait été prédit par lui-même dans son dernier roman?
— Oui, je le savais. Je lui ai dit que c'était une folie, que je n'aimais pas du tout cette fin. Cette folie, plutôt. Mais mon père était sacrément têtu. Il ne m'a pas écoutée, et maintenant, ça a attiré l'attention d'un fan psychopathe. Mon Dieu, que vais-je faire sans lui? Que deviendrai-je sans lui?
Elle éclata en sanglots, et je la réconfortai.
— Vous êtes forte, mademoiselle. Et cette force, votre père devait en être fier. Il vous aimait profondément, cela se voyait. Hier, j'ai lu l'intégralité de son œuvre. La vie ne lui a pas fait de cadeau, et il a enduré d'immenses souffrances. Sa plus grande douleur était de perdre des êtres chers. Il avait déjà perdu votre mère, et il ne voulait sûrement pas vous perdre également.
— Que dites-vous?
— Je suis au courant de votre maladie. Votre père essayait de la cacher au monde, mais cela le rongeait en silence. Votre magnifique chevelure blonde s'en ira dans quelques mois.
— Comment avez-vous su?
— Les romans ont cette magie de nous faire pénétrer dans les personnages. On vit comme eux. On pense comme eux. Eh bien, madame, selon vous, qu'est-ce qui pourrait pousser un père à supplier sa fille de l'assassiner?
— Je n'ai aucune idée de ce dont vous parlez.
— Votre père ne pouvait supporter de vivre tandis que vous souffriez, de vous voir périr alors qu’il était encore en vie. Sa volonté était de mourir, un souhait qu’il partageait avec vous lorsqu’il écrivait le scénario de son propre meurtre. Comme vous l’avez souligné vous-même, il vous avait confié son désir de quitter ce monde de la même manière que dans ses écrits. Vous, en revanche, vous étiez farouchement opposée à cette idée, animée par l’amour que vous lui portiez, persuadée à la fin que c’était la meilleure chose pour lui. Ce vendredi soir, l’homme cagoulé, c’était vous. Les traces de pas, également. À la sortie de la dédicace, vous vous êtes retrouvés dans la ruelle, comme prévu. Suppliant votre père, il vous a demandé de le poignarder… Et par amour filial, vous l’avez fait. Vous avez méthodiquement effacé les traces, suivant les enseignements de votre père. En larmes, vous êtes ensuite partie. Voilà ce qui s’est passé, mademoiselle.
Elle éclata en sanglots, acquiesçant de la tête. Je la réconfortai. Emily fut arrêtée pour le meurtre de son père, une nuit orchestrée par la victime elle-même. Elle plaida coupable d’homicide involontaire et écopa d’une peine réduite, assortie de la possibilité de suivre un traitement médical pendant sa détention.
Ainsi s’achève la prophétie mortelle de Victor Noir lui-même.
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