IV
Le soleil venait à peine de percer à l'horizon que déjà tout le campement était en effervescence. Tout comme la garde, la grande majorité du campement se préparait à partir. Une grande majorité des civiles qui avait suivi à la caravane ne pensait qu'à rejoindre leur famille pour les avertir et si possible se préparer. Pour ce qui était des nobles qui avaient dans le royaume un grand devoir de protection qui s'il n'était pas respecté pouvait leur faire perdre leur titre, retournaient également chez eux pour préparer leur terre à l'invasion. Cependant, sachant qu'aucune région du royaume n'était assez forte pour résister à l'empire, on leur avait demandé de se rendre pour minimiser les pertes, en attendant une contre-attaque. Cette décision, bien que stratégique et justifiée, était douloureuse pour la plupart des chevaucheurs. Enfin, les soldats étaient envoyés aux ruines de l'ancienne capitale et ils escorteraient tous ceux qui voudrait si rendre.
Comme ses compagnons, Élentir ranger ses affaires. Seule, elle plia cependant rapidement sa tente et son matériel. Elle dut se résoudre à faire un tri, le voyage qu'elle s'apprêtait à faire lui demanderait d'être la plus légère possible. Avec un peu de tristesse, elle fit don de ses affaires auprès de la maison communautaire de la cité, ne gardant avec qu'elle que le strict nécessaire, une tenue de rechange, sa fidèle épée écaille de dragon, quelques rations secs qu'elle avait récupérées en échange du reste de ses affaires.
Quand elle eut fini de se préparer, au lieu d'aller aider ses compagnons pour ranger les affaires communes comme elle en avait l'habitude, elle apporta son aide à son vice commandant, qui lui fit comprendre en un regard qu'il ne souhaitait pas sa compagnie. Cependant, cela n'effraya pas la jeune femme, habituer à ce qu'ils soient en conflit. Égilon ne lui cachait jamais ce qu'il ressentait ou pensait, n'hésitant pas à rentrer en conflit. Elle n'était donc pas surprise de le voir réagir ainsi, elle le méritait sûrement un peu par ailleurs. Pourtant, elle n'était pas ici pour s'excuser.
Alors qu'ils avaient presque fini de plier la tente dans un silence absolue, le chevalier s'arrêta pour plonger son regard sévère dans celui de sa cheffe.
— Tu n'aurais pas dû les soutenir, jugea-t-il sévèrement. Tu es la seule qui aurait pu les convaincre, les retenir. As-tu seulement essayé ?
Cette accusation lui fit mal au cœur, Élentir, si elle préférait de loin la liberté, autant la sienne que celle des autres, n'aurait jamais laissé ses plus proches amis risquait idiotement leur vie sans réagir. Malgré son envie réelle, d'elle aussi se rendre sur place pour revoir ses parents adoptifs, elle savait que cet acte était bien trop risqué, elle avait négocié avec Palantir et Élédhwen toute une matinée avant de finir par plier et les forçant juste à ce qu'elle soit du voyage pour qu'elle veille sur eux.
— Je l'ai fait, répliqua-t-elle avec fermeté et soutenant son regard. Tu sais aussi bien que moi qu'ils peuvent têtus.
Le jeune chevalier contracta sa mâchoire, laissant clairement voir dans son regard tempétueux qu'il ne la croyait pas. Au fond, il était persuadé que si la jeune chevalière n'avait pas, elle aussi, voulu aller à la capitale, elle aurait pu sans nul doute convaincre les héritiers de ne pas s'y rendre. S'il avait une chose sur laquelle il n'avait aucun doute, c'étaient bien les capacités de persuasion de son amie et commandante.
— Je ne pense pas que tu sois le meilleur choix pour accompagner leur altesse, argua-t-il soudainement. Tu es toute aussi importante qu'eux pour la survie du royaume. Et je ne parle même pas de ce que tu caches sur ton front, si l'empire venait à le découvrir et te capturer...
