Elizabeth

Une fois que je me suis calmée, je prends mon sac laissé près de la cuvette puis je sors des toilettes. Je redresse mon écharpe et mon manteau puis je me dirige vers le bâtiment de langue. Cassidy devrait sortir dans quelques minutes.

Lorsque mon amie me repère à la fin du cours, elle se précipite vers moi. Vu sa mine inquiète, je pense qu’elle doit voir mes joues rouges et mes yeux gonflés.

- Mon Dieu, que s’est-il passé ? demande-t-elle en me serrant contre elle. C’était si horrible que ça ?

- Timy a essayé de témoigner en ma faveur mais il n’a pas réussi, j’explique. L’un de nous va devoir quitter cette université. C’est le conseil d’administration qui va décider ce soir.

- Je suis vraiment désolée Lise…

Nous restons en silence dans les bras l’une de l’autre. C’est la pause déjeuner mais je n’ai pas du tout faim.

- Tu peux rentrer chez toi si tu le souhaites, me conseille-t-elle. Nous avons le professeur Grayson cet après-midi.

- Non, je souhaite assister au cours sinon je vais me morfondre dans mon lit, je lui confie. Et puis, je préfère encore être dans la même pièce que lui, même si je ne peux pas me retrouver dans ses bras. De plus, je ne sais pas comment ça va se finir alors je veux profiter des derniers moments qu’il me reste avec lui.

Cassidy acquiesce puis me guide vers la cafétaria. Evidemment, je ne peux pas échapper au repas quand elle est là. Elle choisit même ce que je vais manger.

Nous nous installons à une table à moitié vide. Je remue ma salade de pâtes bien plus appétissante que le rosbif à la sauce douteuse. Ma meilleure amie me lance un regard sévère qui me pousse à manger. Mon estomac n’est pas d’accord mais je n’ai pas d’autre choix. En plus, je ne me suis pas restauré ce matin et je ne tiens pas à faire un malaise.

A vrai dire, je me rends compte que je ne redoute pas le cours de Timothy Grayson quand nous entrons dans l’amphithéâtre. Je suis même heureuse de voir son visage lorsqu’il entre. Son humeur massacrante n’échappe à personne. Je pense que pour le dernier cours magistral, les élèves vont se tenir à carreau car ce n’est pas le moment de s’attirer les foudres du professeur.

Je suis presque déçue de le voir tourner vers son tableau ou vers ses notes. Peut-être n’a-t-il pas le courage de croiser mon regard ? J’aimerais comprendre cet éloignement visuel soudain.

Après quelques instants de réflexion, je pense qu’il a peur de se compromettre en un seul regard. Ma chute dans le bureau du doyen a sonné comme un avertissement.

Je ne suis pas vraiment concentrée sur le cours alors mon amie me glisse ses notes à la fin de la séance. Je me sens complètement vidée par la journée alors je suis heureuse de rentrer chez moi.

Cassidy est toujours inquiète et insiste pour rester au studio avec moi. Je lui dis que tout va bien et que j’ai besoin d’être seule.

Même si je ne peux rien faire contre la décision du conseil d’administration, j’ai espoir de revoir mon professeur dans l’intimité. Je ferme les yeux dans mon lit, à la recherche d’image apaisante. Mes parents ne sont toujours au courant de rien et je vais devoir leur expliquer.

***

J’ai l’impression d’avoir dangereusement perdu du poids depuis quelques jours. Ma peau est blanche et j’ai des cernes sous les yeux. Mes cheveux semblent anormalement flamboyants à cause du contraste avec ma peau pâle.

J’essaie de masquer comme je peux ma fatigue ainsi que mon désespoir. Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas envie d’aller en cours. Je préfèrerais me lever pour aller directement voir mon beau professeur dans sa chambre. Je me hisse du lit uniquement pour regarder l’heure.

Maintenant les dés sont jetés, il reste plus qu’à savoir qui de nous deux va être renvoyé. Il est bientôt dix heures et je suis prête à faire face à la secrétaire grincheuse et au doyen conservateur.

Lorsque je me présente la tête haute avec plus de détermination que jamais, la secrétaire est au téléphone. Je ne sais pas où je puise ce courage mais je l’ai. L’employée me fait signe d’aller dans le bureau du président de l’université.

- Pff… je ne sais pas ce que cette fille a fait de si spécial pour attirer l’attention du doyen, marmonne-t-elle à son interlocuteur.

Si seulement elle savait…

Comme la dernière fois, Timothy est déjà installé dans le même fauteuil en face du bureau du doyen. Il semble de meilleure humeur maintenant que le problème est sur le point de se régler.

