Chapitre 10
Écrit en écoutant notamment : Eu4ya - Sara' Perche' Ti Amo (Club Mix) [Eurodance]
« Hey ! I feel so bad for you… Are you ok now ? I’d be happy if you come, but no obligation at all ! »
Je suis en train de relire pour la cinquième fois le message envoyé par Ilya, sans savoir quoi lui répondre. Pour couper court, et comme je n’ai aucune intention de passer une soirée avec un mec, je décide simplement de désinstaller mon appli. L'inquiétude quant à ma défaillance de ce matin a tendance à me submerger et chasser toute pensée positive... J’ai passé une partie de mon après-midi à marcher dans la forêt en essayant de me détendre, mais rester seul avec ce genre de cogitations n’était finalement pas une solution.
— Baptiste, viens me voir dans la salle de réunion en bas, c’est super important !
Stéphane vient de passer en coup de vent dans la chambre alors qu’Andreas continuait encore et toujours à me rassurer. Je le laisse et descends, une boule dans la gorge. Quelle mauvaise nouvelle va encore me tomber dessus ?
Stéphane me fait entrer et ferme la porte derrière lui. Il s’empare d’une feuille remplie de chiffres et m’invite à m’asseoir à ses côtés.
— Étant donné ton malaise lors de la course, on a pu faire examiner ton échantillon du contrôle anti-dopage en priorité. Les analyses ont révélé des concentrations non-négligeables… d’amitriptyline.
— Quoi ? C’est quoi cette merde ?
— Je me le demande comme toi. Cette molécule assez commune n’est pas considérée comme produit dopant, mais fait partie de la famille des antidépresseurs tricycliques, comme me l’a expliqué un des médecins de l’équipe. Cela a de très fortes chances d’expliquer ton évanouissement ainsi que ta sensation de fatigue intense ce matin. Est-ce que tu aurais utilisé des médicaments comme du Laroxyl ?
— Non, jamais de la vie !
— Est-ce que tu aurais pu en consommer par erreur, ou à ton insu ? Apparemment, le goût est assez caractéristique ; réfléchis bien, c’est super important ! Mais la très bonne nouvelle est que tu devrais pouvoir reprendre la compétition sans aucun problème, termine-t-il avec une tape dans mon dos.
Mon sang se fige lorsque je pense cerner l’origine du problème. Il est vrai que le verre d‘eau offert par Ilya avait peut-être une sorte de pointe... très légèrement amère. J’essaie de raviver au mieux les sensations du moment, mais plus j’y pense, moins j’ai de certitudes quant à mon impression. Se pourrait-il qu’il m’ait volontairement drogué ? Difficile à croire à première vue, mais je ne vois vraiment aucune autre explication.
Je mens éperdument à mon entraîneur en affirmant n’avoir aucune piste. Il vaut sûrement mieux me taire, car je vois mal une quelconque enquête être menée ; de toute façon, je ne serai jamais repêché. Je suis surtout extrêmement rassuré de ne pas avoir un problème de santé plus embêtant. Il me semble ne plus peser que la moitié de mon poids, et le mal de tête dû au stress qui me tenaillait est en passe de s’évanouir.
— Alors, il voulait te voir pour quoi ? me demande Andreas dès que je remonte.
— Ah, rien de grave, juste pour me rassurer et me dire que ce n’est pas cet incident qui me coûtera ma place pour la suite… enfin, si tout est ok par ailleurs ! mens-je à nouveau, sachant pertinemment que le test d’effort donnera des résultats tout à fait normaux.
— Tant mieux ! Il avait pourtant l’air sacrément nerveux quand il est venu te chercher.
— Ouais…
Il ne va pas non plus commencer à m’énerver avec ses questions ! Heureusement, une proposition bien plus intéressante arrive dans la foulée :
— Du coup, vu qu’on a été aussi nuls l’un que l’autre, on a au moins l’avantage de pouvoir visiter la ville.
— Yes !
— Parfait, je regarde s’il y a des bars sympas pas trop loin.
