Chapitre 22

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Écrit en écoutant notamment : OxiDaksi - Revolution [Psytrance]

Je vois à peine le trajet à pied passer. Mon appartement, encore dans la pénombre à cause des volets que j’avais oubliés d’ouvrir ce matin, ne me réconforte pas le moins du monde. C’est comme si les restes de mon cauchemar étaient restés suspendus, à l’image des frêles poussières argentées qui mènent leur danse lugubre dans le cône de lumière s’infiltrant dans ma chambre.

J’ouvre rapidement les volets et les fenêtres pour disperser cette ambiance de mort et m’assois sur le rebord de mon lit dans un soulagement relatif. Mes médailles, soigneusement épinglées à côté de l’étagère, me narguent de leur éclat doré. Je ne les mérite même plus… Et puis je me sens tellement seul… Andreas va m’en vouloir et je n’ai plus envie de revoir Stéphane ni personne du club d’athlétisme. Et puis Lucas… je me sens incapable de gérer correctement notre relation.

Instinctivement, je commence à faire couler l’eau de la douche et me déshabille en attendant qu’elle chauffe un minimum. J'ai juste besoin de me retrouver seul avec moi-même, dans la tenue la plus simple possible. Après quelques minutes, je me laisse glisser le long de la paroi mouillée, jusqu’à me retrouver au fond du bac de douche. L’eau chaude me coule dans les yeux, alors je baisse simplement la tête contre mes genoux pour me protéger. Je suis fatigué de lutter contre un destin qui semble foncièrement me vouloir du mal.

Je dois vivre dans un film, ce n’est pas possible autrement ! Même le fait de penser aux atrocités qui se déroulent en ce moment-même aux quatre coins du globe peine à me faire relativiser ma situation. C’est souvent la scène dans laquelle le héros se saisit d’une lame bien aiguisée, et s’entaille volontairement pour faire disparaître sa souffrance, teintant de rouge l’eau qui ruisselle sur lui. Ce jeune corps d’athlète rayonnant, rongé de l’intérieur par une ombre destructrice, et qui se vide irrésistiblement de sa substance vitale, ne serait-il pas d’une formidable esthétique ?

C’est à cet instant que je pousse un cri de rage qui résonne de longues secondes en faisant trembler mes tympans. Je tape contre le sol et me relève d’un coup, hébété. Mon cœur bat intensément, comme s’il manifestait sa volonté de survie.

À partir de maintenant, je m’interdis formellement de me laisser aller à des pensées aussi macabres ! Il faut surtout que je parle… avec n’importe qui !


***


Je me rends soudainement compte que j’ai passé presque tout l’après-midi à discuter avec des gars sur mon appli de rencontre. Évidemment, aucune volonté de rencontre physique cette fois-ci, mais parler de sexe pendant des heures procure un puissant effet anesthésiant ; le monde extérieur n’existe plus et ses problèmes s’effacent pour un certain temps. Pour autant, je réalise que je ne peux pas vivre dans un tel déni vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il faut agir, il faut absolument agir !

Je suis convaincu que la première chose à faire est d’avoir une explication claire avec Lucas. D’une part, il est plus qu’évident que je dois me concentrer uniquement sur moi-même pour me sortir de ce bourbier ; d’autre part, je suis conscient que je risque réellement de lui faire du mal en persévérant dans la voie actuelle. Un Lucas en pleurs, que j’aurais maltraité sans forcément m’en rendre compte, est la dernière chose que je souhaite voir.

Cet élan de lucidité me rassure. Il faut chercher à résoudre ses problèmes de la façon la plus simple et égoïste possible ; absolument pas de manière triomphale, comme dans les films, où le héros vainc justement ses doutes grâce à l’amour après avoir frôlé la mort… J’envoie immédiatement un message à Lucas pour lui demander si on peut se voir après la fin de ses cours. Sa réponse me parvient presque dans la minute :

« Oui, avec plaisir ! Je dois juste passer régler un truc avec l’administration de la fac et c’est bon ! »


***


Lucas m’observe avec un regard inquiet, comme s’il avait déjà cerné les enjeux de cette discussion. Si j’avais uniquement voulu m’amuser comme les derniers temps, mes mains auraient déjà été en train de remonter sous son t-shirt. Il m'est difficile de me lancer, car j’ai bien compris que je représente déjà énormément pour lui.

— Il faut vraiment que je te dise certaines choses importantes.

— C’est en rapport avec moi ? Avec nous deux ?

— Oui… T’as peut-être vu que ça ne va pas super fort de mon côté. Et encore, je ne t’ai pas tout raconté, loin de là.

— J’espère que ce n’est pas trop grave…

Je m’arme de courage et lui explique dans le détail les vraies raison de ma défaillance en Italie, ce qui s’en est ensuivi, mes problèmes avec Stéphane et le dernier entraînement d’athlétisme où je me suis ridiculisé devant tout le groupe. Avec un peu de chance, il va comprendre par lui-même que je ne suis absolument pas le genre de mec qu’il lui faut. Je me souviens bien de nos premières discussions après son coming-out un peu particulier : il en était conscient et avait raison…

— Mais t’aurais dû me dire tout ça ! Ce n’est pas si grave ! Je comprends parfaitement que ça soit difficile a gérer seul ! Si je peux t’aider de n’importe quelle manière, ce sera avec un immense plaisir ! Je ne te prendrai jamais pour un fou à cause de quelques réactions un peu trop impulsives. T’es super doux et bienveillant avec moi, c’est génial !

— Merci… mais je suis désolé, j’ai vraiment besoin de prendre du recul. Et je veux te faire le moins de mal possible. Je suis convaincu que tu peux trouver bien mieux que moi pour le type de relation qui te plaît. Moi, j’aurai toujours la tentation d’aller voir ailleurs, c’est comme ça que je fonctionne.

Alors que j’allais continuer à me justifier, une larme se met déjà à couler le long de son visage silencieux. Il relève soudainement ses yeux embués vers moi ; je comprends que mon regard, celui qui le portait, le fascinait, le faisait fantasmer, prend une toute autre signification, celui d’une douleur vive, d’un paradis duquel on l’arrache sans qu’il ait pu en explorer tous les merveilleux sentiments.

— Je dois aussi t’avouer quelque chose, me dit-il.

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