Chapitre 43 - Le doyen
Elizabeth
Le jour tant redouté est enfin arrivé. Je ne vais pas aller à mon dernier cours de français du semestre. Cassidy prendra des notes pour moi, même si ce n’est pas la première chose qui me préoccupe.
Ma meilleure amie a tenu à m’accompagner avant le cours jusqu’au secrétariat. Elle d’habitude si optimiste ne dit rien sur le chemin des Enfers. Malgré son insouciance, Cassidy se rend compte de la gravité de la situation. Elle sait que je risque de perdre ma place à l’université.
Depuis que je suis à la fac, j’ai toujours été avec elle. Imaginer terminer mes études sans l’avoir à mes côtés ne m’est jamais venu à l’esprit. Mais ça, c’était avant de rencontrer Timothy Grayson.
Je ne me rends pas compte que nous sommes arrivées devant la porte du secrétariat. Mon amie s’est arrêtée et serre ma main dans la sienne. Etrangement, elle ne parvient pas à parler. Ses yeux sont brillants parce qu’elle retient ses larmes. Avant de me laisser, elle me prend une dernière fois dans ses bras.
Elle s’éloigne à regret en me laissant seule face à la porte. J’inspire une dernière fois puis je pousse la porte entrouverte sans frapper.
Je découvre une vaste pièce décorée de plantes, de fauteuils et de bibliothèques fournies. Je m’avance au large comptoir de la secrétaire. Caché derrière celui-ci, elle lève les yeux vers moi.
- Mademoiselle Davinson ? demande-t-elle d’une voix automatique.
- C’est moi, je réponds d’une voix étranglée.
- Le doyen vous attend dans son bureau.
Après m’avoir indiqué l’endroit où je dois me rendre, la secrétaire repose les yeux sur son ordinateur.
Je me dirige à pas lent devant la porte. Mon corps devient moue et ma tête commence à tourner. Non, ce n’est pas le moment de s’évanouir. Je frappe avec conviction dans l’espoir d’avoir droit à une place assise sous peine que je ne tienne plus debout.
- Entrez, répond une voix forte.
Lorsque j’ouvre la porte, je découvre avec surprise le professeur Grayson assis face au doyen. Il ne me regarde pas mais il sait que je suis là.
- Asseyez vous mademoiselle Davinson, m’indique l’ancien d’une voix peu accueillante. Nous allons en avoir pour un petit moment.
La pièce est inutilement grande. Il y a un petit salon confortable avec une masse impressionnante de livres posés sur les étagères. Le doyen est chauve, grassouillet approchant de la soixantaine. Il semble petit derrière son imposant bureau en chêne verni. En conclusion, le lieu est austère et digne des clignés que nous retrouvons dans les films.
- Bien, commence le doyen avec force pour que je me concentre sur lui. Maintenant que tout le monde est là nous allons pouvoir commencer.
Mon cœur continue de s’accélérer. La manière dont il parle me laisse penser que je suis devant la cour de justice pénale.
- Mademoiselle Nancy Rathbone, professeure au MIT m’a informé d’une petite déconvenue qui n’est pas en accord avec les valeurs de cette prestigieuse université.
Le doyen prend un malin plaisir à parler lentement pour faire durer le suspense.
- Pour le bien et l’image de cet établissement, je ne peux pas laisser passer de malencontreux flirt entre un professeur et une étudiante. Vous comprenez donc que des mesures doivent être prises.
Je serre un peu plus mes doigts contre mes paumes. Mes ongles rentrent dans ma peau mais cela m’est égal comparé à ce qui m’attend.
- Voilà comment ça va se passer. Votre cas passera devant le conseil d’administration qui décidera de votre sort dans l’intérêt de Cambridge. Bien entendu, ce sera un petit comité tenu au secret. Je ne tiens absolument pas à ce qu’une histoire de ce genre s’ébruite sur le campus ou dans les médias.
Tu parles… il a juste peur de perdre de généreux donateurs.
- Je n’ai pas connaissance de tous les détails, c’est pourquoi je vous ai convoqués tous les deux, poursuit-il en nous toisant avec sévérité. Je vais enregistrer votre témoignage pour le remettre au conseil d’administration. Mais ne vous faites pas trop d’illusions. L’un d’entre vous va devoir quitter définitivement l’université.
- Renvoyez-moi, s’exprime le Timothy d’une vois forte et déterminée. Laissez-moi démissionner pour que mademoiselle Davinson puisse rester.
- Cela ne marche pas comme ça professeur Grayson, rétorque le doyen avec irritation. C’est le conseil d’administration qui va décider. Si vous choisissez de démissionner cela n’influera pas sur l’avenir de mademoiselle Davinson dans cette université.