Égilon secoua la tête, n'osant imaginer les conséquences que cela aurait. Élentir porta la main au front, vérifiant par automatisme que son bandeau était bien en place. Même dans la garde, ils étaient rares les personnes qui connaissaient son secret, bien qu'elle-même n'y prêtait pas autant d'importance que son entourage. Elle répliqua avec force :
— J'irai. Je ne veux pas les laisser seuls dans ce moment difficile. Je ne sais même pas quel genre de bêtise ils pourraient faire. De plus, je suis sans nul doute celle qui est les meilleures capacités tout en restant discrète et passant inaperçu.
— Tu n'es pas juste leur amie, siffla Égilon réellement agacé. Tu es notre cheffe, tu es responsable de nous et de la protection de ce pays. Tu as prêté un putain de serment ! Tu n'as pas pu les convaincre de ne pas y aller, car tu voulais également te rendre là-bas. Toi, comme eux, n'êtes pas encore conscients de vos responsabilités.
À la fin de sa tirade, Élentir plongea son regard dans ses yeux d'un bleu glacial. Elle pencha doucement la tête, ne sachant que dire. Elle savait que son ami avait raison, si elle était honnête avec elle-même, elle le savait. Elle était comme Dael, il fallait qu'elle voie Hylde et Lómelindi. Pourtant, elle avait sincèrement essayé de convaincre Palantir et Éledhwen de ne pas se rendre à la capitale. Elle était blessée qu'Égilon pense le contraire. La douleur dans sa poitrine devenant trop forte, elle hésitait à se retirer. Le jeune homme, connaissant parfaitement sa camarade, remarqua sa souffrance. Toutefois, lui ne fuirait pas ses responsabilités. Il ne pouvait pas se le permettre alors qu'Élentir l'avait fait. Il attrapa ses bagages, lui tourna le dos sans un dernier regard. Il sentit la main d'Élentir l'arrêter et sans se retourner, il déclara :
— Je ne veux plus écouter ou recevoir d'ordre d'une commandante qui ne pense qu'à elle. J'attendrai qu'elle reprenne ses esprits.
Le cœur d'Élentir se serra davantage. Elle lâcha prise en chuchotant :
— Je comprends, puis elle reprit avec plus d'assurance. Dans ce cas, je te demande juste de prendre soin de tout le monde. Et d'être un meilleur chef que moi. On en reparlera quand je reviendrai.
Il continua à avancer sans la regarder pour rejoindre d'autre compagnon.
Palantir qui avait bien remarqué la dispute la rejoint, compatissant, se sentant coupable :
— Ça va aller ?
— Oui, ça va aller, répondit-elle, le regard toujours posé sur Égilon. J'aime vraiment cette troupe. Il y a cinq ans, je n'aurais pas imaginé m'attacher à autant d'humains. Mais, si un jour, ils ne veulent plus me considérer comme leur cheffe, je suis prête à l'accepter. Ce sera douloureux, mais j'accepterais.
Palantir posa une main réconfortante sur les épaules de son amie. Un peu triste d'entendre ces propos. Il regrettait de mettre Élentir dans une situation si difficile. Il ne changerait pas d'avis, mais la situation ne lui plaisait pas.
Tous ceux qui voulaient partir eut rapidement fini de ranger leurs affaires. Palantir et Élédhwen avait, tout comme leur amie, abandonné leurs affaires, étant même aller jusqu'à emprunter de nouveau vêtement à Oulysinial. Maintenant, malgré leur carrure et leur charisme remarquable, ils ne ressemblaient plus qu'à des ouvriers itinérants. Leur monture ne dénotant pas trop puisque les chevaux était une chose très commune au royaume.
Alors, qu'ils étaient prêts à partir, ignorait par la plupart des membres de la garde princière, Ode, une garde aux origines nomades, s'approcha d'eux :
— Laissez-moi vous aidez, bien que votre déguisement vous aide, vous ne passez pas vraiment inaperçu
Ode, était la membre de la garde la plus douée en magie d'illusion et bien qu'elle ne la pratique depuis seulement cinq ans, sa maîtrise était très impressionnante.
— Bien sûr, répondit Élentir reconnaissante.
