VIII

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 Élentir reprit connaissance allongée sur un sol froid, les mains attachées dans le dos par des fers solide. Avant même d'ouvrir les yeux, elle voulut tendre son esprit pour analyser la situation. Mais, elle ne put étendre sa magie. Elle ressentit comme une légère décharge électrique au niveau de ses poignées. Les maudits zhikerhote se servaient de bracelet anti-magie. Toujours calme et bien décidé à découvrir son environnement, elle entrouvrit alors les yeux, juste assez pour voir, mais pas assez pour que l'on se rende compte qu'elle était consciente.

 Elle se trouvait dans une salle d'audience privée. À ses côtés, se trouvait Dame Astal à genou, mais toujours digne, elle ne semblait pas blessée. Elles étaient entourées de quatre gardes. Grâce à ses sens développés, Élentir put entendre qu'il devait en avoir deux autres près de la porte derrière elle. Devant elle, se trouvaient trois hommes sur une estrade encadrés par deux autres soldats.

 La présence de ces huit soldats n'inquiétait guère la jeune chevalière. Même privé de ses mains, de ces armes et de sa magie, elle pourrait s'occuper de ceux-là en quelques secondes, surtout si elle était secondée par la maitresse d'arme. Elle était bien plus préoccupée par le trio sur l'estrade.

 Au centre, elle reconnut sans peine le général zhikerhote qui avait mené l'attaque sur la ville. Elle avait eu le malheur de le rencontrer lors d'une rencontre diplomatique entre le royaume et l'empire. Si elle ne l'avait vu que de loin et qu'il y avait peu de chance qu'il se souvienne d'elle, elle en gardait un fort souvenir. Quand elle avait entendu son nom prononcer la veille, et qu'on lui avait affirmé que c'était lui qui avait dirigé le siège, elle en avait frissonné. Bien que l'homme ne possédait aucun don magique, qu'il n'était pas l'un des fameux élus, il avait tout pour être craint de ses adversaires. Il était un vétéran connu pour son stratège et sa puissance, respecté de tous ses hommes. À son comportement, à sa façon de parler, à sa gestuelle, tout rappelé à la fougueuse chevalière que contre lui, sans ses pouvoirs, elle n'avait aucune chance de l'emporter. D'ailleurs, même sans privation de magie, le combat était très loin d'être gagné.

 À la droite du général, se trouvait un élu, un mage impérial, facilement reconnaissable à sa robe extravagante de richesse. Par son statut, il était sans aucun doute celui qui possédait le plus de magie parmi les zhikerhotes dans cette pièce et sûrement même dans ce château. Bien qu'elle l'imaginât difficilement être plus puissante que le défunt mage royal, Salmar. Cependant, le peu de mot qu'elle n'entendit de sa bouche lui prouva qu'il était bien plus savant que ce dernier et par conséquent bien plus dangereux. Ne connaissant pas ses capacités, elle ne souhaitait pas non plus se frotter à lui.

 De l'autre côté du général, se trouvait un homme qu'elle connaissait déjà, bien que leur rencontre fût courte, la douleur à sa nuque le lui rappeler. C'était le capitaine qui l'avait battue si rapidement. Elle avait donc déjà la certitude, qui lui était pour l'heure impossible, de le battre, pouvoir ou non.

 Son regard remarqua enfin la silhouette légèrement en retrait. Il ne lui fallut qu'un instant pour comprendre qui il était. Le voir là, fièrement et sans honte, réveilla en elle une colère sourde. Elle dut faire preuve d'un grand contrôle pour ne pas bondir sur le traitre, calmant son envie de meurtre envers Urulóki, l'ancien assistant du mage royal.

— Dame Élentir est réveillé, annonça le capitaine calmement.

 Élentir se maudit silencieusement, et avant que le garde à son côté ne puisse faire un geste, elle se redressa. À genoux, elle planta son regard gris tempêtes dans celui des zhikerhotes. Le général soutint son regard, les deux s'étudiant mutuellement. L'homme prit soudain la parole en langue du royaume, mais avec un fort accent :

— Maintenant, que vous êtes à nouveau parmi nous, vous allez répondre à nos questions.

 Le regard d'Élentir montré toute sa défiance. Elle répondit dans un zhikerhote parfait :

— Il me semble qu'avant toute conversation, la politesse voudrait que l'on fasse quelques présentations.

— Vous êtes bien arrogante, pour une femme qui n'est pas en position de faire des demandes, Dame Élentir Blanchepré, commandante de la garde princière.

