Chapitre 20

6 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Felckin x Protokseed – One Seven [Acidcore]

Je suis finalement retenu dans mon élan par Andreas, qui accourt et me ceinture les bras.

— S’il-te-plaît, déconne pas !

J’essaye de me dégager à plusieurs reprises mais il me tient assez fermement pour calmer mes envies bagarreuses. D’autres personnes sont venues s’interposer pour éviter tout débordement et je finis par comprendre qu’il faut abandonner. Désemparé, je le suis jusqu’à chez lui, sans dire un mot.

— Bon, désolé, c’est le bordel comme d’habitude. Enfin, tu me connais…

— Ouais pas de souci, dis-je en remarquant les nombreux vêtements froissés dispersés à même le sol.

Je me laisse lourdement tomber dans un de ses fauteuils.

— C’est la merde…

— Tu l’as dit ! J’ai du mal à te reconnaître. Où est passé le Baptiste sérieux et travailleur… et qui me raconte ses diverses aventures sexuelles ?

— Je sais pas.

— Prouve-leur sur la piste que t’es le meilleur ! Comme tu l’as toujours fait ! Et finalement, je suis d’accord avec toi : on s’en fout de Stéphane, tu cours pas pour lui.

— Ouais, je sais bien ! Je comprends pas ce qui a pu changer ; c’est comme si j’avais perdu… toute ma confiance en moi.

— S’il faut, oublie aussi Lucas et vas te faire plaisir comme t’en as l’habitude.

— Pourquoi pas…

— T’es pas obligé non plus, si tu l'aimes... réellement. J’ai juste envie de te revoir à fond à l’entraînement, comme avant !

— Merci... je vais vraiment essayer, dis-je sans grande conviction.

— Allez, on mange quelque chose ?

— Chaud !

Nous entreprenons d’abord de laver les assiettes qui traînent dans l’évier. Comme nous sommes tous les deux nuls en cuisine, et que nous n’avons surtout pas la patience de faire attendre nos estomacs, nous nous rabattons sans plus de réflexion sur le sachet de riz que nous dénichons au fond du placard.

— Sinon, je viens d'avoir une super idée, par rapport à Alexia ! Faudrait que je lui propose de tourner une vidéo ensemble, sur un sujet qui peut l’intéresser. Tu saurais quoi ?

— Euh… je la connais pas forcément plus que toi, réponds-je en réfléchissant. Mais... vous pourriez faire des sortes de micros-trottoirs à la fac, je suis sûr que t'es capable de trouver des questions bien débiles et amusantes à poser aux étudiants.

— En vrai… pas trop mal ! À mon avis, aucun souci pour trouver des sujets croustillants et faire tourner en bourrique quelques étudiants.

— Et après, t'inviteras Alexia chez toi pour lui montrer tes talents de monteur, mais pas que…

Nous éclatons simultanément de rire, avant de nous regarder dans les yeux en sentant l’odeur de brûlé qui arrive à nos narines.

— Oh merde ! hurle Andreas en se retournant.

Le coin de serviette que nous avons coincé sans faire exprès entre la plaque et la casserole est tout simplement en train de prendre feu.

— Va ouvrir la fenêtre ! Je m’occupe du feu ! dit-il.

Nous parvenons à régler l’incident sans avoir déclenché l’alarme incendie, ce qui est un miracle en soi. J’ai déjà tellement pourri l’idiot qui l’avait activée à 4 heures du matin une veille de compétition que j’aurais eu honte d’être responsable d’un incident similaire.

***

Sur le chemin du retour vers mon appartement, je suis repris par mes doutes. Le point de non-retour approche dangereusement… Je n’arrive pas à comprendre comment je peux m’enferrer de la sorte dans des comportements de plus en plus irrationnels. J’ai l’impression de faire face à un mur insurmontable, hérissé de barbelés, dont je n’arrive même pas à cerner l’étendue ou la consistance. Par où démarrer ?

2h55 du matin.

Je passe le dernier virage et aperçois au loin la ligne d’arrivée, mon but ultime. À nouveau, comme dans une malédiction qui se répète, mes jambes défaillent, j’ai beau pousser de toutes mes forces sur le sol, chaque mètre franchi est de plus en plus douloureux. Une chaleur brûlante vient irradier mon corps pendant quelques courtes secondes avant de laisser place à un souffle de mort qui s’infiltre dans chacune de mes veines, chacun de mes os.

Il dévore toute sensation sur son passage, me paralysant d’angoisse. Mes jambes cèdent définitivement et je m’effondre misérablement, attendant que la vague glaciale atteigne mon cœur et abrège mes souffrances. Personne ne pourra me sauver. Ma respiration se bloque, puis mes battements cessent ; je panique pendant de longues secondes comme un malheureux qui se noie, un poids attaché aux chevilles l’éloignant inexorablement de la surface et de sa lumière vitale. Tout se fait noir pendant une durée incalculable.

