Chapitre 28
Écrit en écoutant notamment : Le Bard – Tamacun [Rumba/Techno]
Je rechigne à sortir du lit malgré le fait qu’Enzo me secoue et aille ouvrir les volets et les fenêtres. Il pourrait bien comprendre que j’ai besoin de mes neuf heures de sommeil pour être dans une forme optimale ! En plus, je sens que la séance de course d’hier soir a laissé quelques traces dans mes cuisses. Je m’enroule de plus belle dans la couverture alors qu’Enzo enclenche la douche dans la pièce d’à côté : ces quelques minutes ne seront pas perdues.
Pourtant, j’ai l’impression de ne pas avoir refermé les yeux plus de deux secondes lorsqu’il revient me déranger :
— Allez ! J’aime beaucoup que tu sois là, mais faut que je parte à neuf heures et demie !
— D’accord…
J’attrape mon téléphone pour regarder l’heure mais constate que je n’ai plus de batterie. Pas très grave, car le programme de ma matinée est simple : petit-déjeuner chez moi, séance de récupération de 45 minutes et éventuellement ouvrir un cours si j’ai le temps.
***
La soirée avec Enzo a été assez plaisante, même si j’aurai besoin de plus d’action la prochaine fois. J’ai été surpris d’apprendre qu’il participait à des compétitions d’échecs, car il ressemble à tout sauf à l’intello à lunettes refermé sur lui-même, qui passerait ses journées dans des vieux bouquins remplis de diagrammes.
J’ai surtout aimé lorsqu’il m’a décrit sa préparation mentale avant les journées de tournoi, finalement assez similaire à ce que je connais à l’athlétisme. Il faut une concentration parfaite pour réaliser le geste ou le coup parfait au bon moment, et je veux bien croire que passer des heures à réfléchir sans cesse à des dizaines de variations de coups possibles est aussi épuisant qu’une course. Faire face à son adversaire pendant des heures doit aussi être particulier ; mes nerfs ne tiendraient pas. Ça pourrait être sympathique d’aller une fois assister à un de ses tournois.
Comme prévu, je me fais cuire des œufs sur le plat, me prépare quelques tartines et termine par une banane. Je me mets en tenue, attrape ma montre GPS et sors sous le grand soleil frais qui baigne la matinée. Mes pas me guident naturellement sur un de mes circuits préférés, celui qui alterne entre le bois et une piste cyclable longeant une rivière à moitié sauvage. Passée la petite sensation de lourdeur au réveil, je suis étonné par la souplesse qu’ont conservée mes jambes. Les gazouillis d’oiseaux qui saluent mon passage me détendent et je déroule tranquillement sans aucune gêne les neuf kilomètres de la boucle.
Une fois rentré, par un rare miracle, je sors mon cours pour préparer un minimum les TD de cet après-midi. Ok, ça ne durera peut-être qu’un quart d’heure, mais c’est déjà très honorable. J’ai toujours cette fâcheuse impression qu'ils ne me serviront jamais à grand-chose…
Je n'avais jamais su tellement quoi penser de ce système français, dans lequel la fédération incite les jeunes athlètes prometteurs à continuer une formation en plus de leur entraînement, mais après avoir constaté à quel point un début de carrière comme le mien aurait pu basculer, je me rends compte que c’est loin d’être idiot.
— Et merde ! crié-je tout d’un coup en me rappelant de ma mission de la matinée.
Je me jette sur mon téléphone, le mets à charger et attrape mon sac afin de récupérer l’ordonnance qu'Andreas m’avait donnée pour ses anti-douleurs. Putain, où est-ce que ce papier de merde a pu passer ? Je fouille plusieurs fois mon sac et le tas de feuilles de mon bureau sans parvenir à mettre la main dessus.
À côté de moi, mon téléphone se rallume dans une courte sonnerie. Comme je le craignais, il m’a déjà envoyé plusieurs messages pour savoir où j’en étais. Je me donne encore une dizaine de minutes pour le retrouver, en vain… Je dois finalement me résoudre à l’appeler :
— J’arrive plus à retrouver ton ordonnance… je comprends pas, j’étais sûr de l’avoir laissée dans mon sac.
— Putain… regarde encore une fois !
— Ça fait vingt minutes que je cherche…
— C’est pas grave, ça te tuera pas de jeter un dernier coup d'oeil !
— Tu peux pas appeler ton médecin pour qu’il te renvoie une version ?
— Bah si, je pense, mais je fais quoi pendant ce temps ? J’ai d’autres problèmes auxquels penser !
— Ça va, c’est pas la fin du monde, non plus…
— Hein ? Mais tu te rends compte de ce que tu dis ? Et puis qu’est-ce que tu foutais encore ce matin, t’étais censé venir ! Admets au moins que c’est de ta faute !
— Non... je vais finir par trouver.
— Ok je comprends, vu que t’as décidé de me faire chier, je vais me débrouiller tout seul. Salut !
— Mais c'est toi qui voulais que je...
Il me raccroche au nez avant que j’aie le temps de me justifier. Il est vraiment à cran !
***
Les cours de cet après-midi ont été terriblement longs et ennuyeux. Lucas, qui commence à préparer son départ, n’est pas venu, et il est encore trop tôt pour qu’Andreas, même mal luné, puisse retrouver les amphis.
J’ai passé la moitié de mon temps sur mon téléphone à regarder des bêtises et le reste à rêvasser en étant dérangé par les soudaines élévations de voix du prof. Si jamais l’occasion se présentait lors d’une prochaine course, j’aimerais bien avoir une discussion posée avec Jordan... Je n’ai pas peur de lui, ni envie de lui faire la leçon ; je souhaite seulement mettre un terme définitif à cette histoire.
En arrivant dans ma chambre, je remarque qu’une feuille esseulée a glissé derrière mon bureau. Et putain, évidemment c'est celle-là ! grogné-je en la ramassant.
N’ayant pas grand-chose à faire d’ici ce soir, je décide d’aller chez Andreas pour lui rendre et éviter qu’il m’en veuille de trop. Ça pourra toujours lui être utile, on sait jamais… Je frappe à la porte et ai la surprise de voir Alexia m’ouvrir.
— Hey Alexia ! Comment ça va ?
— C’est qui ? lance Andreas depuis sa chambre.
— Baptiste ! répond-elle.
— Il veut quoi ?
— Il veut te rendre ton ordonnance ! dis-je suffisamment fort pour qu’il m’entende.
— C’est plus la peine, j’ai ce qu’il faut. Au revoir !
Alexia semble hésiter à me faire entrer malgré les ordres d’Andreas, mais je la remercie d’un signe et fais demi-tour afin de ne pas l’embarrasser. Je le sais bien, Andreas est comme Stéphane, il fera plus ou moins semblant de me faire la gueule, mais tout va rapidement s’arranger. Au moins, il semble en bonne compagnie...
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