V

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 Alors que le soleil n'était pas encore levé, Élentir se prépara. Il n'avait pas été difficile de se trouver une tenue de servante puisque de faite, il n'y en avait d'imposer. Certes, on pouvait facilement les reconnaître, les serviteurs étaient vêtus d'habits simple et solide. Souvent un pantalon ample munit de multiples poches dissimulées, une tunique de couleur foncée et un chiffon dans les cheveux. Homme et femme avait des tenues similaires et l'on différenciait les serviteurs et lavandière ou autre personnelle du château par les différentes teintes de bleu qu'ils arboraient bien que ce ne soit en rien une obligation.

 Élentir se servit des avantages de cette tenue ample pour y dissimuler deux poignards parfaitement aiguisés et elle plaça son chiffon de sorte que son front soit totalement dissimulé.

 Dès que les premiers rayons du soleil illuminèrent le ciel, Élentir pénétra dans le palais par une entrée secrète qu'elle avait découverte lors de ses escapades enfants. À cette heure, les serviteurs s'affairaient déjà, ce qui lui était profitable. En effet, tous ceux qu'elle croisa ne lui prêtèrent pas attention à elle, trop occupés par leur tâche.

 Dès qu'elle eut pénétré entre ses murs pleins de souvenir, sa tristesse se transforma en colère. On lui avait assuré que les serviteurs du palais étaient bien traités. Pourtant, elle ressentait leur peur et leur fatigue du plus profond de son âme. Peu semblait avoir reçu de mauvais traitements physiques, mais il y avait bien d'autre manière de maltraiter un humain. Les serviteurs bien que mieux nourrit que leur concitoyen restait amaigri et l'on pouvait lire dans leur trait une lourde fatigue. Certains paraissait même souffrir de graves privations de sommeil. Elle pouvait ressentir toute leur détresse, mais surtout un grand sentiment de culpabilité. Culpabilité de servir l'ennemi, culpabilité d'être mieux traité que le reste de la population.

 Quant elle croisa les premiers esclaves, son agacement grandit de plus belle. Contrairement au royaume des chevaucheurs, L'empire Zhikerhoz autorisait, et même encourager le commerce de l'esclavage. Ce n'était pas un secret. Elle le savait depuis longtemps. Elle avait dû régulièrement faire des missions pour repousser des troupes de chasseurs d'esclave qui rentrait dans le royaume pour s'en prendre à des villages isolés. Cela la dégoûtait au plus au point, elle qui prôné la liberté plus que n'importe quel chevaucheur, elle qui ne supportait même pas de donner de vrais ordres à ses troupes.

 Voir des esclaves suffit à la mettre hors d'elle, et elle dut faire preuve d'un sang froid extraordinaire pour rester impassible. Mais quant elle en croisa originaires du royaume, cela devint un supplice. Ce qui la marque le plus c'est le nombre d'entre eux qui parler avec un fort accent zhikerhote, certain usait même d'un langage entre le zhikerhote et la langue de chevaucheur, ce qui les rendait difficiles à comprendre. Ce qui l'énervait plus, ce n'était pas tant que ce soit des chevaucheurs qui soit esclave, il était horrible de priver de liberté un humain peu importe son origine. Non, ce qui l'énervait le plus, c'est que pour avoir un accent si fort ou parler un tel mélange de langue, cela voulait dire qu'ils étaient dans l'empire depuis très longtemps, peut-être même qu'ils étaient nés. Pourtant l'empire Zhikerhoz avait signé un traité assurant au royaume que jamais, il n'autoriserait les esclavages de chevaucheur. C'était un traité qui datait de plus de deux siècles et qui était régulièrement remis à jour. Bien sûr, elle n'était pas naïve et savait que l'empire avait passé outre le traité. La garde avait enquêté sur de nombreuse disparition avant de découvrir que c'était le fait de chasseur d'esclave. Un groupe de garde, c'était même rendu dans l'empire pour détruire une organisation complète de chasseur d'esclave qui se concentrait sur l'enlèvement de chevaucheurs. Et bien sûr, l'empire ne les avait pas empêchés de le faire. C'est pour cette raison qu'elle avait espéré qu'au moins les instances officielles de l'empire fasse semblant de respecter le traité. Mais vous la quantité d'esclave chevaucheur, cela faisait bien longtemps que l'empire ne respectait plus le traité...

 Dans sa colère, ses pas la menèrent automatiquement aux cuisines, vieux réflexe enfantin pour trouver réconfort auprès de Hylde. Elle dut cependant s'arrêter au dernier croisement, s'apercevant que la cuisine était sous la surveillance d'un garde. Se déplacer dans les couloirs ne comportait que très peu de risque puisqu'elle ressemblait à n'importe quel serviteur, cependant se confronté à un contrôle comporté bien plus de risque. Elle se dissimula dans une alcôve sombre, observant les aller venu des cuisines. Elle reconnut les anciens hommes de Hylde. Tous paraissaient très fatigués, épuisés, bien plus que le reste des serviteurs. Leur profonde et sincère tristesse vint alimenter celle que tentait de faire taire Élentir. Ils n'avaient pas de blessure visible, pourtant Élentir s'aperçut rapidement que les cuisiniers les plus proches de sa mère avait sûrement reçu des coups de fouet. Malgré sa colère grandissante, elle resta dissimulée, concentrant tous ses sens pour réaliser sa mission.

