Theos écarquilla les yeux.

-Que… Quoi ?!

Il se tourna vers Nah’Skaar, et posa ses mains sur son torse pour le regarder droit dans les yeux.

-Comment sont-ils entrés ? Pourquoi est-ce qu’ils viennent comme ça ? Ils ne vont quand même pas…nous attaquer ?

Son coeur battait à tout rompre. Les images de son ami, des Grands Prêtres, et de tous les Ygdriens en danger passaient dans sa tête en boucle. Il devait aller les aider ! Il savait se battre, il devrait bien pouvoir faire quelque chose !

Nah’Skaar fronça les sourcils en devinant ce qu’il se passait au fond des yeux verts pleins de fougue et de peur, désireux de sauver des vies.

-Tu ne bouges pas d’ici, ordonna-t-il, inquiet à l’idée qu’il se jette dans la bataille sans réfléchir. Pour l’instant ils ne font pas preuve de violence.

Le Dieu ferma un instant les yeux, et Theos devina qu’il épiait la scène grâce à ses tentacules qui parcouraient le temple. Il avait vite compris que ses appendices pouvaient ressentir les présences, les objets, et capter les sons et les odeurs. Ainsi Nah’Skaar pouvait observer et contrôler le monde entier, le tenant au creux de ses tentacules comme un père tiendrait son enfant dans ses bras.

-Ils discutent avec le Grand Maître. Les Soldats sont rassemblés. Pour l’instant il n’y a rien que tu puisses faire Theos…

Le blond serra la mâchoire et les poings.

-Que viennent-ils faire ici ?

Le regard de Nah’Skaar s’assombrit et il caressa la joue de son Prétendant avec tendresse.

-Nos deux peuples sont ennemis, je ne pense malheureusement pas que leurs intentions soient bonnes.

Il embrassa son front.

-Je suis soulagé que tu sois là et non à la surface Theos… Tu n’es pas en danger de cette façon.

-Mais je ne suis pas le seul qu’il faut protéger, souffla Theos, tous les Ygdriens sont en danger !

-Ne t’en fais pas Theos, notre peuple est bien plus puissant que tu ne sembles le croire… Je surveille Agnaor et leurs interprètes depuis des années… Nous sommes prêts à leur faire face…

-Leur Dieu s’appelle Agnaor ?

-Oui… C’est un bon Dieu, mais il est muet, tel la roche noire qu’il peut contrôler. Ses intentions sont parfois difficiles à comprendre pour les interprètes de ses ordres et les Wat’s en profitent… Il est comme un volcan au repos, silencieux et patient, il préfère observer plutôt qu’agir, car lorsqu’il le fait…

Nah’Skaar secoua la tête.

-Il n’a agis qu’une seule fois auprès des humains, et son intervention a failli causer la perte de ce monde si je n’avais pas noyé tous les volcans pour l’empêcher de détruire la terre.

Theos serra les poings, à la fois énervé et déçu qu’il ne puisse rien faire pour contrôler ses croyants.

-Il ne peut vraiment rien faire pour les empêcher d’agir ?

Nah’Skaar soupira et serra un peu plus Theos contre lui.

-C’est à cause de lui que les Dieux ont interdiction d’intervenir dans les conflits humains… Nous ne pouvons interagir avec vous, vous toucher et vous féconder que si vous vous rendez dans nos sanctuaires de votre propre initiative et consciemment… Nous n’utilisons nos pouvoirs qu’en cas d’extrêmes urgences…

Theos gémit contre lui.

-Mais il doit bien pouvoir faire quelque chose ! Montrer à son peuple qu’ils se trompent et qu’il ne veut pas ça !

-Nous vous proposons un chemin mais c’est à vous de choisir si vous voulez l’emprunter ou non… Nous ne sommes pas maîtres de vos pensées, de vos envies… Nous ne faisons que vous conseiller et vous guider, et vous perdre est une chose qui peut facilement arriver…

Theos ferma les yeux et grimaça. Les Wat’s commettaient tant d’atrocités envers ceux qui n’étaient pas de la couleur de leur Dieu… Et Agnaor semblait impuissant face à eux, enchaîné par ses pouvoirs et incapable de communiquer clairement, faisant face à une éducation erronée, des enfants élevés dans la peur de la différence, dans la haine de l’autre, et dans l’idée que détruire les choses qui ne nous plaisent pas est la seule solution envisageable.

