VII

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Restés à l'écart du palais malgré leur inquiétude pour leur amie, Palantir et Élédhwen étaient sortis dès la levée du couvre-feu pour sillonner les rues de la capitale en attendant le discourt qui devait avoir lieu en fin de matinée. Bien qu'ils aient déjà eu un aperçu la veille, ils percevaient à présent à quel point la ville avait souffert, quelle était l'ampleur des dégâts et de l'horreur. Seules les avenues principales avaient été correctement nettoyées. Dans les autres rues, on apercevait encore les barricades, les marques d'incendies. Certaines rues étaient encore bloquées par les gravas de maison écroulée. Celles qui restaient debout avaient les volets fermés, le plus souvent marqués d'une écaille noire en signe de deuil.

 Les magasins avaient fermé leurs volets et seuls quelques habitués si rendaient discrètement. Les rues étaient presque désertes. Les rares personnes qui avaient osé mettre le nez dehors, frôlaient les murs, gardant la tête baissée. Hormis les patrouilles zhikerhote, Palantir et Élédhwen ne croisèrent quasiment que des médecins et des prêtes qui allaient de maison en maison proposer leur aide.

 Palantir et Élédhwen se greffèrent à un groupe de prête de Médys. Médys, Conscience des maladies et de la guérison dont les prêtres et les prêtresses étaient connus pour leur grand savoir en médecine. Malheureusement, le travail de ces hommes et femmes était grandement retardé par les soldats impériaux. Ces derniers les harcelants continuellement et se donnant même la peine de les insulter de langue de chevaucheurs. « Suppôt de dragon » ou encore « suppôt d'Attessus » étaient les principales insultes avec l'éternel « hérétique ». Attessus était l'élu de leur dieu qui s'était retourné contre le créateur, créant selon leur religion les créatures magiques tels que les dragons, les mains, les sirènes, les elfes ou les géants. C'était également ce qui justifiait la guerre pour les impériaux puisque le peuple des chevaucheurs étaient considérés par leur Église comme les serviteurs des dragons pour accomplir la volonté de l'Élu déchu.

 Cependant, une fois que les deux jumeaux s'étaient joints au groupe des prêtres et prêtresses, les attaque diminuèrent. Les héritiers comprirent ainsi que les soldats avaient pour ordres de maintenir l'ordre sans plus de violence que nécessaire. Si l'ordre en question ne semblait concerner les religieux, avoir deux simples civils dans le groupe calmer fortement l'agressivité des soldats.

 Ainsi, le frère et la sœur furent soulagés d'avoir au moins cette utilité. En effet, ne pouvant pas révéler leurs identités, les deux jumeaux ne purent se servir de magie. Bien qu'une grande partie des chevaucheurs possédât des capacités magiques, très peu avait l'éducation nécessaire pour s'en servir. Ils se contentèrent de réconforter les gens, et de changer les pansements, d'aider certain à prendre leur médicament.

 Confrontée à la détresse du peuple, la colère d'Élédhwen grandissait de plus en plus. Elle avait un caractère plus émotif que son frère, bien qu'elle le dissimulât facilement. Pourtant, en ce jour, elle eut du mal à garder ce sourire et cet air enjoué qui ne la quittaient jamais. Elle s'y força cependant, sachant que voir un sourire en ces temps dure suffisait, des fois, à remonter le moral. Son frère lui était également très touché, mais rien ne se lisait dans son air calme. Seule sa sœur savait à son air déterminé qu'il était dévasté.

 La place était presque remplie quand ils arrivèrent. Ils se glissèrent au milieu de la foule, se fondant parfaitement dedans. Malgré le grand nombre de manants, la place était silencieuse. Personne ne parlait, pas la peine de demander des nouvelles, elle ne serait pas bonne. On se saluait, posant les mains sur les épaules en guise de soutien, mais la parole n'était pas nécessaire. La présence peu rassurante des soldats tout autour de la place rendant l'atmosphère encore plus lourde.