 Eumène, le chef en second, passa devant elle. Son teint pâle, maladif, cachait mal sa souffrance. Le dos voûté, de nouvelle ride sur le visage et des mèches blanches, il avançait cependant avec détermination. Soudain, une main le tira en arrière, une autre le bâillonna. Il se débattit effrayé avant d'apercevoir Élentir, la joie et la tristesse se mélangèrent alors sur son visage :

— Élentir, je suis désolé.

 Ses yeux devenant humides, Élentir lui posa une main sur l'épaule, envoyant une vague de magie réconfortante. Malgré la douleur et la tristesse encore bien présente, il était trop dangereux de s'apitoyer en terrain ennemi.

— Je suis au courant, mais il faut rester fort.

 L'homme se redressa et chassa l'humidité de ses yeux.

— Oui, tu as raison. Hylde a gardé sa force et sa conviction jusqu'au bout. Pour que l'on ne soit pas puni, elle ne nous a rien dit de ses projets et quand elle s'est fait arrêter, elle a souri et dit qu'ainsi, nous n'avons pas perdu l'honneur d'être cuisinier...

 La voix d'Eumène se brisa. Élentir reconnut bien la Hylde qu'elle connaissait dans ses propos, elle eut un sourire mélancolique, mais se reprit aussitôt et le questionna :

— Si elle est la seule à avoir agi pour quelle raison, êtes-vous puni ?

 Une douleur passa dans le regard du cuisinier.

— D'après les soldats, nous aurions dû remarquer ce qu'elle avait fait et l'arrêter. Heureusement, seuls les cuisiniers subissent les coups de fouet. Et j'ai de la chance, s'ils ne manquaient pas de serviteur, j'aurais sûrement suivi Hylde sur l'échafaud.

 Au son de sa voix, l'idée ne paraissait pas lui déplaire tant que ça. L'idée que l'homme puisse penser à la mort comme une éventualité bénéfique attrista fortement Élentir. Mais elle ne sut que dire pour le réconforter. L'homme continua donc :

— Je ne sais ce qu'il va advenir de nous quand ils auront ramené leur chef cuisiné. Vont-ils faire de nous des esclaves ?

— Je ne pense pas, le rassurai Élentir. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que maintenant qu'ils ont la capitale, ils essayent d'apaiser les tensions et de jouer les gentils. Dans ces conditions, j'imagine que tant que vous suivez les ordres, vous n'êtes pas en danger.

— Même dans ce cas, je ne sais pas si j'ai envie de rester cuisinier au château. Être sous les ordres des monstres qui ont attaqué notre pays...

 Élentir compatissait. Elle-même n'aurait pas pu rester sans rien faire si elle était au château. Cependant, avoir des alliés au château serait un avantage évidant.

— Je sais que ce ne doit pas être évident, mais il y a de nombreux moyens de lutter. Reste au palais si tu en as le courage, sinon n'hésite pas à te retirer, tu trouveras un refuge en utilisant mon nom dans les bas quartiers. Juste une dernière chose, quand et qui descend la nourriture aux geôles ?

 Le changement soudain de conversation déstabilisa Eumène qui fronça les sourcils :

— Pourquoi ?

— Réponds juste, s'il te plaît.

 Le cuisiner, n'étant pas naïf, comprit très bien où elle voulait en venir. Il ne pensait pas que ce fut une bonne idée, mais il donna l'information demandant juste :

— Pourrais-tu m'effacer la mémoire avant de partir ? J'ai entendu dire que les chevaliers savait faire cela. Je ne souhaite pas te trahir.

 Élentir réfléchit un instant. Parmi les magies sur lesquelles elle s'entraînait, il y en avait bien une liée à la mémoire, mais il ne permettait pas de l'effacer.

— Je ne peux pas, ce n'est pas une magie que je maîtrise. Cependant, je peux verrouiller ta mémoire. Si ça marche, seul toi pourra y avoir accès, et même si cela laisse une trace, seul un mage très expérimenté ou plus puissant que moi pourra détruire le verrou.

 Après avoir eu l'accord du cuisinier, Élentir posa la main sur sa tête. Elle marmonna quelques mots dans la langue gutturale des dragons lui permettant de pénétrer sa mémoire. Elle resta pudique, évitant de voir des choses qui ne la concernaient pas. Après quelques nouvelles phrases en draconniques, elle vérifia la solidité du verrou et libéra l'homme qui, après un dernier regard, se dépêcha de se rendre en cuisine.

 D'après les informations que lui avait données Eumène, il lui restait du temps avant qu'un esclave ou serviteur zhikerhote ne vienne récupérer le repas des prisonniers. Et elle ne comptait pas le passé caché dans cette alcôve. Sachant qu'il était trop dangereux de se rendre dans les quartiers des officiers zhikerhote, elle resta donc dans celui des serviteurs. Sans vraiment y réfléchir, son chemin se finit devant la petite chambre où elle avait vécu jusqu'à ses dix ans.

