I

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Dans l'après-midi, sous la chaleur du soleil, la Dernière Procession avait fait son entrée dans la ville oasis d'Oulysinial. Pour la première fois, les deux héritiers du royaume se trouvaient à sa tête, remplaçant leurs parents. Cela faisait maintenant plus de trois semaines que la Procession était partie de Premil, capitale du royaume des chevaucheurs de dragons, pour remonter vers le nord, et tout s'était déroulé à merveille.

La Grande Procession était l'une des quatre principales célébrations du royaume. Dans le temps lointain où les relations entre les humains du royaume et les dragons étaient amicaux et courante, cette Procession, en plus d'être la dernière à se rendre jusqu'au pays des dragons, était l'un des plus grands rituels magiques du continent. Ce dernier permettait, à la fois d'offrir une protection magique pour protéger le royaume de toute attaque extérieur, surtout celle visant les dragons, ainsi que de rendre l'entièreté des terres arrides du royaume cultivables. Malheureusement, avec la disparition des dragons et les cinq siècles qui s'étaient écoulés, le rituel avait été perdu et la Procession n'était plus qu'une fête qui permettait à la royauté de ce mêler durant un mois à la population.

Cette année, la célébration était l'occasion, pour le prince Palantir et sa sœur jumelle Éledhwen, tous deux âgés de vingt ans, de quitter le château dans lequel ils avaient grandi et où ils étaient restés enfermés. Pour eux, c'était également l'occasion d'être au plus proche du peuple. Par tradition, les souverains accompagnant la Procession perdent temporairement leur privilège et il est de coutume d'abandonner tout protocole royale. Bien sûr, il est compliqué d'oublier qui ils sont réellement, mais leur envie sincère de s'intégrer au reste de la foule finissait lors de chaque étape par avoir le dessus sur les appréhensions de la population. Il faut dire que contrairement à leur parent qui appliquer un système qui ressemblait toujours plus autre monarchie du continent, les deux héritiers tenaient en haute estime les souverains d'antan tel que le roi Nómin ou la reine Athelleen. Ces derniers étant plus des protecteurs et des juges suprêmes que de réels souverains pour le peuple libre des chevaucheurs. Bien que conscient que l'époque était bien différente, les deux héritiers, bien que refusant le pouvoir, espérait pouvoir changer le système actuel. Et ils profitaient de chaque instant que cette célébration leur permettant de se mêler à la population pour tenter de comprendre.

Malgré tout, une grande partie de la garde princière, formée depuis cinq ans sous le commandement d'Élentir, les accompagnait pour assurer leur sécurité, mais également pour faire la fête. Sur les vingt-trois membres de la garde, seuls quatre d'entre eux étaient restés au palais pour s'occuper des affaires urgentes. Deux autres étaient aussi en congé auprès de leurs familles. Ou en train de décuver. Le reste profitait des festivités au même titre que les héritiers, bien qu'ils furent plus discrets. En effet, hormis leur commandante et son adjoint Égilon, les gardes ne portaient aucun signe distinctif, leur permettant de se fondre dans la masse.

Après l'arrivée de la Procession, les longs rituels s'étaient déroulés avec ferveur. Certains chevaucheurs superstitieux pensaient encore que ce rituel, s'il était bien accompli, rendrait les terres fertiles. Bien qu'il fut connu de tous que le véritable rituel était perdu et ne fonctionnait sûrement qu'avec l'aide des dragons, l'espoir perdurait toujours que la grande famine prenne enfin fin. Enfin, après tous ces cérémoniels, les festivités avaient pu commencer. Un grand banquet avait été installé avec l'aide de chacun. Même les deux héritiers et leurs compagnons n'avaient pas hésité à apporter leur aide malgré la fatigue de ce long voyage.

Malgré la famine, un grand buffet avait été dressée remplie de victuailles venant des précédents arrêts rajoutés aux traditions locales. Ce soir-là, tout le monde mangeait à leur faim et buvait de tout leur saoul. Les gens riaient, chanter, danser autour d'un grand feu de joie. Les nobles de la procession se mêlant aux habitants de la ville et de ses environs. Déjà, peu regardant sur les classes, le peuple du royaume oublié toute étiquette lors de leurs festivités. Cette procession permettait également aux chevaucheurs de découvrir les coutumes différentes du reste du royaume. En effet, n'importe qui pouvait se mêler à la procession, et il était coutume pour beaucoup de jeune chevaucheur d'y participer au moins une fois si la famille pouvait se le permettre. Il arrivait même que certaine tribu nomade accompagne pour un temps la procession.

Personne ne remarqua dans toute cette agitation, l'ombre qui se déplaçait difficilement dans la foule. Bien qu'elle se démarque particulièrement de la foule joyeuse, elle réussissait l'exploit étrange de se fondre dans la masse, progressant vers une destination qui lui était encore imperceptible.

