A l'aube de mes 18 ans, Il m'a fait me sentir belle. Je n'étais pas spécialement sûre de mes atouts et de mon charme mais mon prince Valseur avait une façon de me regarder qui faisait que je ne pouvais pas me sentir autrement que jolie. Il m'a transporté au-dessus de tant de parquets de danse, il a fait virevolter tant de fois les jupes longues que je portais pour lui. Il portait sur moi un sourire tellement doux et chaleureux, que je sentais grandir en moi force et confiance. Il a instantanément apprécié mes cheveux blonds et mes yeux bleus.
Il m'a offert sa vie, son nom et un bout de chemin avec lui. Il a fait de moi une femme, il a fait de moi une maman. A la maternité, je ne me suis pas spécialement sentie belle, avec la fatigue, les douleurs et les doutes, mais j'ai vu dans son regard tout l'amour qu'il me portait et qu'il portait à chacun des bébés qu'il est allé cueillir à la naissance de mes cuisses.
Il n'a jamais été jaloux du regard que les hommes posaient sur moi, il souriait et répondait simplement merci quand on lui disait qu'il avait une belle cavalière qui dansait bien. Moi j'étais un peu fâchée de voir les femmes tourner autour de lui, les bons danseurs étaient un peu rares et il faisait l'unanimité.
Au matin du jour où il fallu fermer son cercueil, j'ai réchauffé mon coeur brisé aux gestes d'amitié de toutes celles et ceux qui étaient autour de moi et des enfants. Les pieds ancrés dans le sol, autant que c'était possible de le faire, j'ai pris le micro et au-delà de mon chagrin, j'ai raconté, dignement, la belle histoire qui était la nôtre et que la maladie avait fracassée.
Dans les semaines qui ont suivi, j'ai mis un pied devant l'autre, avec mes yeux bleus inondés de larmes et mon sourire chevrotant. J'ai croisé une connaissance, qui ayant appris ce qui m'était arrivé, m'a dit : "J'n'en reviens pas, tu as le sourire et en plus, tu es restée belle !" Je ne me suis pas démontée et je lui ai répondu : "il ne manquerait plus que ça rende moche !" J'étais estomaquée.
Alors oui, je suis restée belle; je continue d'avancer, un pas devant l'autre, avec mon coeur cicatrisant, mon sourire et mes yeux bleus que mon mari aimait tant. Et certains soirs, je pleure, ça arrose simplement la belle plante que je suis. Je suis fière de mes formes, de mon regard et du chemin que j'ai parcouru, sans lui.
Mais j'aimais tant entendre sa voix me dire "tu es belle". Alors je tourne mon regard vers le ciel et j'attends la caresse du soleil se poser sur ma peau, en imaginant que c'est un énième baiser qu'il me donne.