 La pièce n'avait depuis lors pas été réattribuée, et avait servi de débarras durant ces dix dernières années. Malgré les caisses qui encombraient la petite chambre, Élentir eut un sentiment de nostalgie. Elle s'assit sur le lit avec mélancolie se rappelant encore qu'Hylde venait tous les soirs la border, même si elle-même n'avait pas terminé son service. La cuisinière n'avait jamais été très démonstrative, mais elle avait toujours veillé sur elle, se contentant souvent d'une caresse sur la tête. Elle avait été toujours présente pour protéger et s'occuper de la jeune orpheline. Bien que son rôle de cheffe des cuisines royales l'occupât à plein temps, qu'elle n'avait pas le temps de fonder une famille, surtout après la perte de son mari, elle s'était occupée d'elle comme une mère, lui achetant des habits, s'assurant de son éducation et de ses repas. Lui offrant tout son amour.

 Alors que la jeune femme était plongée dans ses souvenirs, sa main rencontra une petite boîte en bois sous son lit. En l'observant de plus près, elle l'a reconnue. Habituellement, la petite boite se trouvait sur une étagère de la chambre d'Hylde. Elle l'ouvrit avec émotion, se doutant qu'elle n'était pas arrivée là par hasard. Dedans, se trouvait un magnifique bandeau. L'artisan qui l'avait fabriqué était très doué. La matière première comme le tissage étaient de grande qualité. Élentir évaluait son prix au moins à cinq pièces d'or. De plus, l'artisan avait sans nul doute utilisé de la magie durant la fabrication, augmentant les chances d'y apposer un bon enchantement dessus. Le prenant, Élentir vit que dessus se trouvait une lettre à son attention de la part d'Hylde. Elle la déplia avec délicatesse :

« Ma Chère Élentir, mon enfant,

Il se peut que tu trouves cette lettre alors que je suis déjà morte. Dans ce cas, je suis vraiment désolée. Je sais que ce que je m'apprête à faire est dangereux et que je ne m'en sortirais peut-être pas. Je suis triste de ne pouvoir te revoir, mais heureuse que tu n'aies pas été là pour cette terrible bataille. Je sais bien ce qui se passe dans ta petite tête. Pourtant, je ne me leurre pas et tu ne devrais pas également, ta présence n'aurait rien changé. La capitale et le château seraient tombés même si toi et tes hommes aviez été là. Je ne doute pas de tes capacités, mais que faire contre une armée bien préparer qui arrive par surprise ? Nous ne faisions pas le poids. Pour autant, je ne peux pas laisser tomber. Je ne suis ni une guerrière, ni une mage. Je ne peux combattre physiquement comme toi. Mais je résisterai. J'espère pouvoir tuer un certain nombre d'entre eux. Je vais mettre du poison dans la nourriture des officiers. Je le ferai seule. Je n'avais jamais imaginé faire un tel acte. Après ça, je ne mériterai plus d'être cheffe cuisinière. Même s'il y a de fortes chances que je ne sois de toute façon plus de ce monde.

Je tiens à m'excuser de te laisser comme ça. Je veux juste te redire à quel point je t'aime et je tiens à toi. Tu es ma fille unique et adorée. Je sais que tu vas vivre des moments difficiles, mais je t'en prie, toi reste en vie, continue à te battre quoi qu'il arrive. J'aurais tellement voulu rester pour te regarder vieillir et devenir une grande et puissante chevalière.

N'oublie surtout pas que tu es ma fille que j'aime plus que tout,

Je t'embrasse,

Hylde

PS : tu trouveras avec cette lettre un bandeau, je l'ai trouvé, il n'y a pas si longtemps, grâce à une connaissance, je comptais le faire enchanter par Ciryon ou Irwaen et te l'offrir pour ton prochain anniversaire. Je te l'offre un peu plus tôt que prévu et sans enchantement. Je suis sûre que ça te plaira. Même si au vu des circonstances, il se peut que tu n'en aies plus besoin. »

 Sans qu'elle ne s'en aperçoive, les larmes avaient commencé à ruisseler sur ses joues sans discontinuer. Ses mains tremblantes se resserrèrent sur le papier.

— Bien sûr que je l'aime ton cadeau.

 Sa voix se cassa. Elle se laissa tomber sur le lit. Fermant les yeux, des larmes en débordant toujours. Elle resta ainsi longtemps. Se remémorant ses souvenirs. Laissant le chagrin s'échapper en eau salée.

 Puis, il fut l'heure de repartir. Le repas n'allait pas tarder à se terminer, et selon les dires du cuisinier, s'était à cette heure que le repas des prisonniers était distribué.

 Séchant ses dernières larmes, elle sortit de la chambre, son regard ayant retrouvé toute sa détermination, referma la porte sans plus un regret. Sous son foulard de servante, se trouvait un magnifique bandeau.

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