Soudain, une nouvelle scène s’offre à mes yeux, celle de mon corps gisant. Les médecins accourent, tentent leur possible dans des va-et-viens frénétiques, puis devant l’inefficacité de leurs manœuvres, abandonnent mon corps à son sort. Je reconnais d’une part Jordan, de l’autre Ilya, qui s’approchent de ma carcasse inerte tels d’ignobles vautours. Jordan donne quelques coups de pieds dans mes côtes pour s’assurer de mon état, puis ils entreprennent de me transporter pendant de longues minutes jusque dans un hangar sombre aux murs couverts de graffitis indéchiffrables.

Un violent coup d’épaule d’Ilya dans une porte rouillée la débloque en laissant choir un rideau de poussière. Derrière le passage, de rares néons aveuglants éclairent maladroitement des escaliers plongeant en hélice, presque verticalement, dans un décor de noir et de blanc. Nous nous engouffrons de plus en plus profondément dans divers sous-sols en tout point similaires. Les numéros d’étages, peints en grandes lettres rouges de sang, oscillent sans aucune logique, dans un tourbillon de plus en plus rapide : 1, 7, -1, 9, 77, …

Le voyage s’arrête dans une salle dotée d’une seule issue, marquée d’un 48. Des gravats épars jonchent le sol et esquintent mon corps jeté à même le béton nu. Jordan s’approche et me déshabille lentement, comme s’il se délectait de son pouvoir. Comprenant l’horreur qui se déroule sous mes yeux, je hurle de toute mes forces, mon esprit tente de les repousser, mais reste parfaitement invisible, inconsistant et impuissant. Je ne peux même pas m’échapper de la pièce, contraint de contempler l’inacceptable. Contre toute attente, ma poitrine se met à se soulever sporadiquement comme si une ultime pulsion de vie et d'espoir se rebellait ; « Réveille-toi ! Défends-toi ! » crié-je dans un silence assourdissant.

Aux côtés de Jordan, Ilya est maintenant nu, son érection saillante, prête à tourmenter mon corps. « Tu vas respecter ton engagement, quoi qu’il en coûte ! » : cette invocation s’enfonce dans mon esprit comme un pic à glace.

***

Je me redresse. J’ai mal partout et sens mon sang couler de mes blessures. Je dois quitter les lieux le plus vite possible pour me faire soigner. Numéro -6, c’était bien ça ! Maintenant, à droite ! Comment ça, 0 ? Aucun souvenir ! Je rebrousse chemin pour reprendre mon orientation depuis l’étape précédente. -5 ? Non ! Ce n’est pas possible !

Mes forces faiblissent et je me mets à courir comme je peux dans les galeries interminables, abandonnant tout raisonnement. Entre les deux allées de pierre symétriques que j'emprunte coule une rivière acide dont émanent des vapeurs floues brouillant ma vue et m’agressant les yeux. Les sortes de quais que j’emprunte rétrécissent inexorablement, jusqu’à m’obliger à me cramponner aux minces rebords où circulent de nombreux rats décharnés. Les rongeurs aux yeux rouges perçants, émergeant en masse de canalisations éventrées, émettent des couinements hystériques pour signaler qu’un imprudent a osé s’aventurer sur leur territoire. Je vais mourir. Je vais mourir et les rats se délecteront de mon cadavre.

« Baptiste ! Baptiste ! Je suis là ! Suis-moi ! ». La silhouette de Lucas apparaît au loin dans un halo bleuté. J’oublie mes membres endoloris et fais demi-tour, cavalant jusqu’à lui. Je me jette sur ses lèvres pour l’embrasser, mais il me repousse : « On n’a pas le temps. Dépêche-toi et ne me perds pas de vue. ». Notre course folle démarre, de corridor en corridor, sans que le moindre rai de lumière du jour ne nous éclaire encore. Les virages s’enchaînent et je dois lutter pour ne pas risquer de perdre mon guide. Après avoir pris à gauche au bout d’une corniche, il s’arrête subitement. Sa peau devient transparente, laissant apparaître sa personne de la manière la plus intime possible. Son cœur propulse un liquide vermillon dans ses artères, celles-ci se divisant progressivement en vaisseaux de plus en plus fins jusqu’à former une matrice organique reproduisant son anatomie. Puis ceux-ci se tordent, s’allongent, se mélangent dans un complexe rougeoyant qui s’étend jusqu’à absorber mon corps.

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