Au cœur de cette foule, les deux héritiers en compagnie d'Élentir écoutaient les histoires saugrenues d'un vieux conteur. Rigolant devant ces récits invraisemblables. Éledhwen buvait sans retenue, participant de bon cœur, à la conversation, jamais lassé de ce voyage. Palantir, rigolant plus de d'habitude, regrettait presque de ne pas avoir participé plus tôt à la célébration annuelle. Il avait appris bien plus d'histoire et de légende de son peuple lors de ce voyage qu'enfermé dans la bibliothèque ou avec les cours certes très complets de maitre Lómelindi, gardien du savoir. Alors que le vieil homme prenait une longue pause pour reprendre son souffle et s'hydrater un peu, une jeune fille, toute gênée, se présenta à lui pour quémander une danse. Agréablement surpris, le jeune prince accepta sans hésiter et partie avec la jeune danseuse.

L'ombre avait enfin repéré son objectif. Elle se rapprocha laborieusement, ressentant toute la douleur de ce long voyage et la fin de sa triste mission.

Après quelques pas de danse, le prince laissa joyeusement sa partenaire de danse au bras d'un autre danseur, rejoignant sa sœur et son amie, toutes d'eux se moquant de lui dans de grands éclats de rire. Ne relevant pas, il se servit un verre quand l'ombre apparut devant eux, s'effondrant presque dans ses bras.

– Auriane, s'exclama inquiète Élentir en apercevant la femme dans un pauvre état. Ça va ? Tu as l'air fatigué. Tien bois un coup.

L'ancienne voleuse accepta volontiers de boire quelques gorgées, malgré urgence de son message. Elle, qu'on remarquait habituellement par sa beauté, avait perdu toute sa superbe. Ses cheveux courts, de coutume d'une belle couleur châtain doré, étaient noircis de poussière et ses yeux gris, ordinairement si plein de malice, étaient remplis d'une profonde fatigue, cachant à peine une grande souffrance. Jamais Élentir n'avait vu celle qu'elle considérait comme une sœur, l'une des gardes avec la plus grande force mentale, ainsi fatiguée et abattue. Élentir pouvait ressentir toute la souffrance de son amie au plus profond d'elle et s'était si insupportable qu'elle dut faire taire son pouvoir pour ne plus partager ce lourd fardeau.

Quand la courageuse femme eut repris difficilement son souffle, Palantir s'informa avec douceur, mais fermeté :

– Que fais-tu ici ? Ne devrais-tu pas être au palais ?

Auriane faisait partie des gardes restés en poste au palais. Elle n'aurait pas dû se trouver ici, encore moins dans cet état. Elle observa son prince avec une grande tristesse et une grande douleur. Malgré ses propres souffrances, elle ressentait beaucoup de compassion pour lui comme pour sa sœur. Le message qu'elle devait transmettre était si lourd, elle aurait tant aimé qu'il ne soit qu'un simple cauchemar. Que tous ceux qu'elle avait vécus jusqu'ici ne soit qu'un simple mauvais rêve. Pourtant, il lui fallait annoncer cette horrible nouvelle. Après avoir un peu repris son souffle, elle murmura en fixant successivement Palantir et Éledhwen :

– Je suis désolée, j'ai un message à transmettre. Mais je ne vois pas de manière douce de le dire.

Elle fit une pause, une larme coula sur sa joue ce qui n'arrivait pourtant jamais. Son auditoire proche perdit toute joie et tout sourire...

– L'empire nous a attaqué, la capitale est tombée, le roi et la reine ont été exécutés, finit-elle par déclarer d'une traite.

Palantir et Éledhwen restèrent figés, ne parvenant pas à comprendre les mots de cette femme qui le regardait avec autant de compassion que de souffrance. Une rumeur circula dans la foule. Alors, doucement, les derniers rires et les chants se muèrent en silence. La foule festive se retrouva endeuillée en un instant. Plus personne ne parlait, plus personne ne bougeait. L'information était trop compliquée à intégrer.

La voix calme, mais ferme de Palantir rompit ce silence :

– Qu'est-il advenu des guerriers, ministre et de... Il fit une courte pause pour garder contenance. De notre frère et notre sœur ?

– En-dehors des combats, seul le roi et la reine ont été exécutés avant mon départ. Les autres dignitaires, soldats, chevaliers ont été faits prisonnier. Le prince et la princesse étaient également vivants quand j'ai réussi à quitter la capitale.

Palantir et Éledhwen ne surent comment prendre la nouvelle. Plus personne n'osait parler. Il fallait plus d'une semaine pour se rendre à la capitale. Pourtant, beaucoup de personnes dans la foule avaient des connaissances ou de la famille aux abords du Château.

Élentir s'approcha d'Auriane dont les trait était tirée par la fatigue et la faim. Elle avait chevauché nuit et jour, mangeant et buvant à peine. Quand sa monture n'avait pu continuer, elle avait couru. Elle n'avait mis que quatre jours pour venir. Elle pouvait s'effondrer d'un moment à l'autre. Élentir la guida jusqu'à une chaise, l'installant au mieux, chuchotant :

– Je te remercie, tu as fait ce qu'il fallait.