Alors à l'aide de quelques phrases en draconnique, quelques onguents de sa fabrication et d'autre ingrédient, les yeux vairons des héritiers trouvèrent une couleur unique bleu-vert, leurs cheveux passèrent de blond vénitien à châtain clair. Malgré ça, leurs magnifiques silhouettes ne les faisaient pas passer inaperçus. Éledhwen décida de couper sa longue et épaisse chevelure sans regret et presque avec contentement. Si elle lui arrivait habituellement aux hanches, elle les avait à présent de la même taille que son frère, coupé au niveau des épaules. Mais leur trait physique les plus reconnaissables étaient cachés. Élentir, qui avait un physique plus banal, et dont le seul signe distinctif était caché sous le bandeau, échappa au déguisement magique. Porter des vêtements de roturier, les cheveux ternis par la poussière, on reconnaissait difficilement le prince, la princesse et la commandante de la garde princière.
Il fut enfin l'heure du départ. Élentir sentit son cœur se serrait voyant que la moitié de la garde ne vinrent pas leur souhaiter bonne chance. En quittant le camp, elle aperçut au loin Égilon qui la regardait sévèrement.
Et ainsi commença un voyage court, mais fastidieux et harassant. Ils poussèrent les capacités de leurs montures à leur maximum, ne leur accordant que le minimum de pause nécessaire pour qu'ils puissent les mener jusqu'à la capitale. Ils ne dormaient que très peu, juste suffisamment pour arrivée en forme et ils mangeaient sur le dos de leur monture. Élentir n'avait jamais vécu un tel voyage. Et pourtant, du temps où elle était encore écuyère, son maître, sir Léothéric, l'avait envoyée à plusieurs reprises faire des voyages impossibles. Elle avait notamment dû partir pour un voyage de plus d'une lunaison, sans aucun équipement ou monture, avec juste ce qu'elle avait sur le dos et une épée. Et même cette aventure ne lui avait pas paru si fatigante.
Durant ces cinq jours de voyage, aucun mot n'avait été prononcé. Il fallait économiser toute énergie, mais surtout chacun faisait son deuil. Deuil de parents, deuil d'une vie passait, deuil de leur pays. Et c'est dans ce même silence, et sans n'avoir jamais croisé d'ennemie, qu'ils aperçurent enfin la cité fortifiée de Prémil, capitale tombée de leur royaume et la ville de leur enfance.
Restant loin des remparts, ils libérèrent leurs chevaux sans crainte de les perdre. Leurs montures avaient été dressées par Sancie, la dresseuse royale et reviendraient dès que leur maître les appellerait, peu importe la distance les séparant.
Le soleil étant encore haut dans le ciel, ils firent une courte sieste pour mettre toutes les chances de leur côté. Il valait mieux s'aventurer en territoire ennemi en étant le plus éveillé possible pour toujours être alerte. Une fois bien éveillé, ils se permirent un temps pour observer leur cité de loin. Le spectacle n'était pas agréable. Les murailles avaient été éventrées, l'on pouvait encore parfaitement voir le passage de l'armée et des fumées s'élevait encore de la ville, malgré les dix jours qui les séparait de sa chute. Les rues des quais en dehors des fortifications comme de la ville, qui habituellement grouillait telle une fourmilière, était d'un calme inquiétant. Ce triste spectacle, n'annonçant rien de bon, leur permit de se préparer à l'horreur qu'il les attendait s'ils poursuivaient.
Ils n'eurent aucun mal à se mettre d'accord sur ce qu'il allait suivre. Il fut décidé qu'ils emprunteraient un passage dérobé plutôt que de passer par la porte principale, ouverte, mais bien gardée. Non qu'ils n'aient pas confiances en leur déguisement, au contraire. Cependant, pour être sûr de garder leur couverture, il valait mieux éviter de l'exposer s'il y avait d'autre solution. Et ils avaient l'avantage de connaitre bien mieux le terrain que les nouveaux arrivants, particulièrement Élentir. Cette dernière avait pu très jeune visité la ville, et elle avait fait des rencontres qui lui avait permis de découvrir des choses inconnues de la plupart. En devenant l'une des amies du repaire des jeunes voleurs, où elle rencontra notamment Auriane et Rian, tous deux appartenant maintenant la garde princière, cela lui permit de découvrir de nombreux secrets sur la cité.