- Bien, maintenant que mademoiselle Davinson nous a rejoint, je vais pouvoir vous annoncer les dernières nouvelles vous concernant.

Il marque une pause pour faire durer un suspens qui ne nous intéresse pas. Nous le regardons sans rien laisser paraitre. Quand il voit que l’effet escompté n’a pas fonctionné, il se renfrogne sur son siège.

- Professeur Grayson, le conseil d’administration a décidé de vous renvoyer pour ne pas qu’une telle histoire se reproduise, explique-t-il d’une voix lente et posée. Il a décidé presque à l’unanimité que vous étiez responsable d’avoir séduit mademoiselle Davinson. Vous terminez vos cours de cette semaine, assisterez aux examens puis une fois les copies corrigées, vous ne pourrais plus remettre les pieds ici. Je tiens à vous signaler de débarrasser votre bureau avant la fin de la semaine. Nous trouverons un mot d’excuse pour les étudiants concernant votre départ donc inutile vous en soucier.

Evidemment, tant que le doyen et l’université contrôle la situation, ils sont sûr de ne pas perdre la face.

Timothy semble presque soulager par cette annonce. Ce qui signifie que je ne vais pas être renvoyée.

- Je vous remercie d’avoir pris cette décision, dit-il avec un petit sourire en coin.

- Inutile de me remercier, ce n’est pas moi qui ai pris la décision et je suis même désolé pour les élèves qui perdre un professeur de talent.

Tous les enseignants ici sont des figures reconnues alors je ne vois pas pourquoi il cherche à faire mousser Timy.

- Quant à vous mademoiselle Davinson, reprend-t-il d’une voix plus forte en se tournant vers moi. Vous avez un simple rappel à l’ordre. Mais sachez bien qu’au moindre écart vous serez renvoyée en perdant vos bourses au passage. Et je ne veux plus vous voir dans mon bureau sauf pour vous remettre une récompense.

- J’ai bien compris monsieur, je prononce d’une voix claire.

Même si je me sens mal pour l’homme que j’aime, je suis comme libérée d’un poids. Maintenant que nous savons ce qui nous attends, je n’ai plus besoin d’avoir peur du regard des autres. Personne ne saura jamais rien à part le cercle fermé des dirigeants de l’université.

- Vous pouvez disposer, termine le doyen en nous faisant signe de partir.

Je quitte le bureau aux côtés de Timothy. Je suis assez proche de lui pour sentir son parfum masculin. Je n’ai pas le temps de profiter de cette sensation qu’il change de direction. Je suis presque peinée par son attitude mais je comprends qu’il ne peut pas m’enlacer en plein milieu du couloir.

Une fois arrivée dehors mon téléphone sonne. C’est étrange que ma mère m’appelle en pleine matinée.

- Bonjour maman, je commence prudemment.

- Lise, je viens de recevoir une lettre de l’université, dit-elle avec inquiétude sans même me saluer.

Généralement, quand elle ne me dit pas bonjour, c’est qu’il y a un problème.

- Elle est à ton nom mais je l’ai ouverte. Il y est écrit que tu reçois un rappel à l’ordre. J’aimerais savoir pourquoi.

Je n’ai jamais eu de mots dans le carnet, jamais été collée et jamais été renvoyée. Alors, je comprends que ma mère soit inquiète de recevoir ce type de courrier. En tout cas, le doyen a dû s’arranger pour que ça arrive le plus vite possible chez moi.

- Euh… comment expliquer.

- Dis-le-moi tout de suite ! s’écrit ma mère.

Je n’avais pas du tout prévu que ça se passe comme ça. Je n’ai même pas préparé de discours pour lui révéler la vérité.

- C’est parce que je suis en couple avec un professeur de l’université, je finis par révéler.

Un silence de mort s’installe à l’autre bout du fil.

- Je n’arrive pas à croire ce que tu es en train de me dire, avoue-t-elle en soupirant. Je te préviens que dès ton retour pour les vacances tu vas me devoir quelques explications supplémentaires jeune fille.

- Ne t’inquiète pas, le problème a été réglé et je ne suis pas renvoyée, je dédramatise. Tout va redevenir comme avant à l’université.

- Je l’espère pour toi Elizabeth.

Je n’ai pas le temps d’ajouter quoi que se soit que ma mère raccroche. Ça s’est mieux passé que ce que j’avais prévu finalement.

J’espère qu’elle acceptera ma relation avec Timy. Enfin, s’il y en a toujours une d’ici là.