 Les cloches sonnèrent tel un glas à travers la ville, un homme apparu sur le balcon. Il était très charismatique et sans aucun doute zhikerhote. Ses cheveux noirs lisses, sa peau étrangement pâle, ses yeux légèrement bridés marron foncé, une carrure plutôt fine et élonger. Ses habits le catégorisaient comme venant de l'aristocratie impériale et non de l'armée. Malgré son charisme et l'atmosphère sereine qu'il dégageait, les regards et l'attitude à son égard étaient méfiant, voire agressif. L'homme prit alors la parole en langue du royaume avec seulement un léger accent :

— Gentes Dames, gents damoiseaux, je vois dans vos regards de la méfiance, la colère. Aujourd'hui, je viens vous rassurer. Il est grand temps de vous informer des attentions de l'empire à votre égard. Je ne suis pas ici pour vous faire aimer l'empire, je ne suis pas non plus ici pour vous faire oublier votre colère. Je ne vous demanderai pas de nous pardonner, nous sommes ceux qui vous ont attaqué, ceux qui ont détruit votre ville, vos familles. Je ne vous demanderai pas d'oublier, les blessures seront longtemps profondes. Je vous demanderai de reprendre vos vies, même si c'est dur et compliqué. Il faut que les magasins rouvrent, que la vie reprenne. Malgré les apparences, nous sommes ici pour que votre beau royaume retrouve sa gloire d'antan. Mais nous ne pouvons le faire sans vous. Vous êtes les vraies richesses de ce pays. Il est grand temps pour vous de retrouver votre fierté de chevaucheur. Votre peuple est plein de ressource et sans votre gouvernement inapte, il y a bien longtemps que vous serez sortie de cette famine. Je sais bien qu'il est compliqué de nous faire confiance. Mais sachez, pour nous, la prise de la capitale fut le dernier recours. Cela fait des années, que notre empereur propose à votre défunt roi une aide. Malheureusement, il devenait urgent pour vous de sortir de la famine et de pouvoir vous défendre contre les pirates. Pourtant, votre roi et son gouvernement refusaient d'entendre raison, par égoïsme, par arrogance. Vous le savez vous-même, ils ne se souciaient guère de vous.

 « Aujourd'hui, nous allons reprendre la régence. Cependant, l'Empire ne désire pas vous priver de vos droits. C'est pour cela que nous recherchons toujours les héritiers de votre royaume pour leur rendre leur trône. Ils se sont cachés apprenant notre arrivée, ne sachant pas que nous ne leur ferons pas de mal, bien au contraire. Nous savons l'amour que vous leur portez, nous ne doutons donc pas de leur capacité à gouverner. Nous espérons de tout cœur que vous fassiez passer le message pour qu'ils viennent reprendre ce qui leur revient de droit.

 « Cependant, en attendant, il faut commencer la reconstruction de votre pays. Et vous avez un grand rôle. Comme je l'ai dit plus tôt, vous êtes la richesse de ce pays. Chaque savoir que vous possédez aidera à la reconstruction de ce pays. C'est pour cela que nous demandons à tous de partager vos savoirs magiques. En rassemblant les connaissances en magie de certains, on pourra sans aucun doute refaire partie votre économie, arrêter la famine. Votre magie est une richesse qui sauvera votre pays. Chaque personne qui nous aidera à sauver ce pays sera grandement récompensée ! Vous n'aurez plus à manquer d'argent...

