Chapitre 25

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Écrit en écoutant notamment : Showtek – Analogue Players In A Digital World [Hardstyle]

Je cours les trois kilomètres qui me séparent du stade en guise d’échauffement, mes morceaux les plus motivants à fond dans les oreilles, tout en consultant le détail de l’entraînement prévu pour ce soir. Le plus amusant est que Stéphane continue à m’envoyer les consignes… C’est donc un fractionné de type « pyramide », avec des intervalles de sprint de longueur d’abord croissante : 200, 400, 600 mètres, puis dans l’autre sens, à réaliser trois fois.

À mon plus grand étonnement, tout se passe comme si l’incident de lundi n’avait jamais eu lieu. Moi qui imaginais être le centre de l’attention, j’ai eu tout faux. Au moins, ça suggère que mon ressenti était complètement disproportionné par rapport à la réalité. Il est si agréable de renouer avec une normalité des plus simples...

Je mobilise consciencieusement mes articulations avant de démarrer les sprints. Ce n’est jamais le bon moment pour se blesser, et encore moins aujourd’hui, au moment où je relance sérieusement la machine. Stéphane, qui s’occupe du groupe des moins de dix-sept ans, me jette des regards fréquents, probablement intrigué par le sérieux dont je fais preuve. Non non, ce n’est pas grâce à toi, mais je vais t’étonner !

Je me place sur une ligne blanche pour la première répétition, me dégourdis rapidement les jambes, puis lance enfin mon sprint. Difficile de résister à l'envie de pousser plus fort que d’habitude ! Je coupe la ligne des 200 mètres en 24 secondes environ, pas mal !

***

Alors que j’en termine avec le 600 mètres de la deuxième série, Stéphane s’approche à grands pas :

— Attention, t’es deux secondes trop rapide sur la répétition, tu risques de te cramer à ce rythme !

J’y crois pas ! Il était vraiment en train de chronométrer mes sprints !

Il est flatteur d’avoir un entraîneur qui s’intéresse encore autant à moi malgré la guerre froide que nous nous livrons depuis deux semaines, et surtout notre esclandre de lundi.

— Je me sens en pleine forme !

— Oui, je vois ça… J’espère que ça présage de meilleures performances. Termine plus tranquillement tes séries, je veux te parler de quelque chose d’essentiel après. Promis, rien contre toi.

Ma curiosité me donne envie d’écourter les intervalles de récupération pour terminer au plus vite. Je me demande vraiment ce qu’il va trouver à me dire, si comme il l’affirme, ce n’est pas pour continuer à me faire la leçon. J’achève mon dernier sprint dans une douleur mesurée et traverse la pelouse pour aller le retrouver.

— Alors ? demandé-je de but en blanc.

— Eh ben… c’est par rapport à ta demi-finale en Italie.

— T’avais dit que c’était pas contre moi ! Maintenant que je suis de nouveau à fond, j’ai plus envie d’entendre parler de cette histoire.

Pourtant, bien plus que n’importe quels mots, son regard profond me persuade immédiatement de le laisser continuer.

— Je n’ai absolument pas oublié cette affaire… Mieux, je me démène depuis des semaines pour faire avancer ce bordel.

— Hein ?

— J’étais convaincu que te laisser à l’écart de mes investigations était la meilleure chose à faire. Il fallait que tu te concentres uniquement sur ton entraînement, que tu ne sois pas distrait. Mais j’admets que je me suis trompé.

— Et… qu’est-ce que t’as trouvé ? demandé-je avec une pointe d’espoir.

— Je me suis battu avec toute une administration pour que les images de vidéosurveillance de l’hôtel soient analysées, je te raconte pas la galère ! Mais mon intuition était bonne. La veille de ta course, au moment où tu vas te resservir au buffet avec ton ami, on voit quelqu’un s’arrêter de longues secondes de manière très suspecte devant ton plateau. La scène est seulement filmée de dos, donc impossible de déterminer précisément ce qu’il a fait. Peu de chance de trouver des témoins non plus.

— C’est Jordan, c’est ça ?

— Jordan Rousseau ? C’est vrai qu’il y avait eu de gros soucis l'an passé entre vous deux, j’y ai pensé.

— On doit bien le voir au moins une fois de face sur l’enregistrement, non ?

— Très rapidement, et l’image est de trop mauvaise qualité pour avoir la moindre certitude. Je ne pense pas pouvoir aller plus loin sans directement contacter son club et son entraîneur.

Je me sens vraiment idiot en me rendant compte qu’en réalité, Stéphane ne m’a jamais lâché. Je peux difficilement m’empêcher de lui sourire avec un regard reconnaissant.

— La décision de poursuivre les démarches te revient. Tu peux prendre quelques temps pour réfléchir, évidemment.

— D’accord. Mais franchement, tu vois… j’ai même plus envie de m’emmerder avec un con pareil. Je l’aurai à l’œil… J’ai juste envie de courir et de gagner à nouveau des courses. Finies les conneries !

— Si c’est ton choix, je le respecte.

— J’ai dû t’emmerder un peu, ces derniers temps...

— Oh, on fait avec… je te demande surtout de m’excuser pour lundi soir, la méthode n'était vraiment pas appropriée. Et je voulais aussi te dire que... tu me fais penser à moi, lors de mes jeunes années.

— C’est vrai ?

— Je ne supportais pas la moindre contre-performance. C’est à la fois indispensable pour progresser, mais ça peut être dévastateur… Il m’était arrivé d’abandonner complètement mes objectifs pendant plusieurs mois après une deuxième place lors de championnats de France… 1 centième de seconde sur un 1500 mètres, ça m’avait rendu complètement taré.

— Ah ouais… chaud…

— Sur le coup, je m’étais cassé une phalange en tapant contre un mur, c’est pour dire… J’ai mis six mois à me remettre dans le coup ; j’ai cru que je terminerais à l’asile ! Enfin, tout ça pour dire qu’il ne faut pas hésiter à me parler de tes doutes… à moi ou à d’autres, c’est super important ! Tu sais bien que l’aspect psychologique a une importance folle.

Je souris largement sur le chemin du retour. Il me semble retrouver le ressenti des mois derniers, celui de monter dans un train sans arrêt, qui va ne faire qu’accélérer, écrasant tout sur son passage. Je me sens capable de résister à n’importe quel entraînement, de pouvoir remporter n’importe quelle course.

La vive tentation de me faire un 20h-22h avec un mec, comme à « l’ancienne », me prend aussi dans la foulée. Allez savoir, le fait de me sentir puissant sur la piste me donne souvent envie de dominer un gars et de le voir s’affaisser sous ma volonté. Je bande déjà rien que de penser à la scène !

Ma décision prise, il ne me reste plus qu’à choisir mon festin du soir. En naviguant sur mon appli, j’ai parfois le sentiment d’être assis à une table de restaurant trois étoiles, à devoir me priver de plats plus appétissants les uns que les autres lorsque le serveur vient prendre ma commande.

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