Sans crainte, ils traversèrent les rues désertées des quais. Et de nouveau, ils ne croisèrent aucune patrouille, les quais étant séparés du reste de la ville par de lourde porte solidement gardée. Ils n'eurent aucun mal à trouver le souterrain passant sous la muraille, creusé il y a de cela plusieurs siècles et qui avait servi à de nombreuse reprise pour faire passer des marchandises clandestines. Sans plus de difficulté, ils le parcoururent, malgré qu'il y fasse sombre et humide. Et enfin, ils furent de retour à Prémil.
Une fois à l'intérieur des remparts, ils avancèrent tranquillement, essayant d'imiter les rares personnes dehors. Le spectacle qu'ils découvrirent leur apporta un mélange de colère, de tristesse et frustration de ne pas avoir pu éviter ce désastre. Pour Élentir, ce fut d'autant plus compliqué qu'elle connaissait parfaitement les bas quartiers dans lesquels ils venaient d'arriver. Elle ressentit cet étrange sensation que ce lieu pourtant si familier lui était devenu inconnu. Ce lieu qui l'avait presque mieux accueilli que le palais, ce lieu plein de sincérité et de force de vie ne semblait plus existé. Ces quartiers avaient en grande partie été détruits par une machine de guerre que nul n'avait pu arrêter. Quelques huttes avaient bien été construites, des tentes installées dans les décombres et les cendres, et la majorité des rues avait été dégager. Mais il restait encore les traces du passage d'un feu destructeur dont les braises paraissaient pouvoir reprendre vie à toute instant et les traces de sang sur ce qu'il restait des murs était les témoins de l'extrême violence qui avait eu lieu.
Les rares passants frôlaient les murs, les yeux baissés et évitant tout contact avec les patrouilles ennemies. Ces dernières vagabondaient fièrement, avec la satisfaction des vainqueurs et le mépris des conquérants. Toutefois, chose étrange, ils ne paraissaient jamais s'en prendre physiquement aux chevaucheurs, même s'ils ne se privaient certes pas d'insulte gratuite et de remontrance inutilement sévère à tous ceux qui osaient soutenir leur regard un peu trop longtemps. Et ils ne prenaient même pas la peine de parler la langue des chevaucheurs, si bien que personne ne comprenait leurs tirades insultantes en zhikerhote. Pourtant, personne n'osait répliquer. La peur semblait être omniprésente.
Une grande partie des civils vivant dans les bas quartiers avait toujours était affamé, mais jamais Élentir ne les avait vus aussi amincie par la famine. C'était à croire qu'ils n'avait pas mangé depuis l'arrivée des zhikerhotes. Et il restait encore beaucoup de blessé qui n'avait pas pu être soigné et qui restait dans les rues dans l'espoir qu'on vienne à leur secours, geignant de fièvre et de douleur. Et ce malgré la présence de prêtre, prêtresse ainsi que d'herboriste qui circulaient dans les rues pour apporter leur aide du mieux qu'ils le pouvaient. Leur tâche était rendue ardue par les soldats ennemis qui paraissaient concentrer toute leur haine contre eux.
Les trois infiltrés arrivèrent sans problème jusqu'à la cache des amies d'Auriane et Rian, la planque des voleurs. Elle se situait au sous-sol et n'avait pas était détruite. Même le bâtiment, au-dessus, tenait encore difficilement debout. Personne ne montait la garde, mais la porte était fermée à clef, ce qui n'arrivait habituellement jamais. Élentir toqua fermement, contrôlant son inquiétude. Dans ses sous-sols sombres, elle s'était fait ses premiers amis après les jumeaux. Elle y avait passé du temps à faire la lecture et a partagé ses connaissances aux petits voleurs.
Une petite trappe s'ouvrit laissant voir deux yeux suspicieux. Soudain, une exclamation joyeuse leur parvenue, puis de grands cris :
— Élentir ! C'est Élentir !
La porte s'ouvrit sur Luce, l'un des plus proches amis de Rian, ancien camarade de larcin. Il avait une grosse blessure au bras droit, ce qui ne l'empêcha pas de serrer Élentir dans ses bras avant de les laisser rentrer. L'accueil de Salvin, le protecteur de cette planque, fut moins chaleureuse. Il les regarda d'un œil sévère avant de déclarer sèchement :
— Leurs majestés se sont perdues ?