La femme perdue connaissance aussitôt. Cependant, Élentir ressentait encore sa grande détresse. Il était douloureux pour elle de voir une compagne dans cet état. Surtout qu'Auriane avait toujours été l'une des plus fortes. Élentir aperçu quelques images dans l'esprit de son amie qui fit jaillir de la rage de son cœur. Elle comprit alors qu'Auriane avait renoncé à porter secours à des gens pour venir les prévenir. Elle ne put que compatir à la souffrance de celle qu'avait toujours tout fait pour sauver le plus de gens autour d'elle. Elle lui envoya alors une vague d'apaisement pour l'aider. Puis une fois qu'elle se fut assurée que la vie d'Auriane n'était en danger, elle retourna auprès de Palantir et Éledhwen.

Les deux étaient restés immobiles, regardant sans vraiment voir Élentir prendre soin d'Auriane. Quand la commandante de la garde revint vers eux, ils ne bougèrent pas. Leurs visages étaient neutres, n'affichant aucune émotion. Ils avaient placé des barrières solides pour que l'on ne puisse lire dans leur esprit ou dans leurs émotions. Pourtant, Élentir les connaissait bien, elle voyait leur grande tristesse et leur immense détresse. Les jumeaux avaient toujours chéri leur famille. Malgré les nombreux reproches qu'ils faisaient à leur parent, ils les aimaient comme tout enfant aime leurs parents.

Élentir les prit dans ses bras avec douceurs, posant leur tête sur ses épaules.

- Vous avez le droit de pleurer, chuchota-t-elle.

Sans qu'ils ne puissent les retenir, des larmes coulèrent sur les joues des deux jumeaux. Une voix douce s'éleva, chantant la chanson de l'envol. Le chant du dernier adieu. Une à une, chaque personne de l'assemblée rejoint le chant, portant leurs mains pouce croisé sur leur poitrine. Des larmes coulèrent silencieusement. On se prit dans les bras. Puis le silence revint. Éledhwen releva la tête en première, les yeux rouges, mais sans larmes. Elle attrapa la main de Palantir qui leva à son tour la tête. Ils avaient retrouvé un peu de sérénité.

Seuls les plus sensibles en magique avait pu voir la véritable beauté de ce moment de communion. Des filaments d'énergie magique avaient circulé permettant une osmose complète. Quand l'effet de cette dernière fut dissipé, Palantir s'avança pour prendre la parole :

– Vous avez sûrement tous comprit la gravité de la situation. C'est assurément la plus grosse catastrophe depuis la disparition des dragons. Cependant, il ne faut pas se laisser abattre, il ne faut pas paniquer. Ce soir, vous allez rentrer chez vous, vous essayerez de vous reposer comme vous en avez l'habitude. Demain, nous prendrons des décisions. Pour l'instant, il est trop tôt.

À la fin de son discours, la foule se dispersa silencieusement. Personne ne pourrait réellement s'endormir comme le demander le prince, pour autant tout le monde essaierait. Quand il ne resta plus que sa troupe, Élentir donna l'ordre de se retirer au campement. Lôrindel portant délicatement Auriane endormie dans ses bras. Élentir demanda discrètement à Égilon de s'occuper de l'organisation ce soir. Elle emmena ses deux amis dans leur tente. Elle les prit de nouveau dans les bras. Aussitôt, des rivières de larmes se formèrent, ils se laissèrent totalement aller. Elle ne dit rien, juste les sera contre elle avec chaleur, leur montrant tout son amour. Il n'avait plus de barrière. Élentir pouvait ressentir leurs douleurs et leurs détresses. Ils ne se rendaient pas encore compte de la perte qu'ils venaient de subir, tout cela semblait irréel. Pourtant, tout leur monde venait de se fissurer, de subir une secousse indescriptible. Alors qu'ils venaient de perdre des êtres chers, leurs parents, leurs épaules devaient supporter le poids de leur nouvelle responsabilité. Ils venaient de perdre leurs parents et de devenir souverain de ce royaume en perdition.

Après un long moment sans parole, Élentir sentit Éledhwen s'affaisser, endormit. Palantir se redressa doucement, comprenant que sa sœur s'était assoupie. Il la regarda avec plein de douceur, lui caressa les cheveux, des larmes coulant encore sur ses joues. Élentir l'aida à la porter jusqu'à sa couchette. Il la borda avant de se coucher à ses côtés. Il la serra dans ses bras autant pour la réconforter que pour se rassurer.

Élentir prit une chaise et veilla sur ses amis. Quand elle fut certaine qu'ils furent tous les deux profondément endormis, elle alla se coucher dans la couchette de Palantir laissée vide. Malgré sa propre angoisse, elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour Hylde, Lómelindi et Léothéric ainsi que ses frères d'armes restaient au château. Elle ne tarda pas à rejoindre ses compagnons dans le royaume des rêves.

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