 Élentir sentit dans ses mots tout le mépris du général à son égard. Restait à déterminer si ce mépris venait qu'elle fût une chevaucheuse ou tout simplement une femme. Mais, elle comprit une chose, il ne se souvenait pas d'elle. Gardant la tête haute, elle ne prêta pas attention à tout ce dédain et répliqua :

— Je vois que vous me connaissiez déjà. C'est un honneur d'être connue par-delà les frontières. Je tiens malgré tout à vous signaler qu'il est discourtois de demander des choses sans se présenter.

— Tu n'as nul besoin de savoir qui nous sommes. Où sont Élédhwen et Palantir d'Ailegrande ?

— Pourquoi le saurais-je ?

— Tu es la commandante de leur garde et leur confidente. Il serait parfaitement logique que tu sois en possession de cette information.

— Je suis également suffisamment intelligente pour ne pas faire une infiltration en sachant des informations aussi importantes.

 Elle aurait tant aimé que ces paroles soient vraies. Elle ne doutait pas pouvoir garder le secret, cependant sans ses pouvoirs et face à un mage, il aurait mieux valu qu'elle ne le sache rien. Elle se promit que quand elle s'en sortirait, elle s'excuserait à tous ceux qui l'avaient mis en garde.

— Ce qui est certains, c'est que vous ne l'avez pas révélé à cette femme, répliqua férocement le général. Je dois cependant dire qu'il est presque mignon de s'inquiéter pour son mentor. C'est bien pour cela qu'une femme ne devrait pas avoir le droit de participer à la vie d'un pays...

 Au mépris vint s'ajouter la moquerie. Il venait de l'informer sans ménagement qu'il avait déjà fouillé l'esprit d'Astal, heureusement qu'elle ne lui avait rien dit d'autres de suspect.

— Fermez-la, siffla Élentir tout aussi férocement. Arrêtez de vous acharner sur moi et mon amie, nous n'avons pas d'information qui vous intéresserait.

 Le regard du général se fit plus sévère, la jaugeant une fois de plus. Tout dans son comportement démontrait l'agacement que lui apporter cette discussion. Il lui tourna le dos, déclarant d'un ton froidement moqueur :

— Nous verrons bien cela. Je ne vois pas ce que tu pourrais faire, pauvre femme privée de tes pouvoirs hérétiques. Tu n'auras aucune chance contre mon mage. Bien que même en pleine possession de tes pouvoirs, je doute qu'une sale suppôte comme toi puisse faire le poids face à un élu.

 Élentir aurait bien répliqué, elle valait bien mieux que beaucoup d'élus, toutefois son attention était désormais toute tournée vers le mage qui s'approchait à son tour d'elle. L'homme assez âgé dégageait une réelle aura de danger. Il ne faisait aucun doute qu'il était bien plus expérimenté qu'elle. Elle remarqua également qu'il possédait au moins deux artefacts magiques insulaires.

 Elle se replia en urgence dans son palais mentale. Ce ne fut pas une chose aisée. Les bracelets la coupaient de la magie et il semblait que son palais mental faisait partie des interdictions. Elle força le verrou en usant de toutes ses forces et pénétra enfin dans son alcôve.

 Le palais intérieur servait normalement de zone de méditation, entré par la pensée dedans permettait de récupérer plus rapidement des forces, que ce soit physique, mental ou magique. Cela permettait par ailleurs de retrouver tout son calme. Chaque palais intérieur était personnels. Et, celui d'Élentir était une immense alcôve d'une grotte bien plus grande encore. Cette alcôve séparée de la grotte par un lourd rideau était son lieu de refuge, bien qu'elle ne sache d'où lui venait cet endroit. Habituellement, elle se sentait en sécurité sur l'immense couche constituée d'une multitude de tissus tous plus agréable les uns que les autres. Mais, le palais intérieur était également la zone de l'esprit dans lequel un mage pouvait se replier quand son esprit allait être attaqué.

 À l'extérieur, le mage était enfin arrivé devant la jeune chevalière qui, les yeux fermés, tremblait de tout son corps, psalmodiant des paroles incompréhensibles. Pour le commandant ennemi et son mage, elle était en train de craindre pour son sort. Pourtant, au moment où le mage posa les mains sur ses tempes, elle avait fini de mettre en place une première grande muraille. Grande, mais également fragile, le mage finirait par la faire tomber. Cela devrait suffire pour qu'elle puisse continuer de protéger ce qui devait être protégé. Elle prit toutes les informations importantes et secrètes qu'elle dissimula dans un labyrinthe de souvenir moins important et elle protégea le toute par une seconde barrière moins grande et plus sophistiquer. Et, pour finir au centre de ce labyrinthe, elle érigea un donjon dans lequel était enfermée la position des héritiers et toutes les informations compromettantes sur elle et ses amis. Elle avait à peine fini de mettre tout cela en place que la première offensive ennemie arriva.

