XIII
Malgré la grande fatigue du long et harassant voyage qu'elle venait de faire, Élentir se réveilla peu avant l'aube alors que le camp était encore endormi. Discrètement, elle sortit du campement après avoir averti Auriane qui était de garde. Elle entreprit alors de se rendre au bord de l'oasis, poussée par sa grande curiosité et son besoin d'aventure autant que par un besoin de solitude. N'étant jamais venue dans ses ruines, elle suivit les traces laissées par ceux qui avaient eu le courage de se rendre avant elle à l'oasis pour récupérer de l'eau et des fruits. Il y avait certes plein de puits en ville, mais une grande partie, c'était effondrer avec le temps, forçant le campement à se réapprovisionner directement à l'oasis.
Élentir progressait donc dans cette ville d'un autre temps, un temps prospère où le peuple ne souffrait pas. L'architecture bien qu'abimée reflétait cet âge d'or. Des constructions sur plusieurs étages, des systèmes d'évacuation d'eau aujourd'hui perdue, des sculptures encore magnifiques malgré l'érosion. Certaines bâtisses, sûrement protégées par de vieilles magies, n'avaient pratiquement pas subi les effets du temps. Cela rendait la visite très étrange, comme si l'on avait mélangé des maisons de plusieurs époques dans une seule rue.
Plus elle s'approchait du centre de la ville, plus la végétation avait repris ses droits. Elle ne put qu'être émerveillée devant l'étrangeté de ce lieu, même auprès de la plus fertile oasis qu'elle connaissait, elle n'avait jamais vu autant de verdure, autant de diversité, autant de couleur.
Plus elle avançait dans ce paysage bucolique, onirique, plus elle comprenait pourquoi il y avait tant de légende, tant de récit sur ces lieux.
Elle ne sut pas quand elle était rentrée dans la cour du palais royal. Rien ne le séparait du reste de la ville. Comme une invitation à venir quelques que soit sa condition. Le Palais en lui-même était différent des autres bâtisses seulement par sa taille et son état de conservation. Il était si bien conservé que l'on pouvait imaginer qu'il venait tout juste d'être fini. Et, pourtant, il avait bien moins de décoration que d'autres bâtiments. Cela ressemblait juste à un grand bâtiment officiel sobre. Ce qui rendait le spectacle de l'oasis encore plus grandiose. Devant ce bâtiment simple, l'étendue d'eau prenait toute sa splendeur. Elle devait s'étendre sur plus de surface que le palais. L'eau était si claire que l'on voyait les algues danser avec les poissons au fond. Poisson de toutes les couleurs, petit comme gros. Quelques canards se prélassaient sur l'eau. Élentir était persuadé que la moitié des espèces ne devrait plus vivre dans le royaume depuis des siècles. Sur la rive, une végétation luxuriante comme la jeune fille n'en avait pas vu. Des palmiers, des fleurs colorées, des espèces qu'elle ne connaissait pas ou si vaguement. Elle se serrait crue dans un rêve.
Sans s'en rendre compte, elle était déjà au bord de l'eau. Elle se dévêtit, ne gardant que son bandeau, frissonnant à la fraicheur de la nuit. Elle mit le bout des orteils dans l'eau et fut surprise de voir que l'eau était à une température idéale, appelant à la baignade. Alors, elle se glissa en douceur dans l'oasis. Retrouvant pour la première fois depuis des semaines une véritable sensation de calme. Elle fit quelques brasses avant de s'enfoncer dans l'eau. Sa vue devint floue, mais les couleurs déjà si belles devinrent plus vives. Les sons lui parvinrent déformés, plus forts, mais indiscernables. C'était reposant, elle serait restée ainsi encore une éternité, mais le souffle vint à lui manquer. En remontant à la surface, elle fut accueillie par une mère canne et ses petits qui tournèrent autour d'elle avant de s'éloigner.
Elle se laissa porter par le courant, couchée sur le dos. Elle sentait son corps se détendre, ses vieilles blessures lui faire moins mal, et sa magie revenir. Elle pouvait sentir que tous les courants d'énergie s'entremêlaient dans l'étendue d'eau. Soudain, quelque chose vint effleurer son esprit. Quelque chose qu'elle ne reconnut pas, quelque chose qu'il lui était inconnu et qui la mettait mal à l'aise. Pourtant, au lieu de renforcer ses protections psychiques, au lieu de rejeter cette chose. Élentir ne bougea pas et tendit son esprit vers elle. Elle caressa cette chose en échange. La chose n'avait rien d'agressif, néanmoins Élentir ressentait toujours un malaise. Les deux se tournèrent autour puis soudain, la chose partit. Laissant à Élentir un seul mot « bientôt ».