Les jumeaux furent surpris qu'on les reconnaisse aussi vite dans la pénombre des sous-sols, avec leurs déguisements et les sortilèges encore actifs d'Ode. Et c'était d'autant plus remarquable qu'ils n'avaient jamais les pieds dans ses lieux et donc rencontré cet homme.
— Ne soyez pas étonné, vos altesses, répliqua Salvin devant la réaction de ses visiteurs, j'ai l'habitude des déguisements. Ce qui, par ailleurs, pourrait être le cas de n'importe lequel des soldats de l'empire qui patrouille dehors. Que faites-vous ici ? Vous étiez pourtant à l'abri en dehors de cette ville.
Malgré l'agacement parfaitement visible de leur hôte, Palantir appréciait grandement son franc-parler. Il était rare qu'il croise des personnes capables de lui parler ainsi tout en connaissant ses origines.
— Nous sommes venues en reconnaissance, répondit calmement Palantir malgré le ton réprobateur du voleur.
Ce qui ne convainquit nullement l'homme qui haussa les sourcils :
— Ce n'est pas pour cela que vous avez une garde ?
— On a besoin de le voir avec nos propres yeux. Si l'on nous demande de sacrifier notre liberté, n'avons-nous pas au moins le droit de juger par nous même ce contre quoi nous devons nous battre ?
Après un instant de silence, Salvin se détendit soudainement et leur fit signe de rentrer :
— Très bien, de toute façon ce ne sont pas vraiment mes affaires. Installez-vous comme vous pouvez. Vous nous direz ce que l'on peut faire pour vous.
Il les mena vers un canapé à moitié cassé et quelques chaises. Élentir s'arrêta un instant sur le seuil de la pièce, jamais, elle n'avait vu autant de monde dans la planque. Habituellement, se trouvait là une vingtaine d'enfants, orphelin, abandonnée ou ayant besoin d'un refuge pour le jour, tous recueillis par Salvin et Auriane. Il était rare de trouver des adultes dans le repère, hormis les deux protecteurs et quelques fois des prêtres et prêtresse venus s'assurer de la santé et de l'éducation des enfants. Pourtant, dans l'ombre des souterrains se trouvaient une trentaine de personnes de tout âge, en plus des enfants plus nombreux que jamais. Certain semblait blessé plus ou moins gravement et avait été soigné avec les moyens du bord, d'autre restait prostré dans un coin, le regard revivant les horreurs qu'ils avaient vues durant la prise de la ville. Mais la plupart paraissaient aller bien et observaient les nouveaux venus avec suspicions. Leurs regards se portaient en particulier sur les deux inconnus dont personne n'avait entendu leur identité. Cependant, voyant que le protecteur des lieux leur proposait de s'installer, la méfiance diminua.
Une fois, tout le monde assis, Salvin posa sur ses visiteurs un regard interrogatif. Ce fut Élentir qui y répondu par une autre question :
— Quelle est la situation actuelle ?
