Chapitre 5
Écrit en écoutant notamment : Leks - Mystical Threnody [Acidcore]
Trois jours plus tard.
Normalement, c’est cet après-midi que nous devrions être mis au courant de notre sélection ou non. J’ai rarement vu Andreas dans un tel état ; pouvoir concourir serait pour lui une extraordinaire expérience, et le contraire une terrible déception. Il n’arrive clairement pas à se concentrer sur quoi que ce soit et rafraîchit constamment la page internet de la fédération bien qu’il n’y ait aucune chance que la liste soit déjà publiée. J’assiste même à un évènement surnaturel au self : cet ogre n’est pas capable de terminer la moitié de son assiette ! Avec Lucas, nous tâchons de le rassurer sans nous montrer excessivement optimistes.
Alors que je le pensais complètement absorbé par ses réflexions, Andreas se penche subitement par-dessus mon épaule. J’étais juste en train d’envoyer un message à Enzo, afin de trouver un moment pour se voir ce week-end.
— Encore Enzo ! Tu ne serais pas en train de tomber amoureux ?
— Mmh… faut avouer qu’il est pas mal, mais aucun risque, je t’assure !
— Euh… c’est qui en fait, Enzo ? demande Lucas.
— Un gars que j’ai rencontré il y a quelques semaines ! réponds-je.
Andreas, qui est déjà levé, mime des mouvements de bassin énergiques en plein milieu du réfectoire pour imager ma réponse. Lucas ne peut pas s’empêcher de se gratter la joue en signe de gêne, j’adore !
***
— Allez ! C’est qui le patron ? hurle Andreas en revenant de la pause de 15h.
Il accourt vers moi pour me donner une accolade énergique.
— On te l’avait dit avec Lucas !
— Bon, je doute passer les séries, mais je suis trop content !
— Ouais, tu vas voir, on va bien profiter de ce voyage.
— Ah bah l’Italie en même temps !
— Je suis bien d’accord, il n’avaient pas choisi la destination la plus sexy l’an passé. En Flandre, c’est quand même tout plat et assez moche.
Par acquis de conscience, je vérifie que mon nom apparaît bien : c’est tout bon ! Nous sommes d’abord convoqués pour un stage de préparation à Nice à partir de la fin de semaine prochaine, avec les autres athlètes qui représenteront notre pays.
— Et devine quoi ? s'écrie Andreas. J’ai parlé avec Marine, elle a natation dans l’heure qui vient. Donc, un quart d'heure avant la fin du cours, on se barre, et je vais réaliser votre défi stupide.
— Ah, deux bonnes nouvelles d’un coup ! réponds-je.
— J’ai trop hâte de voir ça aussi, ajoute Lucas.
Nous sommes excités comme des gamins qui attendraient la dernière sonnerie avant les vacances. Le cours suivant n’étant pas passionnant, Andreas sort son casque audio et commence un peu de montage sur sa vidéo. De mon côté, j’essaie de suivre comme je peux, encouragé par l’attitude de Lucas, qui ne perd pas une miette du discours du prof. De manière générale, seule une fraction des étudiants est réellement concernée…
Les aiguilles de la grande horloge qui surplombe l’écran de projection atteignent enfin 16h30 ; nous rangeons alors nos affaires, même Lucas, apparemment déçu de ne pas avoir la conclusion du cours. Comme l’amphi n’a pas d’issues par le haut, nous sommes obligés de passer devant le prof pour atteindre la porte, mais ce dernier, désabusé, ne fait même pas de remarque.
Nous traversons une des esplanades de la fac jusqu’à arriver à la piscine. Les baies vitrées de celle-ci nous permettent de nous assurer que le cours n’est pas encore terminé. Nous voyons même plusieurs entraîneurs longer les bords du bassin, chronomètre autour du cou. C’est absolument parfait !
Nous nous introduisons discrètement par une porte latérale en suivant un employé des lieux. Tandis que Lucas et moi nous postons discrètement contre un mur pour avoir le meilleur angle possible, Andreas dépose son sac, enlève quand même son pull et ses baskets, et se dirige d’un pas assuré vers l’eau.