Après avoir repris ses esprits, Élentir sortie du lac. Cela faisait une bonne heure qu'elle avait quitté le campement, le soleil commençait à poindre. Il était grand temps de redescendre pour une journée de réunion.
Au retour de sa baignade, Élentir eut la surprise de trouver du monde dans sa tente. Sir Léothéric, qui était arrivé la veille après qu'elle soit partie se reposer, l'accueillit avec soulagement, mais Élentir connaissait parfaitement ce regard, elle allait avoir le droit à des remontrances. Le vice commandant de la garde princière, Égilon était adossé à la table, regardant fixement ses pieds avec un air sévère. Ciryon fut le plus accueillant, il la prit également dans ses bras sans aucun jugement dans son regard, cela la réconforta quelque peu. Cependant, ce fut la présence de ses amis, Palantir et Éledhwen qui la soulagea davantage, eux, ils seraient toujours là pour la défendre.
— Que me vaut un tel accueil de bon matin ? Demanda Élentir avec une certaine ironie pour cacher son malaise.
Dire qu'elle s'était sentie si bien, il n'y a pas si longtemps. L'effet bénéfique de sa baignade n'aurait pas duré longtemps.
— Il faut absolument que l'on parle avant que la réunion du conseil, répondit avec sévérité Sir Léothéric.
Élentir n'arrivait pas à savoir de quoi tout ce beau monde voulait lui parler de bon matin. Pour elle, elle ne voyait pas la nécessité de préparer la réunion avec le conseil. Mais, elle était sûre qu'ils n'étaient pas là pour la félicité. Et, cela devait être suffisamment important pour que son second accepte d'être aussi proche d'elle, malgré la colère qu'il ressentait à son égard. La façon dont il la considérait, commencée à la faire souffrir.
— Je pense que je vous dois... Commença-t-elle.
— Ne t'excuse pas ici, coupa sèchement Léothéric. Tu le feras devant tout le monde. Bien que tu m'aies beaucoup déçu, je ne te ferais pas de reproche. Je ne suis plus ton maître et je te connais assez pour savoir que tu te punis très bien toute seule. Nous sommes en guerre, nous n'avons ni le temps pour les excuses ni pour les remords. Maintenant, dis-moi, que sais-tu des conséquences de tes actions au palais ?
Élentir se détendit, savoir que son maître lui pardonnait à sa manière, la soulager. Seul Égilon semblait ne pas vouloir se dérider, même si désormais, il la regardait. Elle répondit :
— Je dois bien avouer que je suis dans l'ignorance. Nous n'avons guère eu le temps de nous renseigner sur le chemin du retour. La seule chose que nous avons pu apprendre, c'est que ma tête a été mise à prix. Me capturer vivante rapporte d'autant que de capturer Palantir ou Éledhwen. Franchement, cela me dépasse. Que je sois recherchée, je le conçois, j'ai foutu le bordel au palais. Mais, qu'ils souhaitent me prendre autant que les héritiers...
— N'en sois pas si étonnée, l'incident au palais à finalement pas eut beaucoup de conséquence directe pour l'empire ou la résistance, expliqua Léothéric. La seule chose qui en soit ressortie, c'est une rumeur qui se répand parmi le peuple chevaucheur comme dans les rangs des soldats zhikerhotes. Tu serais une enfant de dragon.
— Bien évidemment, continua Ciryon, l'empire fait tout en son pouvoir pour faire taire cette rumeur. Pourtant, qu'ils aient mis ta tête à prix, prouve qu'ils sont curieux à ce sujet.
Élentir commença à comprendre, même si elle n'était pas sûre que cela lui plaise. Les enfants de dragon était l'objet de légende pour le peuple des chevaucheurs, bien que des textes historiques évoquent également leur existence. Les enfants de dragon sont des humains, la plupart confié quand ils étaient encore enfants à un dragon. Les raisons pouvaient être nombreuses quand un enfant perdait ses parents, si ces derniers étaient amis avec un dragon, alors il n'était pas rare que le dragon prenne soin de l'enfant comme l'aurait fait un ami. Toutefois, pour vraiment devenir enfant de dragon, il fallait qu'un dragon partage une partie de son essence, de sa magie avec l'humain. Ce qui arrivait bien plus rarement. Le partage pouvait se faire à tout âge, même si la plupart des légendes parlaient d'enfant. Le plus connu des enfants de dragon serait Envinyatar, le mage qui avait permis d'approfondir l'amitié entre humain et dragon, le tout premier mage royal et le sauveur des dragons.