— Foutaise ! S'écria une vieille femme dans le public. Pour qui nous prenez-vous ? Vous pensez vraiment que quelqu'un ici va croire à vos inepties ? Moi, en tout cas, je n'y croirais pas. Bien sûr que j'ai le droit de vous haïr pour avoir tué mon petit-fils. Mais n'essayez pas de me faire croire que ma haine m'aveugle. Si je tue le père de famille de mes voisins parce que je pense qu'il gère mal sa famille et que je leur dis que c'était pour leur bien et que leur pauvre frère n'était qu'une victime collatérale pour le bien de leur famille, vous croyez qu'ils vont juste hocher la tête, me laisser entrer et me confiait leur économie et héritage familial ? Non. Quelle différence avec la situation actuelle ? Aucune ! Et d'ailleurs, vous nous demandez de reprendre notre vie pour notre bien. Par contre, c'est pour notre bien que nos écoles restent fermées ? C'est pour notre bien que nos protecteur et savant sont toujours prisonniers ? C'est toujours pour notre bien que quiconque s'approche des temples se fait durement contrôler, nous empêchant ainsi d'avoir accès facilement au soin, conseil et réconfort ? Eh bien, si c'est ainsi que vous prenez soin de nous, je vous demande de vous retirer de chez nous. Il semble que vous nous fassiez plus de mal que de bien.

 Alors que la vieille femme exprimait la pensée de beaucoup, les soldats impériaux essayaient de progresser dans la foule pour arrêter cette perturbatrice. Sans être agressif ou violent, les chevaucheurs opposaient une résistance passive. Du haut de son balcon, l'aristocrate n'avait pas bronché. Il avait gardé son sourire amical et paraissait écouter les reproches que lui faisait la chevaucheuse. Finalement, les soldats se saisir de la perturbatrice. Avec un sourire féroce, la femme les suivit sans résister. Elle avançait le dos droit malgré son âge. Elle fut menée sur l'estrade sous le balcon.

— J'ai entendu votre appel. Je sais que dans un premier temps beaucoup penseront comme vous. Après tout, une bonne partie de votre discours parait vraie. Surtout, pour vos compatriotes. Pour autant, quel est le mal d'accepter notre aide. Je peux admettre, nous nous y sommes peut-être mal pris, mais il avait urgence. Votre peuple souffre, si nous attendions encore votre pays aurait atteint le point de non-retour. Vous êtes une bonne oratrice, vous êtes, sans aucun doute, brillante. Vous devez comprendre que vous alliez dans le mur.

— Ce n'est pas la première fois que notre pays tombe dans une crise grave. Il s'est toujours relevé, mais ce pas grâce à vous. Votre empire a toujours recherché les secrets de notre pays !

— Je trouve regrettable qu'une femme aussi sage que vous colporte ce genre d'affabulation. Il est juste que dans un lointain passé notre pays convoitait vos techniques magiques. Toutefois, ce lointain passé est révolu. Nous avons bien développé nos propres techniques alors que votre pays a perdu les siennes. Nous n'avons plus d'intérêt à posséder vos techniques.

— Dans ce cas, vous n'avez pas besoin de nos techniques pour sauver notre pays.

— La magie est adaptée à chaque pays et culture. Nous n'avons pas de technique contre la sécheresse.

— Donc votre magie ne sert à rien, vous tuez ce qui pourrait nous aider, vous détruisez notre capitale, à quoi sert votre intervention ? À nous achever ?

— Il me semble que j'ai déjà parlé de tout ça. Je ne peux ramener les morts, mais croyez-moi, si je le pouvais, je le ferais. Néanmoins, si vous souhaitez continuer, je vous propose de me suivre au palais. On répondra à toutes vos questions.

— Pour que je finisse comme la cuisinière royale. Elle, vous l'avez tuée qu'après l'attaque.

— Si vous n'essayez pas comme elle de tuer nos officiers, je ne vois pas de raison que l'on vous tue.

— Oh, mais si j'en ai l'occasion, je le ferais sans hésiter ! J'ai encore ma fierté de chevaucheuse.

— Vous savez qu'avec ce que vous venez de dire, je me vois dans l'obligation de vous faire emprisonner.

— Seulement ? Sachez que tant que je suis en vie, je ferais tout pour vous stopper. Et j'appelle tout le monde, à faire de même.