— Ce n'est pas la joie, comme vous pouvez vous en douter, répondit ironiquement Salvin avant de poursuivre plus sérieusement. Je ne pensais pas que la capitale pourrait tomber plus bas, je me suis trompé. Le siège à peine duré deux jours et ils ont fait tomber le château après seulement deux autres jours de combat. La basse ville a été presque entièrement détruite sur leur passage. Si beaucoup des habitants avait évacué vers les temples dans l'espoir d'y trouver protection, il n'en fut rien. Une fois que les remparts furent tombés, le temple de Nuxys fut le premier à prendre feu, suivit de bien des temples. Les fuyards qui essayer de s'échapper ont pour beaucoup étaient chassés. Je ne sais combien on périt, mais si je devais vous donner une estimation, je dirais que nous avons perdu plus d'une centaine de personnes rien que dans les bas quartiers et c'est sans compter tous ceux qui vont mourir à cause de leurs blessures. La bataille s'est suivi d'un pillage en règle de tous les magasins encore debout et des maisons les plus intéressantes. Et je tairai les autres barbaries que la guerre amène. Ce qui est étrange, même si cela est le bien venu, c'est que les pillages n'ont duré qu'une journée. Après ce jour, je n'ai pas entendu parler de violence, en dehors de celle en réponse à une agression. Ce qui veut dire que tant qu'on ne se révolte pas, on meurt juste de faim à petit feu sans rien craindre de l'empire, alors que si l'on se révolte, ils lâchent les chiens sur nous pour nous tuer brutalement et dévaliser nos maisons. Pour l'instant, il n'y a eu que peu d'exécution publique. Le roi est mort l'épée à la main. Il paraît que pour une fois, il s'est bien défendu. La reine à était la première à être exécuté. Ça fait dix jours que l'on vit dans une tension constante, priant pour que tous survivent jusqu'au lendemain. Ce qui ne s'annonce pas facile, car même sans violence, nous allons mourir de faim si le rationnement continue. Pour l'instant, personne n'a repris le travail, tout le monde reste le plus possible chez eux. Demain, l'on sera peut-être enfin ce que l'on va devenir... Une annonce va avoir lieu sur la place principale de chaque quartier. Si vous voulez y assister, ce sera sûrement très instructif.
Ainsi se termina le résumé du protecteur des enfants des quartiers pauvres. Court et précis, il convint aux trois amis. Il se faisait tard, et le couvre-feu n'allait pas tarder, on les invita donc à se reposer ici ce soir-là. Ils acceptèrent aussitôt encore fatigués de leur voyage. Ils continuèrent de parler de la situation dans la capitale, écoutant les témoignages les plus horribles les uns que les autres des réfugiés.
On ne parla pas des absents, l'on ne parla pas des pertes. On raconta juste des vérités souvent crues dans les larmes et la douleur. Pour les habitants des souterrains, l'écoute de Palantir, d'Élédhwen et d'Élentir était cathartique. Une jeune enfant avait pris place sur les genoux du prince et c'était endormi dans la chaleur protectrice et calme de ce dernier.
Alors que la soirée était bien avancée, Salvin emmena Élentir à l'écart. La jeune femme l'avait suivi, inquiète, elle ne parvenait pas à comprendre le cocktail d'émotion que dégager l'homme. Il était triste et inquiet. Elle choisit donc d'attendre qu'il prenne la parole, un mauvais pressentiment lui enserrant la gorge.
Salvin la regarda s'installer, le cœur serré. Il n'y avait pas de bonne manière de lui annoncer cette nouvelle. pourtant il dut se jeter à l'eau :
— Je... Je dois te le dire, Hylde a fait partie des rares personnes à être exécuté. Toutes mes condoléances.
Élentir ne réagit pas. Elle resta quelques instants figée. L'information refusant de monter au cerveau. Elle s'était préparée à ce que Lómelindi puisse être exécuté au vu de sa position et de son savoir. Mais Hylde, elle était seulement la cheffe des cuisines. Pourquoi voudrait-on la mettre à mort ? Non, elle avait dû mal comprendre.
Salvin n'arrivant pas à comprendre l'état d'esprit d'Élentir continua doucement :
— Elle est morte en héroïne. Le premier soir de la prise de la capitale, les serviteurs de l'armée impériale n'étaient pas encore assez nombreux. Si bien que c'est Hylde et ses commis qui ont préparé le repas du commandement zhikerhote. Elle a décidé seule d'empoisonner le plat. Ne le disant à personne pour en prendre seule la responsabilité. Malheureusement, ils ont dû se douter de cette possibilité, Hylde, s'est fait attraper et exécuter pour l'exemple.
Il ne lui révéla pas que la cuisinière avait été forcée de boire une dose bien plus concentré de son propre poison. Elle avait mis plusieurs minutes à mourir, en se tordant de douleur. La jeune femme devait être suffisamment bouleversée.
Elle fit un sourire amer :
— Elle a toujours été si forte.
Et elle s'éloigna dans un coin sombre. Voulant se retrouver seule. Alors seulement les larmes commencèrent à couler. Elle ne pourrait jamais revoir celle qui l'avait élevé comme sa mère. Elle n'avait jamais eu si mal à la poitrine.
