Ce jour-là, le soleil se leva sur une fine brume. Le blizzard était fini, révélant un paysage d'infinie blancheur à peine voilée. Élentir s'était levé avant les autres et c'était glissé discrètement dehors. Elle n'eut aucun mal à trouver le cimetière dans lequel se trouvait la raison de sa sortie. Une fois à l'entrée de ce mémorial destiné au mort, elle hésita. Elle n'était plus sûre de ce qu'elle venait faire en ces lieux. Après de longue minute de silence, elle avança enfin. Ses pas s'arrêtèrent devant une magnifique sculpture de granite représentant une femme et un nourrisson. Elle observa longuement le visage de pierre de la femme. 

 Elle comprenait parfaitement pourquoi Palantir avait insisté. Pourquoi il ne pouvait s'empêcher de faire un lien avec elle. L'histoire, si elle s'était bien terminée, expliquait la plupart de ses particularités. De son apparition loin de tout humain et sans traces dans la neige, bien qu’il n'ait pas neigé depuis plusieurs jours, son étrange éducation malgré son jeune âge, ses capacités hors du commun ou encore son étrange marque qui grandissait à chaque fois qu'un pouvoir naissait en elle. Ces étranges pouvoirs qui n'avaient d'ailleurs rien de rationnel. La magie demandait beaucoup d'effort, d'apprentissage de plusieurs mois à plusieurs années, à l'exception de certains dons de naissance qui n'était rarement plus puissant qu'une étincelle si l'on ne le travaillait pas. Mais, les dons qui naissaient en même temps que sa marque n'était pas de cet ordre-là. Le tout premier qu'elle avait développé était le saut du dragon, lui permettant de se déplacer à une très grande vitesse sur une certaine distance, et le dernier était celui qui était apparu lors de sa visite au palais, le souffle du dragon. C'étaient des pouvoirs puissants qui demandaient souvent de longue année d'apprentissage. Et c'était à cause d'eux qu'elle savait au fond d'elle que peut-être la rumeur était plus qu'une rumeur.

 Pourtant, elle refusait de l'accepter. 

— Pourquoi ? Demanda une douce voix.

 Elle se retourna pour voir Gwindor qui la regardait avec beaucoup de compassion. Elle retourna à sa contemplation avant de retourner :

—  Pourquoi quoi ?

 Le médecin vint se placer à ses côtés :

— Pourquoi n'arrives-tu pas à accepter cette hypothèse qui est tout aussi valable qu'une autre.

 Élentir ne répondit pas tout de suite. Jamais elle ne s'était confié sur ce sujet à qui que ce soit, ni à Hylde, ni à Lómelindi, ni même à Palantir et Élédhwen pourtant ses plus proches amis. Respectant son silence, Gwindor se tint à son côté, admirant également cette magnifique dame de pierre.

— Je crois que je n'aime pas me sentir différente, déclara-t-elle soudainement. Quand, je suis arrivé au palais, je ne me sentais pas à ma place. Bien sûr, j'aimais Hylde et Lómelindi, et j'appréciais ce qu'il faisait pour moi. Mais, je voyais bien les regards qu'on ne lançait. Je n'avais pas encore appris à maitriser mon don de naissance et je ressentais tout ce qu'ils ressentaient. De la méfiance, de la peur. Pour eux, j'étais trop intelligente pour être une enfant normale, trop habile de mes pensées comme de mon corps. Aussi étonnant qu'il soit, aime si j'aimais déjà la solitude, je n'aimais pas cette sensation d'être la seule à être ainsi… Je pense que si vraiment, je suis une enfant de dragon, alors je ne sentirais d'autant plus seule. Ces gens-là auraient eu raison, je ne suis pas normale. Je ne serais ni humaine ni dragon...

 Gwindor écouta silencieusement son amie. Il ressentait toute la détresse qu'elle ressentait. Il ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras.

— Je suis désolé, chuchota-t-il. Mais ces gens-là ne savent pas ce qu'ils ont perdu en te jugeant ainsi. Maintenant, tu ne seras plus jamais seule. Tu as des amis, des compagnons d'armes, un mentor. Tu es bien entouré. Et je veux que tu saches que tu sois enfant de dragon ou non, cela ne change rien pour moi.

 Le cœur d'Élentir se réchauffa en entendant ces paroles. Elle plongea un peu plus dans l'étreinte réconfortante de son ami. Ils restèrent ainsi durant de longues minutes avant de reprendre la direction de la ferme, sans un mot, mais tous deux souriants.

 Il ne fallut pas longtemps au reste de leur compagnon pour être prêt au départ. Ils partirent donc rapidement après un dernier adieu à leurs sauveurs. Féna leur demanda une dernière fois de revoir leur plan, en vain. Le temps s'était bien dégagé et bien que le bras de Palantir ne fût pas totalement remis et que Gwindor était encore un peu fatigué, ils avancèrent très rapidement. L’équipement fournit par les montagnards était d’une grande aide. Ils ne souffraient plus de froid et les raquettes de bois leur permettaient d’avancer bien plus facilement. Cela faisait bien deux heures qu’ils marchaient dans le silence quand le bruit de pas rapide et une voix essoufflée se firent entendre.

— Enfin, je vous ai rattrapé…

 Un jeune montagnard bien équipé se tenait à une cinquantaine de mètres d'eux, essoufflé. Il courut sur leur trace toute leur matinée. Bien qu’il ait bien plus l'habitude et l'altitude et du manque d'air, cela l'avait grandement fatigué. Il était donc soulagé d'avoir pu les rattraper.

 Devant ce garçon à peine adulte crachant ces poumons, Palantir s’inquiéta :

— Que se passe-t-il ?

 Une crainte le pris soudain, et si l'empire avait attaqué la ferme. Mais, le jeune garçon sourit à pleines dents malgré son souffle court :

— Je ne trouvais pas cela juste de vous laisser affronter les montagnes seuls. Je suis donc venu vous guider. Avec moi, vous aurez peut-être plus de chance de survivre.

 Il se redressa avec un grand sourire :

— Je suis Nael et je suis l'un des meilleurs grimpeurs du village !