 Elle engagea la plus grande partie de son énergie pour tenir la première muraille, gardant le reste pour consolider la deuxième et le labyrinthe ainsi que pour sceller complètement l'accès au donjon. À peine, elle arriva en renfort à la muraille qu'une flèche de volonté et de pouvoir, façonnée par de grandes connaissances et une longue expérience, fit trembler toute la muraille, laissant une profonde fissure. Élentir répara aussitôt la fissure, ne laissant pas l'ennemie pénétrer ses défenses. Pourtant, elle calcula rapidement qu'au bout de moins de dix assauts comme celui-ci, sa première muraille tomberait. Elle devait juste tenir le temps de renforcer la deuxième muraille. Trois flèches arrivèrent simultanément, moins puissante que la première, mais bien plus précise. Malgré les efforts d'Élentir, la muraille se fissura de nouveau. Elle eut à peine le temps de la réparer quand trois autres flèches frappèrent au même endroit, elle répara rapidement la nouvelle fissure avant de se replier derrière la deuxième muraille. Elle sentit alors que le mage avait enfin pénétré dans ses souvenirs les moins importants. C'était loin d'être agréable. Mais, elle n'avait pas de temps pour se morfondre. Il fallait se concentrer, la deuxième bataille allait commencer et elle ne pouvait pas la perdre.

 Le mage se retira soudainement de son subconscient. Décontenancé, Élentir campa d'abord sur sa position. C'était peut-être un piège. Pourtant, ne le voyant pas revenir, elle tenta de rejoindre la réalité, prête à replonger à tout instant.

 Le mage était à présent devant Urulóki, le jeune assistant n'en menait pas large.

— Qui est cette femme ? Demanda fermement le mage. Que me caches-tu sur elle ?

— Que veux-tu dire ? Demanda le général visiblement fort agacé lui aussi.

 Le mage ne se tourna pas vers son chef, les yeux rivés sur Urulóki :

— Cette gamine ne devrait pas être capable de créer des barrières aussi puissantes et maitrisées. Elle n'a ni le niveau ni la puissance d'un chevalier, surtout pour son âge et avec sa magie entravée. Elle est bien au-dessus ! Pourquoi n'est-elle pas un mage confirmé ?

 Le regard du traitre se posa sur la jeune chevalière qui le fusilla du regard. Il ne put répondre, coupé par un général impérial passablement énervé :

— Tu es en train de dire que tu n'arrives pas à lire les souvenirs de cette femme.

 Le mage se tourna enfin vers lui, agacer :

— Bien sûr que je pourrais. Il me faudrait du temps et quelques préparatifs. Le problème, c'est que je ne suis pas sûr de pouvoir le faire sans la détruire mentalement. Et, pour l'instant, je la trouve trop importante pour la détruire.

— Comme si tu pouvais... Siffla Élentir.

— Silence, siffla le mage en s'approchant d'elle. Ne te monte pas la tête parce que tu as pu créer une petite barrière malgré les bracelets. Tu n'es qu'une misérable femme, qu'un suppôt de dragon, reste à ta place.

 Le général saisit l'homme par le bras :

— Arrête tes conneries ! Il est primordial de retrouver les héritiers, bien plus que ta soudaine obsession. Si tu veux des cobayes, tu auras tout le temps d'en trouver plus tard.

— Suffit, tu oses parler à un élu sur ce ton ! Peu m'importe que tu sois sous la protection de notre grand empereur. Je suis un élu, enlève tes sales pâtes de moi. Quant à toi, suppôt des dragons, réponds à mes questions. Qui est cette fille et pourquoi elle n'est pas mage ?

 Le général relâcha le mage avec réticence. Il n'était pas prêt à se plier devant cet élu, lui avait dû se battre des années pour obtenir cette place. Il respectait le capitaine qui, bien qu'étant également un élu, avait choisi de monter les échelons comme une personne normale. Mais, ce mage qui avait été placé avec lui en tête de cette mission juste grâce à son statut et sans avoir fait ses preuves... Cependant, ce n'était pas le moment d'engager le conflit.

