Welcome to San Fran

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Deux jours de plus sont passés.
J’ai pris mon temps sur la route. Impossible pour moi de rouler vite vers mon dernier rendez-vous. Je voulais m’imprégner des paysages, des odeurs du Pacifique, des couleurs. J’espérais me vider la tête devant ces spectacles, mais je ne pense qu’à elle. Du matin au soir. Rien ne résiste à son image.
Et si j’allais la retrouver ?
Rien de plus facile, je plante mon Mitshu sur le parking de l’aéroport de San Fran et d’un coup d’avion je rejoins New York. On a assez de thune pour se barrer ailleurs, loin des emmerdes, loin de Tony les bras longs, loin de sa fille.
L’idée traverse mon esprit… Un instant. Je la sais impossible. Ils nous retrouveraient où que l’on se planque. Je n’ai qu’une issue.

SFO s’étire en spaghettis de bitume sur ma droite. D’un coup de volant, il me serait facile de bifurquer et de prendre la tangente. Mais non. Je m’oblige à regarder devant, à fixer le panneau indicateur qui marque : Bayshore freeway 101 San Francisco. Quatre voies sanguines acheminant leurs flots de globules. Une même direction, le cœur. Une demi-heure plus tard, je m’engouffre dans les entrailles de la cité.
Cette ville a-t-elle un sens ?
Pour moi oui. Elle est différente. Peut-être du fait qu’elle est presque à taille humaine. Je ne sais pas, venir ici m’a toujours donné l’impression de ne pas être aux États-Unis. Une marge dans la démesure de ce pays, un point à part, un aimant. San Fran l’exclusive, San Fran l’inaccessible. Aussi belle qu’elle est redoutable, aussi lumineuse qu’elle est sombre. La parcourir apporte ce supplément d’âme qui fait défaut à beaucoup d’autres. Je m’y sens bien… Heureusement, c’est ici que je vais mourir.
Je longe la baie. D’un côté le liquide, de l’autre, North Beach succède à Chinatown. La brume écrase l’Oakland Bay Bridge. Il disparaît au pays des anges.
Où est le mien ?
Je l’imagine devant la fenêtre d’une chambre d’hôtel à Manhattan. Son regard se perd sur les méandres qui s’étalent à ses pieds. Elle y cherche encore à comprendre. Mais je la connais, je sais qu’elle ne va pas rester les bras croisés à attendre un message de ma mort. Je me doute que ses anciens contacts sont déjà à ma recherche. Ils me trouveront, mais trop tard.

Le soir tombe lorsque j’arrive au Pier 39 et à son parking à étages. Une place me tend les bras, j’y laisse mon vieux pick-up avec les clés sur le contact. Sans doute fera-t-il le bonheur de quelqu’un. Mon sac à l’épaule, je remonte Stockon Street. À hauteur de Broadway, je tourne sur ma gauche et parcours encore une centaine de mètres.
Rien n’a changé. La rue s’élève. Les restos chinois se disputent aux Italiens. Les façades balancent leurs premiers étages victoriens au-dessus des trottoirs. Trois vitres kaléidoscopiques reflétant une classe désuète.
À l’angle de Montgomery Street, une vitrine crache son rouge vif. Un logo que je n’espérais plus revoir agresse mes pupilles. Tony’s. Un tripot déguisé en restaurant chic. Il en existe un peu partout sur tous les continents. Un ramasse pognon qui a attisé beaucoup de convoitise. Toutes ont fini en rafales, en flaques de sang. Celui qui règne sur les hauteurs de Bonifacio est le premier à avoir vu le jour. Sa renommée, forgée d’argent sale, à permis l’extension de succursales. Tony les bras longs maîtrise leurs fonctionnements d’une main de fer, aidé en cela par le charme vénéneux de sa fille. Rien ne résiste au noir profond de ses yeux, à la fougue qu’elle met pour avoir ce qu’elle veut. Rien ni personne… À part moi. Jusqu’à aujourd’hui.

Ils ne m’attendent pas aussi tôt. Je n’ai pas encore reçu les dernières directives. Peut-être que l’effet de surprise va jouer en ma faveur et ouvrir un espace de négociation. Mais en fait, je n’y crois pas.
Avant d’entrer, j’attrape mon téléphone et tape un message. Le dernier. Après, ma vie ne m’appartiendra plus.
Une inspiration gonfle mon thorax. Lentement, je laisse l’air s’en échapper. Mon pouce effleure la touche envoi.
« Je t’aime. Pardonne-moi. »
L’instant suivant, le portable finit sa course sous les roues d’une voiture qui passe. Fracassé en mille morceaux.

J’entre.
Aussitôt, deux gorilles m’encadrent. Leurs mains fouillent mon corps alors que le contenu de mon sac se déverse par terre. L’un des mastodontes m’adresse un sourire noir, alors que l’autre me pousse à avancer. On passe les cuisines, puis une porte. Un couloir plongé dans l’obscurité se dévoile devant moi. Au bout, une autre ouverture maintenue fermée par une serrure métallique. Elle grésille à mon approche, s’ouvre sur un escalier. Un autre porte-flingue me fait signe de monter. Sans me toucher, il me dirige vers une porte capitonnée. Je la franchis.
Je ne distingue d’abord qu’une longue paire de jambes derrière un bureau. Leurs résilles ne sont qu’une invitation à l’amour. Une main surgit de derrière l’écran de l’ordinateur et m’invite à approcher. Elle apparaît.

Je pourrais dire que sa beauté m’irradie, mais non. Tout simplement parce que ce n’est pas elle que je regarde. Mes yeux ne quittent pas l’enfant assis sur ses genoux. Il a ceux de sa mère et un sourire espiègle. Lui aussi me regarde. Je devine une interrogation sur son visage.
Clara brise le silence.

  • Roberto, dit-elle, va dire bonjour à ton père.

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