III
Ne partant que le lendemain matin, les deux héritiers profitèrent du temps qu'il leur restait pour se rendre au temple. Oulysinial n'étant pas une grande cité, elle ne possédait qu'un seul grand temple et quelques autels. L'une des spécialisations de la cité oasis étant la forge, il n'était pas étonnant que le temple soit principalement dédié à Rarlys, conscience du feu, et à Coclys, conscience de l'imagination et de la créativité. Cependant, ce que recherchaient Palantir et Éledhwen était l'autel consacré au deuil, pour se recueillir et prier pour l'esprit de leurs parents. Pour les chevaucheurs, Médys était la conscience de la mort, cependant ce n'était pas à elle de guider les âmes des défunts, mais bien à Coclys, protecteur de l'humanité. Palantir et Éledhwen prirent donc la direction du principal temple, où il espérait trouver autel du passage dans la partie consacrée à Coclys.
Le prince et la princesse s'y rendirent seuls, les rues de la cité étaient vide et silencieuse. Si la grande procession était habituellement synonyme de fête et de partage, l'annonce de l'invasion par l'empire avait créé un deuil général. Les rares habitants qu'ils croisèrent les saluèrent avec le respect que l'on devait au souverain. Si cela avait une certaine logique, à présent que leurs parents étaient morts, ils auraient dû devenir souverains à leur tour, ils eurent du mal à le supporter. Pourtant, il avait conscience que pour tous, la grande procession avait pris fin et que donc l'étiquette était de nouveau de rigueur. À force de trainer avec Élentir qui ce soucié peu des convenances et de la garde qui avait fini par accepter leur demande d'être tous sur un pied d'égalité, ils oubliaient par moment que personne ne les percevait comme de simple chevaucheur.
C'est le cœur toujours plus lourd qu'ils arrivèrent devant le temple dont la même sa splendeur ne réussit à sortir les jumeaux de leur profonde affliction. Pourtant, ce bâtiment aurait ravi les yeux de tout autre visiteur. Le plus remarquable était sans nul doute la majestueuse statue de phénix faite en fer forgé et dont le regard semblait suivre toute personne présente devant elle. L'oiseau de feu paraissait jugée tous ceux qui osée vouloir entrer dans sa maison, le phénix étant l'avatar de la conscience Rarlys sur le monde terrestre.
Pourtant, sans même remarquer ce trésor pouvant être comparée aux créations de Féänor, Élédhwen et Palantir s'avancèrent vers les lourdes portes du temple. À peine, ils eurent posé un pied dans le temple qu'un prêtre de Coclys vint les saluer des bas :
— Vos altesses, nous attendions votre venue. Je suis Shyaur, prêtre mortuaire de Coclys. Si vous le souhaitez, je vous accompagnerai tout au long de votre séjour dans ce temple.
— Et nous en remercions, déclara la princesse d'une voix sombre en lui faisant signe de se relever. Pouvez-vous nous mener à l'autel du passage ?
Chaque cité possédait un autel du passage, qu'elle est un endroit dédié à Coclys ou non. C'était le lieux où les chevaucheurs allaient prier pour leur mort. Dans les croyances des chevaucheurs, peu importait la dépouille d'un mort, bien qu'elle fusse toujours traitée avec grand respect, ce qui importait était l'esprit du défunt. Dans leur croyance, la plupart des défunts voyaient leur conscience rejoindre l'énergie primitive, cette énergie à la base de toutes créations dans ce monde et qui permettait au détenteur de capacité de la transformer en magie. Cependant, si le défunt avait eu une vie suffisamment impressionnante pour que Coclys ne l'ait remarqué, alors ce dernier l'autorisera à se joindre à lui pour le reste des temps, ce qui était un grand honneur. Les prières de ceux restaient en vie pouvait également influencer les choix de la conscience.
L'autel existait par ailleurs pour accompagner les vivants dans leur deuil. Il n'était pas rare qu'un prêtre de Coclys se consacre uniquement à l'autel du passage. Dans la plupart des cité ou des bourgarde, aussi possible soit-elle, il y avait un de ses prêtres souvent grandement respecter.
Élédhwen et Palantir furent amenés dans une petite pièce sobrement décorée où l'on pouvait entendre une douce et belle musique. Le long de deux murs, de magnifiques étoffes étaient exposées avec des fils à broder de toutes les couleurs. Au centre de la pièce, une table très simple trapé d'un linge blanc sur laquelle était entreposées deux petites boites graver de diverses scènes représentant Coclys recueillant l'âme de défunt.
— Si vos Altesses veulent bien s'installer, demanda le prêtre avant de poursuivre. Nous sommes ici aujourd'hui pour prier Coclys, l'Ésquisseur, de bien vouloir veiller sur l'esprit de nos défunts, notre bon roi Bëor et notre gracieuse reine Daïna. Nos prochaines créations démontreront la sincérité l'amour que nous portons à nos morts. Qu'ils puissent accompagner à jamais Coclys !
La princesse comme le prince écoutaient avec ferveur, bien qu'aucun des deux n'était de réels pratiquants. Pour une fois, leurs esprits étaient totalement tournés vers Coclys. Ils savaient tous deux que jamais la Conscience ne les prendrait avec eux, cependant, ils ne pouvaient s'empêcher de prier pour qu'il les protège. Les yeux baissaient, le cœur serré, l'un comme l'autre ne pouvait empêcher les larmes de couler. Dans ce lieu si calme, ils sentaient en sécurité pour faire une démonstration de leurs émotions.