Je vois discrètement le professeur se tendre et serrer les poings contre sa cuisse. Son costume est parfaitement repassé et ses lunettes sont tout à fait droites sur son nez.
- Votre cas sera rapidement réglé, explique l’ancien. Ce soir le Conseil se réunit en urgence et demain à la même heure qu’aujourd’hui, vous serez dans mon bureau. Je vous ferais part de la délibération du Conseil.
Je continue de regarder une réplique miniature de la Vénus de Milo sur le bureau du doyen. Je n’arrive pas à le regarder dans les yeux. Pourtant, je sais exactement quelle expression faciale il doit avoir.
- Maintenant passons aux aveux, nous recentre l’ancien. Avouez-vous entretenu une relation privée en dehors du cadre scolaire ?
Je ne veux pas répondre car j’en suis incapable. Je préfère que Timothy guide la barque pour que je ne dise pas de bêtises. Le doyen nous observe tour à tour en attendant une réponse puis je sens Timy remuer sur son siège.
- Oui, dit simplement ce dernier.
- J’attends une réponse un peu plus développer, s’énerve l’ancien.
- Nous avons une relation qui a commencé lors du Congrès à Washington, développe calmement l’homme que j’aime. Toutefois je n’ai jamais privilégié mademoiselle Davinson en classe.
Le doyen s’enfonce dans son siège les bras croisés.
- Je ne comprends pas pourquoi vous avez mis en danger votre si belle carrière pour batifoler avec une étudiante sans intérêt, commente le directeur. Cela me semble irréaliste. A vrai dire, j’ai failli ne pas croire mademoiselle Rathbone.
Je vois la veine dans le cou de Timothy gonflée. Il se retient de ne pas exploser de colère.
- Vous vous demandez pourquoi ? fait semblant de s’étonner le professeur avec froideur. Mais par amour voyons.
Le doyen n’en revient pas et je lève enfin les yeux vers lui. Sa carcasse imposante manque de glisser du siège. Il prend un mouchoir pour essuyer son front plein de transpiration. Il s’agite quelques secondes avant de devenir tout rouge.
- Je n’arrive pas à croire que vous me faite ça Grayson ! s’emporte-t-il. Ce n’est pas possible ce genre de chose, ça n’arrive que dans les films.
- Je vous assure que c’est vrai monsieur, ajoute l’intéressé.
- Comment pouvez-vous prétendre cela ? Vous ne voulez tout simplement pas avouer que c’est un fantasme de coucher avec votre élève !
- Vous allez trop loin ! s’écrit Timothy.
- Je me chargerais personnellement de votre cas que vous venez d’aggraver, dit le directeur en le fusillant du regard.
Un silence pesant s’installe dans la pièce. Il faut que le vieux se remette de ses émotions puisqu’il ne croit pas qu’un tel amour puisse être possible. Une fois calmé, il redresse sa carcasse grassouillette. Je n’ai rien dit de tout l’échange et cela me convient très bien. Au moins, je n’aurais dit aucunes bêtises.
- Laissez-moi vous dire que je suis vraiment très déçu de vous deux, conclu le doyen. Vous êtes une figure importante dans votre domaine et un atout pour cette université, professeur Grayson. Quant à vous mademoiselle Davinson, vous faites partie des meilleurs élèves de votre promotion. Je ne comprends pas vos choix mais vous devez les assumer. Maintenant, vous pouvez disposer.
J’ai beaucoup de mal à me lever car mes jambes sont engourdies. Je manque de tomber mais Timothy me rattrape instinctivement par le bras. Mon regard croise un instant le sien. Je peux y voir de l’inquiétude ainsi que de l’amour.
Voyant que le doyen nous observe les sourcils froncés, Timy retire brusquement sa main. Je me détourne vers la porte suivis par l’homme que j’aime. Je lance un « bonne journée » au doyen puis je quitte le bureau.
Je sens la présence de Timothy qui marche à quelques mètres de moi dans mon dos. Ça me fait si mal au cœur de le sentir si près de moi et de ne pas pouvoir lui parler ni le prendre dans mes bras.
Je ne peux pas retenir mes larmes plus longtemps alors je me précipite dans les premiers toilettes que je croise. Je m’enferme dans une cabine puis je laisse mes pleurs déchirer le silence. Les étudiantes doivent être en cours à cette heure-ci et personne ne va venir m’embêter.
J’aurais dû me douter que le doyen allait nous sortir des paroles de ce genre. Pourtant, elles sont tellement dures à assimiler. Timothy se sent impuissant face au doyen. Je sais qu’il a essayé de me protéger mais il n’a pas réussi. A défaut de perdre ma place ici, j’espère que je pourrais être avec lui. C’est mon seul souhait et mon dernier espoir.
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