Ce n'était pas la première fois que l'on soupçonne Élentir d'en être une. Le premier à l'avoir fait était même Lómelindi, son père d'adoption, en cherchant à comprendre d'où venait la marque frontale de sa fille. C'était également une rumeur semblable sur elle parmi les serviteurs pour expliquer son étrange apparition. Néanmoins, jamais la jeune femme n'y avait prêté attention, et elle ne pensait pas qu'il y eut de la vérité dans ses histoires. Il avait bien plus de chance qu'elle était abandonnée par des humains parfaitement normaux, ou que ses véritables géniteurs soit mort la laissant seule.
Ainsi donc, elle répondit avec agacement :
— C'est donc pour cela que vous avez voulu me rencontrer avant la réunion. Cependant, vous savez comme moi que cette rumeur est sans fondement. Je refuse que l'on se serve de cette rumeur !
Tous la regardèrent avec un certain doute, elle était sûrement la seule à le penser. Cela l'agaça. Égilon siffla soudain en portant son regard dans les yeux gris d'Élentir :
— Il faut bien que les conneries que tu accumules nous servent à quelque chose !
— Ce que veut dire notre cher ami un peu trop énervé, tempéra Ciryon, c'est que cette rumeur pourrait être un avantage pour nous. Le fait qu'une enfant de dragon soit dans nos rangs pourrait signifier que les dragons ne nous ont pas totalement abandonnés. Une telle rumeur pourrait redonner du courage au peuple et faire peur aux soldats ennemis.
Élentir n'aimait vraiment pas la tournure que prenait la conversation. Elle n'avait jamais fait très attention aux différentes rumeurs qu'il y avait sur elle, pourtant une telle rumeur la dérangeait fortement car cela ferait d'elle un être légendaire. Et elle ne croyait en rien à cette rumeur. La répandre revenait, pour elle, à tromper le peuple.
— Je ne suis pas sûre que répandre de fausses rumeurs soit bénéfique. Si l'empire découvre que ce n'est qu'une jolie histoire et peut le prouver, cela pourrait nous porter préjudice. On perdrait la confiance du peuple...
— On ne te demande pas de mentir, l'arrêta Ciryon. Pour l'instant, nous sommes les seules avec Gwindor à savoir pour ta marque. Je sais très bien que même si Lómelindi trouvait des ressemblances entre ta marque et le diadème évoqué dans les légendes, tu as toujours refusé d'y croire. Je respecte ton choix et je ne te forcerais pas à mentir. Je pense juste qu'il est temps que tu cesses de cacher ta marque. Tu n'auras besoin de rien dire. Cela suffira à faire enfler la légende.
Élentir porta la main au front et caressa le dernier présent d'Hylde. Sentir le bandeau la rassura. Ce bandeau lui donnait une sensation de sécurité. Elle savait que cette impression n'était qu'illusion, pourtant elle hésitait vraiment à l'idée de dévoiler son front et son secret. Elle avait également l'impression que si elle la dévoilait, elle trahirait la parole qu'elle avait donnée à sa défunte mère. Palantir posa une main sur son épaule :
— Il est toujours dur de savoir quand faire les bons choix. Surtout quand tu dois remettre en question une partie de l'héritage de ta mère. Mais, je suis d'accord avec eux. Il faut que l'on se serve de tout ce que l'on peut. Même si ça ne me fait pas plus plaisir à toi qu'à moi.
Élentir le regarda droit dans les yeux. Elle lui faisait confiance et elle savait que rationnellement, il avait raison. N'importe quel stratège sait à quel point le moral des troupes est important pour pouvoir remporter une bataille. Et elle savait que cette rumeur créerait une vague d'espoir. Tous les chevaucheurs souhaitaient le retour des dragons dans une telle époque. Cela serait d'autant plus parfait que cela créerait également un vent de panique chez l'ennemie. Elle le savait. Mais, elle ne savait pas d'où venaient cette marque et ses étranges pouvoirs. Elle aurait l'impression de trahir la confiance du peuple en leur faisant croire qu'elle était ce qu'elle n'était pas.
Toutefois, elle abdiqua et hocha la tête. Tous les autres dans cette tente étaient persuadées que c'était ce qu'il avait de mieux à faire, elle les suivrait donc. Elle se redressa, il n'était plus le temps des doutes. L'empire avait déjà des mois d'avance sur eux.
— Très bien, il est temps que je me dévoile. Je vous remercie, je sais que vous êtes de bon conseil. Maintenant, il est temps d'y aller. Une longue journée nous attend.
Devant, la posture et le ton déterminé de sa cheffe, Égilon fit un léger et fugace sourire. Il ne lui avait toujours pas pardonné, mais il était heureux de la retrouver.
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