Le prêtre leur portait un regard compatissant, que l'on soit pauvre ou riche, roturiers ou noble, ou même prince et princesse, la perte de proches, surtout d'un parent était toujours difficile. Après une légère pause, il reprit avec douceur :
— Avant de poursuivre, permettez-moi de vous demander si vous avez déjà participé à ce genre de rituel.
— Nous ne l'avons jamais fait, répondit aussitôt Palantir d'une voix, assurée, mais plus basse qu'à l'accoutumé. Cependant, nous connaissons son déroulé. Veuillez poursuivre.
— N'hésitez cependant pas à me demander de l'aide, retourna avec gentillesse Shyaur. Il est maintenant temps de choisir une étoffe, choisissez avec soin celle qui, pour vous, représente au mieux les défunts, celle qui raisonne le mieux avec leurs âmes. Prenez votre temps, laissez les souvenirs remonter et prendre pocession de vous. Laissez vos émotions parler pour vous. Pour que vos souvenir et vos sentiments puisse être porté jusqu'à Coclys et qu'il les entende.
Le silence revint et les deux jeunes gens se levèrent doucement, l'un et l'autre se mettant à observer longuement les étoffes qu'on leur proposait. Elles étaient toutes magnifiques bien que de tissus et couleur différente. Mais l'exercice était compliqué, il ne semblait pas aisé de penser à leurs parents à travers de simples tissus, aussi beau soit ils. Cependant, après de longue minutes d'immobilité, l'un d'eux ce mit en mouvement s'approchant d'un des présentoir.
Ce fut Élédhwen qui la première ce mis s'avança, la princesse étant plus doué que son frère pour écouter ses émotions. Ce laissant porter par des souvenirs, qu'ils soient heureux, agaçant ou triste, elle caressa un tissu fait dans une laine très douce d'une jolie couleur rouge clair brillant. Si la douceur du textile lui rappeler sans nul doute son père, bien trop gentil pour son rôle de dirigeant, mais parfait pour être un parent aimant, et dont sa couleur lui rappelait la passion de sa mère. Elle savait qu'ils n'étaient pas les meilleurs souverains, l'un étant lâche, l'autre étant égocentrique, mais ils avaient toujours été des parents pleins d'amour. Elle avait trouvé l'étoffe qui éveillé en elle les souvenirs de ses parents.
Son regard se porta ensuite vers son jumeau qui lui semblait loin d'être décidé, toujours immobile. Bien plus rationnel qu'elle, il avait du mal à comprendre ce qui lui était demandé. Un simple tissu ne pouvait pas éveiller en lui des souvenirs, et des émotions liées à ses parents. Pourtant, après un long moment à rester immobile, laissant son regard errer sur les étoffes, sa main en saisie une. Son instinct lui disait qu'il avait trouvé la bonne. Cette magnifique soie lui fit remonter de profonds souvenirs de sa mère lui parlant de l'importance de l'art et du savoir-vivre. Leçon qu'il regrettait de n'avoir pas plus écoutés, non qu'il appréciait l'amour déraisonné que sa mère portait aux arts impériaux, mais plutôt que cela lui aurait permis de partager plus de moments avec elle. La couleur d'un bleu profond quant elle lui rappeler le calme et la sérénité que lui procurait la compagnie joviale de son père si tant est qu'ils ne parlaient pas de politique.
Une fois leur choix arrêté, ils revinrent s'installer sur leur siège. Après une autre petite prière pour les âmes des défunts, le prêtre les invita à ouvrir la boîte devant eux. À l'intérieur se trouver du fils pour broderie, différents modèles pour les aider et tout autre matériel utile pour coudre et broder.
Si le prêtre leur proposa son aide, tout le monde ne savait pas coudre ou broder, et le prêtre était là pour que tous puissent finir le rituel. Pourtant, hormis quelques conseils, les deux héritiers souhaitèrent faire les œuvres par leur propre moyen. Peu importait la beauté du résultat finale, ce qui compter était le processus. Faire de ses propres mains cet objet symbolique aider à penser aux défunts sans tomber dans la grande tristesse.
Alors qu'à l'extérieur le soleil terminait sa course, les deux jeunes gens finirent leurs œuvres. Sur le cache-œil d'Éledhwen l'on pouvait voir une rose blanche enlaçant un sabre. La rose pour représenter la beauté et le raffinement de sa mère, l'épée pour représenter son père, qui bien que beaucoup l'avait oublié, avait été en son temps l'un des meilleurs bretteurs. De son côté, Palantir avait représenté ses parents sous formes de deux oiseaux l'un contre l'autre veillant sur un nid vide. Représenter des vivants sur un cache-œil de deuil porté malheur, c'est pour cela que le nid était vide, le jeune homme avait voulu ainsi représenter l'amour parental qui était la meilleure qualité qu'il leur voyait.
Le prêtre ne fut guère étonné de voir qu'aucun des deux héritiers n'avait représenté leurs parents comme des souverains, il était bien connu que, même pour leurs propres enfants, les défunts n'étaient pas considérés comme de bon souverain. Cependant, il fut touché de voir le grand amour que ces enfants portaient à leurs parents. Après avoir béni les deux bandeaux et les avoir mis sur l'œil de chacun d'entre eux, il les raccompagna jusqu'au parvis du temple où une prêtresse de Stelasys les attendait. Le prêtre et la prêtresse leur accordèrent une dernière bénédiction avant de les regarder retourner vers le campement.
Palantir comme Éledhwen se sentait à présent plus léger, la tristesse bien que toujours présente ne leur apportait plus de douleur. Ils étaient prêts pour leur voyage.
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