— Dans ces temps de crise, vous devez comprendre que nous ne pouvons tolérer un appel à la révolte. Si vous continuez, nous devrons vous exécuter pour l'exemple.

— Mais faites, qu'attendez-vous ? Entendez-moi, peuple de Prémil, entendez-moi et résistez !

— Silence ! Je n'aimerais pas avoir à la faire.

— Si vous ne le faites pas maintenant, je continuerai. Regardez peuple chevaucheur, ils sont faibles ! Il n'ose pas tuer une vieille femme.

— Très bien, tu l'auras voulu, soldat, préparez-vous à l'exécution !

 Il répéta l'ordre en zhikerhote et les soldats s'exécutèrent. Ils mirent la vieille femme à genou.

 Devant la scène, Élédhwen qui jusqu'à présent était resté uniquement spectateur, posa sa main sur le manche de sa dague. Le cœur serrait, sa colère grandissante, elle se préparait également à faire appel à sa magie. Son esprit calculait déjà toutes les manières de sauver la vieille dame de cette situation. Soudain, le regard de cette dernière se posa sur l'héritière, la figeant sur place :

— Je vous laisse une dernière chance de demander votre pardon, déclarai le zhikerhote. Si vous le faites, vous serez juste enfermé quelques jours. Si vous ne le faites pas, ce seront vos dernières paroles.

— Eh bien, se seront donc ici les dernières paroles d'une pauvre femme, répondit-elle, les yeux toujours posées sur l'héritière. Mes dernières paroles vont à vous, enfants des chevaucheurs. Laissez une vieille folle voler jusqu'à Coclys. Votre jeunesse est trop précieuse pour empêcher mon envol. Usez de la force de la jeunesse avec sagesse. Mourir pour montrer la voie est le rôle des ancêtres, vivre en restant fidèle en ses convictions est le rôle de la jeunesse. Écoutez ma dernière demande, sauvez notre beau pays.

 Une larme coula sur la joue d'Élédhwen, desserrant légèrement sa prise sur son poignard. Son regard rencontra celui de son frère, cherchant son aide. Malheureusement, Palantir était dans le même dilemme qu'elle. La main sur son arme, prêt à se servir de sa magie, seuls les mots de la vieille femme le maintenaient encore sur place. Comme sa sœur, il ne pouvait accepter d'assister impuissant à la mort de cette brave dames, même s'il comprenait parfaitement ses dernières paroles. À deux malgré ces paroles, ils pourraient la sauver !

 Des bras se posèrent sur leurs épaules et une tête apparue entre eux :

— Les jeunes, je vous demanderais d'écouter les sages paroles d'une vieille dame. Les deux héritiers ne devraient pas sortir de l'ombre, alors que quelqu'un vient juste de promettre qu'aucun d'entre nous ne les dévoilerait.

— Mais elle va mourir...

— Comme beaucoup malheureusement. Au lieu de vous jeter dans la gueule du loup, réfléchissez à quoi faire pour que cela n'arrive plus.

 Ces quelques paroles suffirent pour calmer les deux jumeaux, suffisamment sages pour savoir qu'elles étaient justes. Leurs mains quittèrent leurs poignards, et ils relâchèrent leur concentration. Leurs attentions toutes tournées vers l'estrade. Ils ne détournèrent à aucun moment le regard, même quand le sabre s'abattit, que la tête de la dame roula. Alors Élédhwen porta la main à sa poitrine pouce croisée, puis les leva au ciel, entonnant la chanson de l'envol. Aussitôt accompagnée de son frère et du reste de la foule.

 L'aristocrate regarda la foule. Il avait perdu contre la chevaucheuse. Il fit signe au soldat de ne pas intervenir, cela signerait une victoire totale de cette vieille. Il se retira, de toute façon d'ici à quelques mois, il n'aurait plus à participer à cette mascarade, lui un élu de Dieu.

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