Chapitre 30
Écrit en écoutant notamment : Joey Riot – Do It Like We Do [UK Hardcore]
Il essaye de forcer le passage mais je l’en empêche.
— Eh, tu vas où comme ça ? Admets simplement ta défaite, merde !
— Mais je t'ai rien demandé, toi !
Je rapproche mon visage du sien, suffisamment pour lire la rage que renvoient ses pupilles dilatées et sa mâchoire crispée.
— Je sais très bien ce que tu m’as fait en Italie, et c’est dégueulasse. On a des preuves, alors si t’as envie de rester tranquille, tu vas te calmer !
— De quoi tu parles ?
— Tu le sais très bien ! Ne commence même pas à me faire croire le contraire, asséné-je en collant mon front contre le sien.
Sa pression contre moi se fait subitement moins forte et son regard tombe vers le sol, signe que j’ai remporté ce duel psychologique. Je lui relève le menton, pose une de mes mains sur son cou, et dans un ultime coup de grâce, plaque mes lèvres contre les siennes pendant une longue seconde. Ma domination est totale.
— Le temps a été corrigé à 47’’72, mais il s’agit bel et bien d’un nouveau record ! hurle le speaker entre deux grésillements.
Bien que les spectateurs soient regroupés d’un seul côté du stade, j’entame un tour d’honneur en exultant. Je prends un malin plaisir à faire un crochet pour repasser devant Jordan, tout en saluant à nouveau les tribunes. Vingt mètres plus loin, c’est Stéphane qui accourt pour me prendre dans ses bras.
— C’était sublime comme course, une véritable œuvre d’art !
— Je pouvais pas le laisser me battre encore une fois.
— Tu auras le droit de fêter ça raisonnablement ce soir, hein !
— Ouais…
Quelques autres coureurs de mon club passent me féliciter. J’ai même la surprise de voir le gars des moins de dix-sept ans, que j’avais été à deux doigts de frapper après sa blague sur mon prénom, approcher avec un sourire :
— Je suis désolé pour l’autre jour, je voulais pas me moquer de toi. T’étais trop chaud aujourd’hui !
— Ah oui… merci… c’est pas grave.
— D’accord ! C’est cool, on se revoit au stade la semaine prochaine, hein !
— Ouais…
Je m’installe seul dans les gradins pour suivre les courses suivantes. Il est amusant de constater comme tout le monde devient sympa avec soi lorsqu’on se distingue par ses performances… Les départs et arrivées des courses s’enchaînent les uns après les autres, sous mon regard satisfait. Je ferme de temps en temps les yeux pour revivre les souvenirs encore frais de ma lutte acharnée avec Jordan et de ce baiser insolent qui l’a laissé sidéré.
Mon cœur s’anime et exprime son allégresse dès que je repense aux chiffres rouges du chrono matérialisant mon exploit. Franchement, rien d’autre, pas même le mec le plus parfait que je serais capable d’imaginer, ne pourrait me procurer un bonheur plus profond et apaisant. Je me sens plus vivant et indépendant que jamais.
Quelqu’un vient s’asseoir à mes côtés et perturber mes rêveries :
— Salut ! Je suis là depuis le début, c'était incroyable !
Je reconnais immédiatement la voix d’Enzo. Pourtant, il ne me semblait pas lui avoir donné beaucoup de précisions sur le lieu et l’heure de la course d’aujourd’hui… Je me tourne vers lui par politesse :
— Comment t’as su que je courais ici ?
— Ah, je me suis juste un peu intéressé à toi ! T’es pas content de me voir ?
— Si… c’est sympa d’être venu !
— J’imagine que tu vas fêter ça avec tes amis ce soir, non ?
— Peut-être, enfin j’ai rien de prévu.
Je sors pour une n-ième fois mon téléphone, mais n’ai toujours aucune nouvelle de Lucas, qui doit pourtant être arrivé à destination, ni d’Andreas, qui ignore simplement mes messages.
— J’ai un ami qui me fait la gueule et l’autre qui est parti à l’autre bout de la France…
— Oh merde… Tu voudrais qu’on passe la soirée ensemble ?
— Pourquoi pas…
— Ok, super ! Je te dérange pas plus longtemps. Je te renvoie un message tout à l’heure pour te dire quand je suis prêt !
Une heure plus tard, nous sommes appelés pour les podiums du meeting. D’abord les coureurs et coureuses de 100 mètres, puis de 200… ça va enfin être mon tour ! Je souris à l’annonce de ma victoire et grimpe sur la marche « 1 » pour la célébrer une dernière fois. Comme le veut la tradition, j’invite Jordan et le troisième à me rejoindre et à poser pour quelques photos. Je dois moi-même lui attraper le bras pour le passer derrière mon dos et lui suggère à voix basse de montrer un sourire moins tendu.
— Et entraîne-toi bien pour les prochaines courses, ajouté-je avant qu’il disparaisse. J’ai besoin d’un adversaire coriace pour mieux savourer mes victoires.
***
Je rentre cette fois-ci chez moi en transports : le trajet est direct et me prend seulement une demi-heure. Je me rends sur la page Facebook de mon club et retrouve une belle photo de moi, muscles saillants, visage rageur, devant mon chrono du jour. Je ne sais pas qui a pris la photo, mais elle est particulièrement réussie ! Déjà cent quarante-quatre likes, j’adore !
Je pose mon téléphone et m’allonge sur mon lit sans aucune distraction possible. Comme après chacune de mes victoires, je repense à mon parcours depuis ma blessure et le début de mon aventure il y a cinq ans. J’y ajoute aujourd’hui avec fierté l’épisode italien et les difficiles semaines qui ont suivi, amenant paradoxalement à ce succès majeur.
***
« Je t’attends vers huit heures ! Et pas besoin de manger avant, je t’ai préparé une petite surprise. »
J’aurais préféré avoir des nouvelles de mes amis… Là, j’ai surtout l’impression qu’Enzo me drague de plus en plus, déjà qu’il est venu au stade comme le ferait une meuf éprise de son bad boy sportif dans une série romantique… Ma décision est prise : une désillusion rapide vaudra mieux pour lui que de faire traîner la situation en lui faisant croire à l’impossible. Un léger pincement au cœur me traverse, mais je me convaincs sans problème que je n’y penserai plus d’ici quelques jours.
Annotations
Versions