XVIII
Élédhwen avait regardé partir ses amis et compagnons groupe par groupe. Ils partaient tous pour leur mission la laissant seule. Il ne restait plus qu'Égilon de la garde princière, tous les autres avaient disparu au-delà des hautes dunes. La jeune femme n'aurait pas dû avoir le temps de s'ennuyer, les jours s'enchainaient et étaient bien chargés. Elle devait participer tous les jours à des conseils et dès qu'elle en sortait, elle allait porter son aide au réfugié. Pourtant, elle trouvait toujours un temps pour monter tout en haut d'une tour de garde des anciens remparts. La tour en elle-même était la plus haute parmi celle qui ne semblait pas avoir souffert du temps. Pour y monter, il fallait escalader le mur aux pierres apparentent, les escaliers en bois ayant depuis longtemps disparus, tout comme les étages. Au moindre accident, la jeune femme pouvait être gravement blessée, voir mourir, mais elle n'en avait pas peur. S'il y avait bien une chose dans laquelle elle était plus douée que son frère ou Élentir, c'était bien l'escalade.
Une fois installée en haut de son perchoir, elle fixait l'horizon durant de longues heures, comme ci de là, elle pouvait suivre le trajet de ses amis. Son regard perdu dans les dunes, son esprit vagabondait. Elle se laissait aller au chagrin de la perte de ses parents, caressant tendrement son cache-œil. Elle n'avait toujours pas eu le courage de s'en défaire.
Son chagrin pour Lancelin et Lalwendë, ses petits frères et sœurs lui manquait profondément et elle se rendait à présent compte qu'elle n'avait pas été une bonne grande sœur. Elle avait passé son temps à leur faire des leçons, leur reprochant de suivre aveuglément l'éducation que leur donnait leur mère. Son petit frère rêvait de devenir un parfait noble tel que l'on en trouvait dans l'empire alors que Lalwendë faisait tout pour être une douce et innocente gracieuse princesse comme on les voyait dans les contes zhikerhotes. Mais, elle n'aurait pas dû leur en vouloir, ils étaient bien trop jeunes pour comprendre. Et maintenant, elle se sentait impuissante, elle ne savait qu'une chose : ils avaient été emmenés loin d'elle, dans l'empire. Son seul espoir de les revoir était que jamais l'empire n'avait tué un otage de sang royal jusqu'à présent.
Elle avait aussi versé des larmes pour son jumeau. Il était celui qui lui manquait le plus. Jamais elle ne s'était imaginée aussi dépendante de sa présence, elle en avait presque honte. Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir peur que lui aussi, à son tour, disparaisse et la laisse totalement seule. Elle n'avait jamais autant prié les consciences de veiller sur son frère et sa plus proche amie.
Élentir, la toute première amie qu'elle s'était faite, lui manquait quasiment autant que son frère. Elles s'étaient rencontrées quand elles n'avaient que neuf ans dans les bois du palais. Elle se rappelait parfaitement ce jour. Elle était dans une folle colère parce que sa mère avait essayé de lui faire abandonner les leçons qui selon la reine n'était pas assez féminine. Sa mère, obnubilée par la grandeur de l'empire, était persuadée qu'une femme ne pouvait avoir les mêmes fonctions qu'un homme, contrairement aux chevaucheurs qui ne prêtaient guère attention au sexe tant que la personne était douée dans son rôle. Si l'empire n'avait jamais été dirigé par une impératrice seule, le royaume contait un grand nombre de grandes reines. Ce jour-là, la reine Daïna avait interrompu un cours d'histoire pour essayer de lui faire prendre un cours de chant à la place. Élédhwen, malgré son jeune âge, savait qu'elle ne souhaitait devenir une femme objet comme sa mère le voulait et avait quitté le palais dans une colère noir suivit de son jumeau qui s'il était d'accord avec sa sœur était resté calme et légèrement amusé. Criant toute sa rage dans les bois, Élentir l'avait entendu, cachée dans un arbre. Il était presque amusant de se rappeler qu'en ce temps, la fillette était alors bienn plus associal. Mais, elle avait fini par sortir de sa cachette pour discuter avec eux et entamer une belle amitié. Élédhwen devait beaucoup à son amie, elle n'oubliait pas que cinq ans plus tôt, c'était grâce à elle qu'elle n'avait pas perdu ses parents.
