13. LA PETITE MAISON A LA PORTE VERMOULUE.
Aujourd’hui.
Trois jours qu’Alex était revenu à Anaïta et, trois jours qu’il n’avait osé venir la voir. C’était une petite maison au bord de la plage. Laissée à l’abandon, le cadavre de la bâtisse faisait peine à regarder. Alex eut un pincement au cœur. Elle l’avait accompagné pendant toute son enfance. La porte d’entrée était trouée en plusieurs endroits, les volets des fenêtres pendaient misérablement sur les murs. La peinture n’avait pas résisté aux vents et aux embruns. Le toit laissait passer la lumière, les oiseaux et la pluie.
Il ouvrit le portail grinçant et entra dans le jardin. Les herbes folles tanguaient au gré du vent. Soudain, devant lui, il vit un enfant courir et monter dans un arbre, à droite, qui abritait une vieille cabane, puis il s’évapora. Le vieux chêne n’avait pas bougé, indéracinable. Le vieil homme toucha l’écorce rugueuse, noueuse comme ses propres mains. Il sourit, l’enfant descendit de l’arbre et sauta dans les herbes en riant. Quand il surgit des plantes, il n’était plus seul, une petite fille l’accompagnait. Ils le regardèrent en souriant et main dans la main devinrent poussière.
Laissant le chêne à son éternelle immobilité, Alex s’avança vers la maison, laissant ses mains effleurer les herbes hautes, il toucha les murs et s’arrêta devant la porte d’entrée. L’odeur de la confiture lui titilla les papilles olfactives, des rires retentirent de l’intérieur. Alex tendit le bras, attrapa la poignée et la lâcha. Il quitta le jardin. Il reviendrait demain.
Demain.
Alex serait à nouveau devant la petite maison, deux enfants, une fille et un garçon, danseraient dans le jardin au milieu des herbes et des fleurs qui danseraient elles aussi entraînées par les mouvements des deux danseurs. Alex s’avançerait vers les enfants qui au détour d’une dernière farandole s’évanouiraient.
- Un petit tour et puis s’en vont, fredonnerait le vieil homme.
Fébrilement, il parviendrait à la porte vermoulue. Des rires charmèraient ses oreilles, des rires d’enfants. Il pousserait la porte, une forte odeur de moisi agresserait ses narines et le ferait grimacer un instant puis petit à petit une odeur de confiture de mûres envahiraient la pièce. Des silhouettes familières surgiraient soudain devant ses yeux, des voix lui chuchoteraient des choses secrètes que lui seul connaitrait, un maelstrom de sons tournoieraient autour de lui. Une douleur irradirait son crâne.
Une petite main à l’intérieur de la sienne le sortirait de sa torpeur, la petite main l’entraînerait dehors et loin de la maison.
- Monsieur, ça va ?
Alex regarderait autour de lui.
- Monsieur, je suis là ?
Alex baisserait le regard et s’aperçevrait qu’une petite fille lui teindrait la main.
- Ho, c’est toi Tess.
- Oui c’est Tess. Ca va ?
- Oui merci Tess.
Il regarderait la petite maison.
- Vous avez mal ?
- Non Tess.
- C’est votre maison ?
- Plus maintenant. C’est là que j’ai vécu quand je n’étais pas plus grand que toi.
- Ca fait longtemps alors.
Alex sourirait
- Oui, tu as raison ça fait très longtemps.
- Ca fait quoi d’être un vieux monsieur ?
- Tu poses beaucoup de questions toi.
- Mon papa, il me disait que l’on ne pose jamais assez de questions.
- Ca se discute. Le vieil homme caresserait les cheveux de la petite fille.
- Monsieur ?
- Oui Tess ?
- Mon papa, il ne reviendra pas.
- Non Tess, il est parti.
- Je le reverrais un jour ?
- Je ne sais pas petite, peut-être. Qui peut le savoir ?
- Il faut que je rentre à la maison sinon maman va me gronder.
- File vite.
Tess détalerait et disparaitrait derrière une dune de sable.
- Je reviendrai demain.
Après demain.
Alex prendrait le même chemin qu’hier et avant-hier, le soleil chaufferait son crâne et une petite brise fraîche lui rougisserait les joues. Le sable serait doux sous ses pieds nus, l’océan brillerait de milles étoiles scintillantes et, à part ce gros nuage qui ressemblerait à un ours, le ciel serait d’un pur bleu.
Alors qu’il bifurquerait sur la gauche dans le petit chemin, il entendrait crier son nom, il se retournerait, la petite jeune femme blonde répondant au doux nom d’Elise courrait vers lui.
- Attendez-moi !
- Que faites-vous ici Elise ? !
- La plage est à tout le monde Alex, dirait-elle en arrivant à sa hauteur.
- Ecoutez, excusez-moi j’ai besoin d’être seul.
- Je viens avec vous.
- Vous arrive-t-il d’écouter quand on vous parle !
- Non c’est assez rare.
Elle lui prendrait le bras.
- Allons voir votre maison.
- Comment savez-vous que…
- Je sais c’est tout.
- De toute façon à moins d’employer la force, vous me suivrez.
- Et vous ne pourriez pas faire de mal à une aussi adorable jeune femme que moi ! Alex sourirait.
- Mais pourquoi vous intéressez-vous autant à moi.
- J’ai l’impression de vous connaitre, d’où je n’arrive pas à le savoir ou à m’en souvenir.
- Allons-y.
Le grand-père et la jeune femme grimperaient le chemin ensablé qui menait à une petite maison dont la porte était vermoulue.
Les deux enfants l’attendraient sur le pas de la porte.
- Vous les voyez Elise ?
- Non mais le principal est que vous vous les voyez.
- Bonjour les enfants.
Ils ne répondraient pas et se précipitèraient en riant dans la maison. La confiture, les rires, les chuchotements l’assaillirent à nouveau. Il serrerait le bras d’Elise. Sa tête ne lui fit pas mal. Il vit sa mère tourner une grande cuillère en bois dans un grand bac à confiture. Son père préparant les hameçons pour la pêche. Et il se vit lui-même, assis près de la cheminée en train de lire. Et il ne vit plus rien, tout disparut comme une page d’un livre que l’on tourne. Les meubles avaient disparu, à l’exception de cette grosse malle, et cette odeur de moisi était de nouveau présente.
- Ca va Alex ?
Il sursauta à la voix d’Elise.
- Ca va.
- Vous voulez qu’on ouvre cette malle ?
- Non il faudra revenir un autre jour, ce n’est pas le jour.
- D’accord. Je vous laisse.
Il ne répondit pas et Elise disparut par la porte vermoulue.
Alex ne sut pas combien de temps il resta juste là assis sur une vieille malle à se remémorer son enfance, mais il faisait nuit quand il sortit de la petite maison.
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