 De son côté, Urulóki sentit que s'il voulait conserver la place qu'il avait obtenue en trahissant son pays, il avait intérêt à vite parler :

— Comme je vous l'ai dit, c'est la fillette que sa majesté... Euh que Daïna D'Ailegrande a recueillir il y a quinze ans. Je ne sais pas grand-chose sur elle. Si elle n'est pas mage, c'est sûrement qu'elle voulait devenir chevalière.

— Suffit, la voix du mage, c'était à peine élevé, mais le traitre sursauta. Arrête de me mentir. Pourquoi n'est-elle pas mage ?

— Je... Je crois que c'est parce que Salmar avait peur qu'elle l'éclipse. Avant même ses dix ans, cette gamine avait su mettre en évidence certains problèmes dans ces interprétations de rituel. À dix ans, elle est devenue l'une des plus jeunes écuyères de notre histoire. C'est Salmar qui a testé sa compatibilité magique. Ce qu'il m'a dit ce soir-là, c'est qu'il n'avait jamais vu un don pareil. Il en était assez bouleversé. Mais, pour autant que je sache, il n'a même pas proposé de la former.

 Le mage semblait agacé :

— Aussi puissant qu'était cet homme, je ne peux le dire mage. Mais si cet homme méprisable ne l'a pas formé, pourquoi tu ne l'as pas fait.

— Est-ce vraiment si important ? Remarqua le général agacé.

 Il eut pour seule réponse un regard noir et le mage fit signe à Urulóki de répondre à sa question.

— Je me méfie de cette fille. Elle a la capacité innée de lire dans le cœur des gens. À peine arrivée, elle avait deviné que j'allais vous aider, alors que je n'y avais pas encore pensé. Quand j'ai commencé à travailler pour vous, il était trop dangereux que je côtoie cette fille.

— Ah, c'était donc pour ça que tu m'évitais, cracha Élentir. Je sais donc que cela fait donc longtemps que vous avez perdu toute fierté. Tu ne mérites pas plus le titre de mage que ton prédécesseur.

— Ta gueule ! S'écria l'homme. C'est justement pour devenir un vrai mage que j'ai fait cela. Si Salmar était peut-être le plus puissant de sa génération, c'était également le plus prétentieux, le plus incompétent et le plus paresseux. Si j'étais resté à son service, jamais, je n'aurais pu devenir un grand mage. En m'alliant avec l'empire, je vais de nouveau pouvoir progresser sur la voie de la magie !

 Élentir éclata de rire, un rire faux. Dans son regard, il ne restait que du mépris :

— Quel piètre mage, tu fais. Pour toi, la magie n'est qu'un outil pour gagner en pouvoir. Seuls les chevaliers et ceux qui n'ont pas choisi la voie de la magie peuvent considérer la magie comme un outil que l'on apprend à se servir. Les mages doivent voir plus loin que ça. Un mage ne doit pas attendre qu'un autre lui apporte les connaissances toutes prêtes. Un vrai mage passe sa vie à apprivoiser la magie. Pour cela, il fait continuellement de nouvelles recherches et de nouvelles expérimentations. Même maître Salmar, qui était un piètre mage, qu'on se le dise, l'avait compris. Tu es donc un plus piètre mage que ton maître. Pour progresser malgré ton maître, tu aurais pu te rendre dans la bibliothèque royale. Il y avait là sûrement tant de savoir endormit depuis trop de générations. J'y ai passé mon enfance pourtant, je ne t'y ai jamais vu. Tu aurais pu partir en voyage, rencontrer d'autre mage, d'autre chamane ou juste d'autre pratiquant. C'est assurément en cela que Sir Léothéric, moi et d'autre chevalier somme plus des mages, cet individu, finit Élentir en regardant le mage zhikerhote droit dans les yeux.

 Chaque mot du discours de la jeune femme avait visé juste et fort. L'ancien assistant était devenu de plus en plus pâle et visiblement était sur le point d'exploser. Étonnamment, personne n'était intervenu. Le général ne semblait plus vouloir se mêler à la conversation pour l'instant. Le chevalier souriait légèrement, même si elle était son ennemie, cette jeune femme gagnait son respect. Quant au mage, il était plutôt d'accord avec les mots de cette femme et il espérait qu'elle distille quelques informations. Mais, le silence revenu, l'élu n'était pas content.

— Dans tout ce que tu as dit, répliqua le mage impérial, tu as seulement expliqué une partie de ta maitrise. Mais, cela ne suffit pas. Tu as une bien trop grande puissance, et même des années de pratique et de recherche ne justifie pas tes compétences et capacités. Que caches-tu ?