***
Nous descendons vers vingt et une heures à pied vers le centre historique, d’ailleurs bien plus proche à vol d’oiseau que par les chemins tortueux qui y mènent.
— Mec, en fait j’ai trop envie d’une bonne pizza bien lourde, du genre mozzarella, chèvre et gorgonzola ! Pas toi ? me demande Andreas.
— Ah bah c’est le moment ou jamais ! Allez, dès qu’on en repère une sympa, c’est parti.
Nous trouvons notre bonheur sans grande difficulté et nous installons à une table en bois massif. L’endroit est déjà très animé et l’odeur de pizza terriblement alléchante. Nous tentons de commander avec un accent italien qui n’a pas l’air de transcender le serveur.
— Tu penses qu’ils passent quoi comme musique dans les boîtes de nuit du coin ?
— Aucune idée, réponds-je, enfin sûrement la même chose qu’à Paris. On peut toujours aller voir !
— Je t’aime bien quand t’es comme ça !
— Ouais, on n’a vraiment rien à perdre de toute façon…
— Bien d’accord ! Tu vas oublier cette course merdique, et on va aller s’amuser. Tu vas pouvoir aller draguer un Italiano !
— Euh… mouais. Et toi alors ? Je trouve que tu parles beaucoup ces derniers temps, mais il n’y a pas grand-chose de concret.
— Oui, mais ça m’énerve autant que toi ! Je suis surtout le mec avec qui on s’amuse bien… Alors que toi… là où tu passes, la friendzone trépasse. Faudrait que je m’en inspire.
— Mmh, pas sûr que mes approches marchent avec des meufs. Et puis sur mon appli, on n’est pas là pour se raconter notre vie… pas comme vous qui passez par trois semaines de bavardage pour espérer un date !
Nos pizzas arrivent quelques minutes plus tard. Andreas s’empare de la sauce piquante et en déverse une quantité phénoménale sur son plat.
— Oh putain j’aimerais pas être à ta place quand ça va ressortir par en bas !
— Ah… ça fait partie des règles du jeu.
***
— Bon, on dirait qu’il n'y a qu'une seule boîte digne de ce nom dans cette ville. Ça s’appelle « Club Liguria », dit Andreas. Désolé, pas de club gay !
— Ok très bien, je te suis quand même !
Nous marchons à travers les différents quartiers, jusqu’à arriver dans une banlieue qui ne paye pas de mine par rapport au lustre du centre-ville. Une courte file d’attente à l’extérieur nous indique l’adresse exacte du lieu. Deux garçons et deux filles de notre âge nous interpellent en italien :
— Ehi, ciao, non ti abbiamo mai visto qui prima d'ora !
Nous nous regardons tous les deux sans avoir compris quoi que ce soit, à part le « Ciao », qui ne nous avance pas tellement.
— We said we never saw you here, reprend un des gars.
— This is normal ! We’re from France, réponds-je.
— Oh, so nice ! On a trip ?
— We were competing in the athletics championships here in Trento. But it’s over for both of us…
— I see... so let us offer you a drink !
Nous suivons leur groupe à l’intérieur. La décoration est clairement orientée années quatre-vingts, avec plusieurs énormes boules à facettes qui pendent depuis le plafond, un bar à la façade métallique ainsi que des lumières rouges et violettes assez vives. Quant à la musique, cela ressemble à du disco à la sauce italienne ; rien de très étonnant ! Je n’ai bu qu’une bière et un shot offert par nos nouvelles connaissances italiennes, mais ai tellement perdu l’habitude que les effets euphorisants de l’alcool se manifestent déjà fort. C’est incompatible avec les exigences de la compétition à haut niveau…
Je me laisse rapidement emporter par l’ambiance festive. Andreas est en train de se faire remarquer par sa technique de danse plutôt inspirée d’un festival électro, tandis que les quatre italiens s’amusent à me faire découvrir les lieux et me raconter diverses anecdotes de soirée que je ne comprends qu’à moitié. Je m’autorise un second verre, puis finalement un troisième. Je me sens déjà tellement léger… Et si, pour une soirée, j’abandonnais quelques principes ?
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