De leur côté, Palantir et Élédhwen avaient également appris la nouvelle. Elle les avait pareillement grandement attristées. Ils n'avaient pas si souvent parlé à la cuisinière royale, mais les rares fois, elle les avait traités comme les amis de sa fille et non comme des prince et princesse. Cette façon de les considérer comme des gens normaux leur avait fait profondément plaisir.
Les jumeaux laissèrent seule leur amie quelques minutes avant de la rejoindre. Élentir laissa leur bras la serrer, comme elle l'avait fait quelques jours plus tôt. Quand les larmes cessèrent de couler, Élentir et ses amis retournèrent vers leurs hôtes qui, respectueux, étaient à l'écart.
— Demain, je vais au château, déclara sans sourciller Élentir.
Tout le monde se tourna vers elle, si surpris qu'ils n'étaient pas sûrs d'avoir bien compris. Palantir fut le premier à réagir :
— Non. Je veux bien que tu sois triste, mais tu ne vas certainement pas te mettre autant en danger.
— Je vous ai dit exactement pareil il y a quelques jours. Et je réponds comme vous, j'ai besoin de voir les choses de mes propres yeux.
Salvin soupira, agacé :
— Des yeux, tu en as déjà à l'intérieur. Essaye de contacter votre fameux médecin qui est toujours dans le palais et toujours libre de circuler.
— C'est vrai, il va bien ? Demanda aussitôt Élentir. Je croyais que les membres de la garde, c'était mis en lieu sûr après la prise de la capitale.
— De ce que je sais, tu es la seule membre de la garde actuellement recherchée. Il faut dire qu'ils sont rares ceux qui savent qu'il y a cinq ans, vous êtes tous rentrés dans la garde.
— Tu sais ce que sont devenus les autres ?
— Je sais juste que Hoel et Lidoire cherche un moyen de faire sortir de la ville les familles de la garde. Ils ont séjourné quelques jours ici, conseillés par Auriane, puis ils ont changé de cache. Pour l'instant, ils sont en sécurité. Nous n'avons pas de nouvelle de Ciryandil. Et Ellyne à repris son rôle de palefrenière et reste dans le château pour l'instant. Mais ne change pas de conversation. Tu as deux de tes hommes au palais, pas question que tu y mettes les pieds.
Élentir hocha la tête, mais il était clair pour tout le monde que la seule chose qu'elle est vraiment écoutée, c'était où se trouvaient ses hommes. Elle s'inquiétait pour eux malgré les propos rassurant de Salvin. Hoel était paresseux, mais elle avait confiance en son instinct, surtout si Lidoire était avec lui. Gwindor était réellement médecin de la cour, donc si son statut de garde princier ne fuitait pas, tout irait bien pour lui. Et malgré sa timidité, il était plein de ressource. Peu de personnes faisaient attention au palefrenier, si aucun des palefreniers ne faisait remarquer que cela faisait plusieurs années qu'Ellyne n'avait pas remis les pieds dans les écuries, elle devrait y être en sécurité. Cela restait néanmoins dangereux. Ce qui l'a préoccupé le plus était sûrement la disparition de Ciryandil. S'il n'était pas mort dans la bataille, il devrait s'en sortir. Pourtant, s'il avait été fait prisonnier, il pourrait être exécuté à tout moment. Il avait toujours une place au conseil et c'était un chevalier connu dans tout le pays.
— Je me déguiserai en servante, et je rentrerais par un passage secret connu seulement de moi.
— Même, tu n'iras pas, répliqua exaspéré Palantir. Déjà se rendre à la capitale était dangereux et loin d'être raisonnable, mais dans une rue, contrairement à un couloir, on peut facilement se passer inaperçu.
— Contrairement à vous, je passe inaperçu.
— C'est bon, affirma d'un coup Élédhwen coupant son frère. Elle a besoin de s'y rendre comme nous nous voulions nous rendre à la capitale. Même sans notre accord, elle s'y rendra. Je suis d'accord avec vous, c'est aussi inutile que dangereux. Toutefois, je serais plus rassurée si elle y allait avec notre aide, que si elle s'y rend seule.
La discussion fut close malgré le mécontentement de tous.
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