 Élentir fit un sourire en réponse à la frustration que ne cachait même pas son interlocuteur, le regard toujours plein de défiance :

— Même si j'étais d'accord pour vous parler de moi, vous n'apprendriez rien. Je ne suis qu'une pauvre orpheline recueillie par la reine Daïna comme le bâtard vous l'a dit. Je suis tout ce que vous méprisez. Je suis une femme, visiblement trop jeune pour vous, qui n'a ni statut ni un sang noble. Pire que cela, je suis fière d'être un suppôt de dragon comme vous aimez si bien le dire. Je suis une chevaucheuse qui aime la liberté et le savoir. Et, vous, vous n'aimez pas qu'une pauvre femme comme moi vous tienne tête. Éclairez-moi, ce qui vous énerve le plus, c'est que je suis qu'une bonne femme, qui, en plus, se trouve à un poste de responsabilité, que j'ai la langue trop pendue sauf sur les sujets qui vous intéressent ou que je sois une chevaucheuse tout simplement ?

 Si la tirade pleine d'arrogance laissa qu'un fin sourire que le visage du capitaine, Élentir avait réussi l'exploit d'énervé encore plus les deux autres zhikerhotes. Ce n'était pas par bêtise qu'elle faisait cela, elle avait appris, il y a longtemps, que la personne qui gardait son sang-froid était celle qui avait le plus de chance de gagner. Et, au point où elle en était, elle préférait être gravement blessée pour les paroles qu'elle avait choisies, plutôt que l'interrogatoire continue et qu'elle n'arrive pas à préserver son esprit de l'intrusion du mage. Et, ceux, même si elle devait en mourir.

— Pas étonnant que votre pays soit tombé si facilement, cracha le général plein de mépris. Laissait une femme à peine en âge de se marier, prendre un poste si important que commandante d'un garde.

— C'est votre mépris pour les femmes qui perdra le vôtre, répliqua sèchement dame Astal.

— Ce n'est pas la question, stoppa le mage se tournant vers Urulóki, essayant de reprendre le contrôle de cette conversation. Tu ne sais vraiment rien sur ses origines ?

— Non, moi, je ne sais rien. Par contre, demandez à Dame Astal, elle l'a pas mal côtoyé ou à maître Lómelindi. Comme elle l'a dit, c'est un père pour elle, si quelqu'un doit savoir quelque chose sur cette femme, c'est sûrement lui.

 Le mage se tourna vers la maîtresse d'arme. Cette dernière, toujours droite et digne, soutenue son regard.

— Je ne sais rien, déclara-t-elle. Mais si vous ne me croyez pas, venez lire dans mes pensées.

 Rien dans la voix de la femme ne laissait entendre le doute. Son regard gardait une grande assurance. Le mage s'avança vers elle et posa le bout des doigts sur ses tempes, chuchotant ce qui ressemblait à une prière. La femme eut un léger sursaut quand il pénétra ses souvenirs. Mais, elle resta toujours digne malgré l'intrusion désagréable, aucune douleur, aucune inquiétude ne se lisait en elle.

— Mais vous êtes tous les mêmes, siffla le mage frustré. Aucun de vous n'a eu la curiosité d'en savoir plus sur cette étrange fille, avec de si grandes capacités. Ni le mage, ni même les mentors de cette fille ! Que l'on m'amène le scribe. Lui devrait avoir été assez curieux !

 L'un des gardes devant la porte sortit aussitôt. Le général visiblement ennuyé alla s'installer sur le trône. Élentir sentit une légère inquiétude monter :

— Quel besoin avez-vous d'en savoir plus sur moi ? Vous ne devriez-vous pas vous concentrer sur les Héritiers comme le dit votre général.

— Mais si tu veux nous en dire plus sur tes amis, nous sommes tout ouïs. Toutefois, comme tu ne sembles pas être communicative sur ce sujet, autant nous concentrer sur toi. Je ne sais pas pourquoi, mais tu me parais être une pièce importante.

 Élentir aurait voulu plus protester. Faire remarquer de Lómelindi n'en savait pas plus qu'elle sur ses origines. Elle s'abstint cependant pour ne pas éveiller plus les soupçons. Surtout, qu'en réalité, elle savait que le gardien du savoir avait fait plein de recherche et de déduction à son sujet. Elle ne voyait pas comment éviter ce qui était en train de se passer. Si seulement elle arrivait à contourner un peu plus la restriction des chaines. Si elle avait pu forcer le passage juste qu'à son palais mental, elle n'arrivait pas encore à se servir de ses pouvoirs autres que pour protéger son esprit.