Cela faisait désormais trois jours que son frère et son amie était partis. Trois jours où elle montait régulièrement se plonger dans une contemplation pleine de solitude. Son regard parcourant l'immensité de ce désert à la beauté envoutante. Et c'est ainsi qu'Égilon vint la retrouver.
— Tu te sens seule ?
Égilon s’assit à ces côtés, les jambes dans le vide. Ces yeux bleus perçants rencontrèrent son regard triste.
Cela faisait plusieurs jours qu'il l'observait, inquiet de voir cette femme habituellement pleine de vie et de joie plonger dans une telle morosité.
— Oui, je crois… répondit hésitant Élédhwen. Je n’ai jamais été vraiment séparée des deux en même temps… Tu crois vraiment que j’étais celle qui aurait dû rester. Palantir est plus calme et posée que moi.
— C’est pour cela qu’il est mieux qualifié pour convaincre les dragons, il est le plus diplomate de vous deux. Tandis que toi, tu as l’esprit vif et tordu et plein d’énergie à partager avec les troupes. Tu seras celle qui leur donnera l’espoir dans n’importe quelle situation. Tu as le stratège pour devenir l'une des commandantes de la résistance, bien plus que ton frère !
Les yeux d’Élédhwen se détachèrent de nouveau de l’horizon pour se poser sur le jeune chevalier. Ce dernier avait un sourire sincère.
— Je ne suis pas sûre qu'avoir un esprit tordu soit réellement un compliment, mais merci, retourna-t-elle en ayant retrouvé le sourire. Mais, dis-moi plutôt, pourquoi te montrer si gentil avec moi alors que tu as été une vraie brute envers Élentir ? Pourtant, j’ai commis la même faute qu’elle. C'est mon frère et moi qui l'avons entrainé à Prémil.
À son tour, Égilon se plongea dans la contemplation de l’horizon. Il était bien conscient que son ressentiment envers Élentir était bien plus fort qu'il ne l'aurait dû. Il la tenait pour responsable, alors que vis-à-vis des deux héritiers, il n'avait ressenti que de l'exaspération. Lui-même ne savait pas vraiment pourquoi il avait réagi avec autant de violence. Il était cependant juste que la jeune femme avait toujours était celle qui parvenait si facilement à le faire sortir de son calme. Déjà quand il était aspirant écuyer ensemble, il avait eu du mal à supporter cette enfant qui ne semblait pas se soucier du règlement et qui profitait de ses facilités pour n'en faire qu'à sa tête.
Cependant, il se sentait coupable des dernières paroles, certes juste, mais dur, qu’il avait dit à Élentir, il se sentait coupable de ne pas lui voir dit un dernier au revoir avant qu’elle ne parte. Surtout qu’il savait à quel point sa mission était dangereuse. Il ne pouvait imaginer Élentir échouer, elle avait été toujours si forte et imprévisible qu'il était dur de l'imaginer échouer, mais son esprit rationnel lui rappelait que rien ni personne n’était infaillible.
— Je ne suis moi-même pas sûr, finit-il par répondre honnêtement. J’ai toujours eu beaucoup de mal à supporter une partie du caractère d’Élentir. Comprend bien que j’ai un grand respect et une grande admiration pour elle. Cependant, elle est la seule qui arrive à me mettre hors de moi. C’est sûrement pour ça que nous mettre en couple n’a vraiment pas était la meilleure des décisions.
Élédhwen rigola, se souvenant de cette sombre période :
— Je suis bien d’accord, vous n’avez même pas tenu deux semaines. Et j’ai bien cru que vous alliez vous entretuer ! Mais bon, ça me fait toujours beaucoup rire quand j’y repense.
Égilon lui lança un regard noir quoique légèrement amusé. Il ne pouvait pas réellement lui en vouloir. L’histoire entre lui et Élentir avait beaucoup fait jaser, surtout la dispute qui avait entrainé la fin de cette courte, mais intense relation intime.
— J’ai entendu cependant dire que vous aviez encore des rendez-vous nocturnes… le taquina la princesse.
Elle n’eut le droit qu’à un dernier regard noir avant qu’il ne descende les escaliers bancals.
— Je vois que tu vas mieux, je retourne à des occupations plus productives.
Elle le regarda disparaître. Elle avait retrouvé son énergie et enthousiasme habituelle. Elle ne resta donc pas plus longtemps sur son perchoir. Elle aussi avait pas mal de chose à faire. Notamment, une expédition a préparer et un campement à organiser.
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