S’ils savaient… S’ils pouvaient seulement comprendre que la haine et la violence ne peuvent qu’engendrer encore plus de haine et de violence… Un animal qui se trouve en danger ne commence pas à respecter celui qui le blesse, il en a peur… Et dès qu’il aura le dos tourné, qu’il aura une seconde d’inattention, il le blessera à son tour, et tentera de le tuer…

Nah’Skaar allait parler à nouveau mais il se crispa d’un coup et son visage s’assombrit.

-Prends une grande inspiration Theos, ordonna-t-il d’un ton qu’on ne pouvait pas discuter.

Le blond obéit rapidement, retrouvant dans cette injonction le Dieu puissant et sévère qu’il admirait tant et se retrouva en à peine quelques secondes dans sa chambre. Un tentacule glissa dans ses cheveux.

-Ils ont commencé à attaquer, expliqua-t-il. Reste ici et ne bouge surtout pas !

Theos écarquilla les yeux et voulu retenir Nah’Skaar mais il avait déjà disparu sous l’eau. Il déglutit, imaginant le chaos qui devait envahir le temple…

Pourquoi ? Pourquoi devaient-ils se faire attaquer comme ça ? Pourquoi les Wat’s ne respectaient pas leur culte, considérant que ces histoires de Prétendants et de fécondation étaient des aberrations, des horreurs qui n’avaient pas lieu d’être ? Ils avaient souvent cherché à assassiner ceux qui se présentaient aux épreuves mais jamais ils n’avaient envahis Ygdrae…

Theos imaginait ses amis, ceux qu’il considérait comme sa famille, son peuple, agressé par ces Wat’s, tombant sous leurs coups, se battant du mieux qu’ils pouvaient… Une brève pensée alla à Calhan, le rassurant un instant grâce à la force du soldat, avant de craindre à nouveaux pour toutes ces vies fragiles…

Non ! Il ne pouvait pas rester sans rien faire ! Jamais !

Sans réfléchir une seconde de plus, il s’élança, plongeant dans l’eau pour revenir dans la grotte principale, rejoindre Nah’Skaar et le convaincre de sauver les Ygdriens, malgré son interdiction d’intervenir.

Il déboucha dans la grotte, émergeant dans une grande gerbe d’eau, et écarquilla les yeux devant le spectacle qui se déroulait devant ses yeux.

Des Wat’s étaient descendus jusqu’ici… Ils avaient pénétré leur sanctuaire le plus sacré, le souillant de leurs présences impures et violentes, de leurs esprits remplis de haine…

Et ils en payaient le prix.

Ils avaient pénétré le territoire d’un Dieu qui ne les laisserait jamais blesser ni sa descendance ni son Prétendant. Ses tentacules les plus grosses s’étaient soulevées, plus lourdes que des maisons entières, et s’étaient jetées sur eux, les écrasant par leur poids, les enserrant dans une étreinte mortelle, faisant éclater les os, la chair et gicler le sang… Un spectacle épouvantable se déroulait devant ses yeux alors que son Dieu, immobile, assis sur son siège et ses yeux d’or brûlant d’une rage non contenue, tuait avec une violence innommable ces intrus. Les cris de douleur résonnaient dans la grotte, le bruit des corps qui cédaient sous la pression et l’odeur de la mort…

Le souffle de Theos s’était coupé devant tant de violence, tant de force. Et pourtant il n’avait pas peur, parce que c’était Nah’Skaar. Il se tourna vers lui et se mit à nager pour le rejoindre, tournant le dos à un ennemi caché dans l’ombre…

Theos ne vit rien venir, hypnotisé par son Dieu, confiant sur ses capacités à le protéger, insouciant… La flèche traversa son corps dans un bruit mat, déchirant sa chair d’un coup. Il s’immobilisa, les yeux un instant écarquillés face à la douleur qui s’abattit sur son corps, le faisant hoqueter et gémir, portant ses mains à son coeur transpercé, avant de sombrer dans l’eau.

Il ne pu que voir le regard de Nah’Skaar tomber sur lui, un regard chargé de peur et de rage. Theos tentait de respirer mais son coeur avait été touché de plein fouet, et son sang se figeait peu à peu dans ses veines…

Les bras sombres de la mort se refermèrent sur lui, le plongeant dans une étreinte glacée, bien trop loin des bras de l’être qu’il aimait, et qu’il ne pourrait plus jamais sentir…