 Lómelindi fut amené avant qu'elle n'ait eu le temps de trouver comment se sortir de cette horrible situation. Aussitôt qu'il fut rentré, son regard inquiet se posa sur elle :

— Élentir, qu'est-ce que tu fais là ?

 On sentait dans cette question posée d'une voix très douce, une grande tristesse.

— Visiblement, les visites était interdite, ironisa Élentir se sentant encore plus coupable sous ce regard.

— Je ne voudrais pas vous déranger, mais j'ai quelques questions à vous poser sur dame Élentir. Souhaitez-vous être coopératif ?

— Dame ? Questionna le savant sans quitter sa fille des yeux. Vous devez faire erreur, après toute une chevalière qui est en plus commandante de la garde princière n'aurait jamais fait la bêtise de se jeter dans la gueule du loup.

 Élentir frissonna. Il était vrai que c'était rarement Lómelindi qui l'avait disputé dans son enfance, pourtant elle avait bien plus de mal à encaisser ses reproches. Elle savait à présent que lui comme ses amis avaient raison.

— Je suppose donc que vous ne souhaitez pas coopérer, conclut le mage.

 Le regard de Lómelindi se posa sur lui, puis il se posa à nouveau sur sa fille. Il lui fit un sourire paternel qui serra le cœur de cette dernière. Des larmes montèrent aux yeux de la jeune femme. Soudain, le scribe se leva brusquement. Le garde à son côté dégaina aussitôt son épée. Lómelindi s'embrocha de lui-même sur la lame. Tout le monde resta figé quand l'homme s'effondra lentement au sol.

— Lómelindi...

 Le murmure d'Élentir fendit le silence comme une plainte déchirante. En un instant, elle se trouva à son côté, la chaine entre les bracelets des entraves brisées. Elle prit avec douceur le corps de son père dont la vie s'échappait inexorablement. Elle commença à murmurer un sort de soin, même si les bracelets à ses poignets l'empêchaient de faire de la magie. Elle fut interrompue par une main faible et ensanglantée se posant tremblante sur sa joue :

— Chut, mon enfant, calme-toi... Écoute-moi...

 La voix faible de l'homme se perdit dans une toux sanglante. Il reprit un souffle rauque et continua :

— Il faut que tu me laisses partir. Laisse-moi te protéger une dernière fois en tant que père. Tu es ma précieuse fille... Je suis désolé... La perte de Hylde doit être douloureuse... Mais, ne sois pas trop triste... J'avais promis de rester pour te protéger... Promets-moi juste de rester en vie... Je... Je t'aime... Ma fille...

 Les derniers mots n'étaient plus qu'un faible chuchotement que seul pu entendre Élentir. La main s'affaissa, laissant uniquement une trace de sang sur la joue de la jeune femme. Cette dernière, les joues humides, berçait très légèrement l'homme dans ses bras :

— Ne me laisse pas, chuchota-t-elle dans une langue inconnue. Tu n'as pas le droit de me laisser...

 L'homme ne pouvait plus répondre. Il la fixait toujours avec un léger sourire, le regard dans le vide. Il l'avait déjà laissé.

— Papa revient...

 La plainte en draconnique n'émut que la maitresse d'arme, qui, même si elle ne comprenait pas, sentait l'immense tristesse de l'enfant.

— Pourquoi parles-tu naturellement la langue des dragons ? S'exclama le mage peu soucieux de l'état d'Élentir.

 Il voulut alors la saisir et se retrouva violemment projeté contre le mur comme tout le monde hormis Dame Astal qui se retrouva libérée de ces chaines. Les bracelets de la chevalière avaient quant à eux volé en éclats. Tous les ennemis restèrent inconscients aux sols. Pourtant, la jeune fille ne semblait rien remarquer, toujours berçant Lómelindi au creux de ses bras. Prudemment, Astal s'approcha d'elle :

— Il faut rapidement sortir d'ici. Nous serons en danger s'ils nous attrapent de nouveau.

 Astal crut un instant que la jeune fille ne l'avait pas entendu. Élentir avait le regard dans le vide. Toutefois, elle finit par se lever, portant toujours dans ses bras son père. La maitresse d'arme n'eut pas le cœur de lui enlever le corps sans vie même s'il allait devenir un fardeau. Elle entraîna donc son ancienne élève hors de la pièce après avoir récupéré deux sabres pour qu'elles puissent se défendre.

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