Il grimpe sur un des plots de départ et se met à brailler :
— Oyez, oyez ! Voici venu en ces lieux un nouveau membre tout fraîchement désigné de l’équipe de France d’athlétisme. Rien de cela n’aurait été possible sans l’aide de Baptiste Seguin et Lucas Claren. Ils se cachent dans le coin là-bas, mais veuillez les applaudir bien fort !
D’un coup, de nombreux regards se braquent sur nous. Pauvre Lucas qui préfère souvent rester discret ! Je suis impressionné par la capacité d’Andreas à pouvoir se mettre aussi facilement dans la poche autant de monde.
— J’allais oublier… Marine, c’est pour toi ! conclut-il s’en s’élançant.
Son plongeon peu académique projette de grandes gerbes d’eau, puis il démarre sa longueur sous les rires et encouragements, aussi bien des nageuses que des entraîneurs. Il atteint rapidement le bout du bassin, en sort en hissant son corps et ses vêtement détrempés hors de l’eau, avant de lever les bras dans un geste victorieux puis de se courber pour saluer son public.
Il prend quelques minutes pour aller se changer dans les vestiaires, puis alors que nous quittons tous les trois les lieux pour le week-end, je me surprends à envisager de me faire un autre mec en plus d’Enzo dimanche.
En y réfléchissant, je commence à me demander si Andreas n’avait pas un minimum raison avec sa remarque anodine du début de la semaine : il est vrai que j’enchaîne les partenaires assez rapidement. Peut-être devrais-je calmer un minimum mes ardeurs afin de m’assurer que je n’ai aucun mal à me contrôler ; finalement, sa proposition de soirée pour samedi me change rapidement les idées. Il compte aussi faire venir Marine, et Alexia, une de ses amies.
Lucas, lui, semble tout simplement heureux pour nous deux. Quel sourire mignon !
***
Samedi soir.
— Je crois que j’ai le temps de vous battre encore une fois tous les deux, lance Andreas, manette en main.
— Allez, c’est parti, après il faudra quand même un minimum préparer l’appart, rappelé-je.
— Ouais, enfin ce n’est pas tant que ça en bordel chez moi, ça va !
— Euh… t’as encore des progrès à faire, surtout par rapport à chez Lucas.
Ce dernier acquiesce avec un sourire à mon compliment. Je me redresse sur le canapé et lance un nouveau match sur Fifa. Alors que nous nous battons de manière acharnée, Lucas passe un coup d’éponge sur la table tout en soupirant :
— Par contre Andreas, je ne sais pas forcément où tu ranges toutes les affaires, j’espère que vous aurez bientôt terminé.
Cette habitude qu’a Lucas de tout vouloir ranger, surtout lorsqu’il n’est pas chez lui, est quand même étonnante. Il prépare plusieurs bols de chips et divers autres apéritifs avec une minutie qui n’est pas forcément nécessaire pour une simple soirée chill entre potes.
Nous sommes encore en train de terminer de ranger de la vaisselle dans les placards lorsqu’on frappe à la porte.
— Je suis super content de vous voir toutes les deux ! s’exclame Andreas en embrassant successivement Marine et Alexia.
— Dis donc, l’appart est plus net que d’habitude ou je me fais des idées ? demande Marine.
— Oui, réponds-je, heureusement qu’on a Lucas !
Au cours de la soirée, nous discutons successivement de nos cours, de nos objectifs sportifs, jusqu’à ce qu’Alexia me questionne sur mes relations :
— Alors Baptiste, tu n’as pas encore décidé de te poser ?
— Non, pas vraiment, ce n’est pas trop mon truc pour l’instant ! Et d’ailleurs Andreas, t’aurais pas reçu quelques propositions depuis ta sélection ?
— Absolument aucune ! Mais je suis au-dessus de tout ça : avec Marine, on a atteint le but ultime, l’amour platonique, dit-il en lui assénant une tape sur l’épaule.
Je constate dans le regard de Lucas le malaise de savoir que la même question risque fortement de lui tomber dessus d’un instant à l’autre.
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