A star is born
Enfin quelques minutes de calme et de quiétude… L'eau dégouline sur mes cheveux, sur mon corps, c'est tiède, frais, apaisant. Je baisse la température. Le froid me saisit. Il me réveille et m'aide mentalement à affronter la montagne de trucs à faire. Si toutefois, j'arrive à sortir de cette grotte… Le shampoing sent l'immortelle, odeur divine des dunes brûlantes et de l'océan. En fermant les yeux, je m'imagine, allongée sur le sable, le bruit des vagues au loin. Ce cliché éculé reste toujours efficace et m'expédie très loin dans mes pensées. Un désagréable son strident retentit. Non. Non, je ne veux pas l'entendre. Mais il continue, encore et encore… Depuis la douche, je m'égosille :
- Marsh, tu peux aller voir, ça sonne !
Pas de réponse,
- Marsh ! Je suis sous la douche, tu peux y aller ?
Comme rien ni personne ne bouge, je sors en pestant, du savon plein les cheveux et les yeux, attrape le peignoir qui pend sur une patère, ce n'est pas le mien, il est bien trop grand et bâille de partout. puis me dirige vers le boîtier de l'interphone. Je laisse des petites flaques partout sur le sol, comme un Petit Poucet qui trace son chemin pour retrouver la salle de bains. Mon téléphone posé sur la table retentit à son tour. J'y jette un coup d'œil rapide. Huit appels en dix minutes, le temps de cette délicieuse douche… Ils ne me lâchent pas. La porte hurle… Et celui de Marsh, en écho, joue son morceau dans ce tintamarre. Billy s'en mêle, évidemment, en glapissant autant qu'il peut. Il y a autant de décibels que sur une piste d'atterrissage dans cette baraque. J'ouvre la porte.
Le Postman me regarde d'un air furibond, agacé de l'attente. Il a les bras chargés de colis et de lettres à signer. Il se rince l'œil pendant que je me débats avec son chargement. Quel crétin. Il est neuf heures du matin et je suis déjà éreintée.
Je dépose le tout sur la table du salon. Mon téléphone s'est enfin calmé, mais celui de Marsh continue de chanter sa musique style Country. Je l’attrape pour le faire taire et constate que son écran affiche un grand nombre d’appels. Plus que sur mon portable. C’est étonnant. D’habitude, ceux qui essayent de nous joindre le font sur nos deux numéros, en croisant les doigts pour que l'un de nous deux daigne décrocher. Un message est en attente aussi, quelqu’un essaye de le joindre personnellement. Peut-être un membre de son fan-club. Il attendra, je ne vais pas le lui apporter en plus, j'ai autre chose à penser dans l'immédiat. Ce SMS est probablement sans aucune importance.
Le silence est enfin revenu dans le salon. Je me fais couler un café. Tiens, c'est bizarre que Marsh ne soit pas là, il déboule à chaque fois qu'il sent l'odeur de la caféine.
- Marsh ? Marsh, tu es où ?
Comme il ne répond pas, je me dirige vers le jardin. Le vert des palmiers tranche avec le bleu de la piscine. Au loin, en regardant bien, on aperçoit la baie et ses fameuses cabines de sauveteurs. Ce paysage me saisit chaque fois que je le vois, j'espère ne jamais m'habituer à cette vue torride. Un casque sur les oreilles, Marsh, vautré sur un fauteuil gonflable, flotte sur l'eau comme un canard de bain. Il est perdu dans ses pensées. En le voyant comme cela, si loin de moi, je me rends compte que ça fait quelques jours qu'il est là sans l'être vraiment. Si j'avais une minute, si je m'écoutais, à l'instant je laisserais tomber mon kimono trempé et irais le retrouver dans cette flotte qui me tend les bras. Il y a un truc qui cloche, je le sens. Il faut que je creuse, mais pas maintenant, je n'ai pas le temps, j'ai dix mille trucs à gérer.
Ah oui, c'est vrai ! Vous ne savez pas, le buzz n'a pas dû arriver jusqu'en France, mais Marsh et moi, on est devenus des auteurs stars aux States ! Après toutes nos aventures, nous avons décidé d'écrire ensemble un roman qui raconterait toutes celles qu'on a vécues. Ce n'était pas particulièrement ni bien écrit ni original mais on a réussi à être publié par une toute petite maison d'éditions en Californie. Imaginez notre fierté d'avoir notre bouquin en papier entre nos mains ! Et puis, je ne sais même plus pourquoi, on a eu la chance d'être interviewés par le journaliste de la gazette locale. C'est là que tout a commencé et ensuite, on n'a plus rien maîtrisé…
Le type est venu, on était dans notre petite maison, pas celle-là, la première près de l'océan. On voyait que ça ne l'intéressait pas vraiment nos histoires mais il était payé pour faire le taf et devait nous poser des questions sur notre vie et notre parcours de fugitifs de l'époque. Il s'est pointé pour rencontrer les deux Frenchies qui avaient écrit leur cavale et il est tombé à la renverse quand il a vu qu'on vivait avec un coyote. Dans son article, je crois qu'il a écrit à peine deux lignes sur notre bouquin. Le reste, une page entière quand même, était consacré à Billy. Il racontait l'accident, comment on l'avait soigné, comment il m'avait défendu, comment il attrapait les trucs qu'on lui envoyait… Bref, il n'y en avait que pour le clebs. Et c'est là que notre notoriété a commencé.
Il y a eu d'autres propositions d'interviews, locales au début, puis nationales. Tous les médias voulaient inviter sur les plateaux de télé les deux auteurs français mais je crois bien que celui qui les intéressait le plus, c'était le coyote. En vérité, la vraie star de la famille, c'est Billy ! Et on a continué à écrire les aventures de Marsh et Les Yeux Bleus. On doit en être à huit ou neuf tomes, je ne compte plus. Ils ont déjà vécu mille vies, se sont promenés dans tous les coins des Etat-Unis, ces deux-là. Enfin non, ces trois-là ! On a une clause dans notre contrat pour que Billy soit toujours présent et acteur de nos périples.
Donc, aujourd'hui, on est riches et on habite une énorme baraque avec tout ce qu'il faut sur les hauteurs de Los Angeles. Et on a un agent, sauf, qu'il est en vacances en ce moment. Et celle qui se retrouve avec tout le boulot, c'est moi !
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