7. Le linge sale ne se lave qu'en famille

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Le lundi chez Legall, Jules n'a pas le cœur à l'ouvrage. Il consulte les dossiers, mais ça l’emmerde à fond il s’endort à moitié. Pourtant il est bien obligé, il passe sa matinée dessus.

Il a retrouvé son vélo aussi, Gauthier lui a remémoré la soirée, comment ils sont rentrés, à 3, mais que Jules était tellement raide qu’il s’est effondré dans son lit au salon. La conquête de Gauthier est plutôt mignonne, une petite rousse un peu dodue pour lui, mais avec un joli sourire et des taches de son en guise de paillettes.

Il a compris la structure de la société de productions de sons Anima. Il ne découvre pas grand-chose de nouveau dans le dossier. L’avocat a bien une participation de 1%, soit une part risible comme il l’affirme. Cherchez le mobile… Ben là, c’est pas l’argent pour le ténor, parce que c’est peau de balle. Bon ok, c’est un gros con prétentieux, mais il a déjà plein de fric et s’il baisait la vieille, pourquoi il l’aurait tué ? Crime Passionnel ? Jules soupire… Il sent un truc pas net chez l’avocat mais n’a absolument rien.

Il rentre à l’appart. Seul tout. Gauthier n’est pas là. Un petit mot : je dors pas là ce soir. Bon, ben ça devient sérieux s’il dort chez elle pense-t-il. Passe à la laverie déposer son linge. En l’attendant devant le hublot, il sort le dossier de la fille, ça le motive déjà plus.

Déjà pendant ses études il faisait comme ça : il commençait par le plus chiant. Les cours les plus ardus genre fiscalité ces trucs-là, pour s’en débarrasser. Quand c’était fait il pouvait passer à autre chose, les matières qu’il préférait, l’histoire du droit et les différences entre les pays, comment c’est arrivé et comment ça s’est constitué, ça en dit tant sur les sociétés concernées.

La plupart faisaient le contraire : le facile d’abord. Les quicks wins d’abord. Ensuite tu révises le lourd. En vérité, la plupart faisaient l’impasse. Jules savait qu’il ferait aussi l’impasse s’il commençait par le facile d’abord. Donc il révisait le plus chiant et après s’endormait et n’avait plus le temps pour le reste. Il comptait alors sur son sens de l’impro : je ferai ça au talent ! ça ne marchait pas toujours… Et puis il avait carrément arrêté pour suivre une paire de yeux avec un si joli cul qui l’avait quitté…

Alors bon, voyons le dossier de la fille. Une sauvageonne pourquoi pas, plus intéressant qu’un ténor du barreau.

Prépa Véto en Belgique, à Liège. Sans doute là qu’elle avait appris à gouter les bières. Elle avait intégré l’école vétérinaire de Nantes avec des supers résultats, elle était rentrée en 10ème position. La Belgique, puis Nantes, elle ne voulait pas rester proche de sa famille…

Et là en effet, son dossier à l’école changeait de ses notes d’avant. Surtout les appréciations. Et ses passe-temps : membre du bureau des élèves, elle s’impliquait apparemment beaucoup dans l’organisation des fêtes étudiantes de son école. Et ces fêtes avaient lieu apparemment souvent. Très souvent même puisqu’ils disposaient d’un club house dédié sur le terrain de l’école, elle-même située en plein campagne à 15 bornes de Nantes. Lieu idéal pour des beuveries… Où venaient les rejoindre un certain nombre d’autres étudiants adeptes.

Bon, pas de quoi tuer une marâtre.

Et enfin « l’affaire » : un soir, elle a frappé un autre étudiant à la tête avec un objet en métal, apparemment une sculpture équestre en étain et il est tombé dans l’étang qui jouxte le club house. Il serait mort noyé s’il n’avait pas été sauvé par ses camarades à moitié soul qui l’ont repêché on ne sait trop comment. Commotion cérébrale, il ne se souvient pas de ce qui s’est passé avant… Les autres non plus. Elle non plus : 2g d’alcool dans le sang après l’intervention du SAMU et des flics.

Virée du bureau des élèves, l’étudiant frappé étant son président. Un blâme de la direction et elle se range. Elle passe du statut de fille la plus populaire à brebis galeuse. Elle passe la plupart de son temps à faire du cheval. Et s’occupe à fond des chevaux. Concernant ses études, ses notes de pratique sont excellentes mais moyennes sur la théorie. Elle habite chez une logeuse dans une petite maison près d’un bois, on la surnomme alors la sauvageonne ou la sorcière. Elle obtient son diplôme malgré tout, sans félicitations. Elle trouve très vite un poste à Chantilly, au musée du Cheval.

Tempérament violent, mais pas de quoi en faire une alcoolique plus que la moyenne des étudiants pendant leurs études. Sauf que… Le mode opératoire de l’agression de Van Loewen ressemble étrangement à ce qui s’est passé avec cet étudiant…

Il appelle Fanny : « ça tient toujours votre invit’ au resto ? On m’a dit d’enquêter sur vous… »

 -  J’apprécie que votre curiosité porte sur moi, d’habitude on ne s’intéresse qu’à mon cul.

 -  Ce n’est pas incompatible.

 -  Y’a des drôles de bruit chez vous.

 -  Je suis dans une laverie.

 -  Haha, vous comptez pas m’emmener votre linge sale.

 -  Non, non, ça ne se lave qu’en famille.

 -  Alors je peux demain soir. Mais pas Chantilly c’est trop petit.

 -  Alors Paris mais où ? Je connais pas grand-chose ?

 -  Je peux vous emmener dans un vietnamien, ça s’appelle « Au petit Cambodge ».

 -  Vietnamien ?

 -  Ouais enfin, cambodgien avec cuisine franco-cambodgienne.

 -  Suis ouvert à tout pourvu que ce soit pas un resto italien.

 -  Alors 19h15.

 -  C’est tôt.

 -  Je dois rentrer tôt.

 -  Ok.

 -  A demain alors.

 -  Bonsoir Fanny.

 -  Bonsoir.

Il reste immobile deux minutes l’air pensif. Puis se lève et sort de l’appartement. Il descend à la librairie du quartier. Il consulte des 4èmes de couverture de livre de poche, rayon polar, rayon noir. Un détective privé qui lit des romans policiers, se dit-il, le comble de l’ironie. Comme si Pepe Carvalho lisait Dashiell Hammett !

Il feuillette des BD en faisant tourner quelques pages. Si le dessin est à son goût, il poursuit un peu. Sinon, le livre lui tombe des mains. Dans un roman, l’écriture est le véhicule, mais il en lit surtout pour l’histoire. Dans la BD, c’est le dessin le véhicule et s’il ne le trouve pas à son gout, ça cahote trop et ses yeux finissent par se brouiller. C’est rare qu’il aille au bout d’une BD dont le dessin le rebute.

Pourtant, il y a bien cette BD d’Alberto Breccia, un illustrateur argentin : Perramus, allégorie sombre sur la dictature militaire argentine. C’est bien parce qu’on y suit les pérégrinations de trois personnages en quête d’histoires et d’aventures, qu’il a été jusqu’au bout. Un peu comme les aventures de Corto Maltese, en plus sombre. Aussi, parce qu’à la fin apparait l’écrivain Jorge Borges sous la forme d’un guide mystérieux dans un Buenos Aires labyrinthique. Et qu’il adore Borges. Il a donc soif d’histoires. Et sans doute d’aventures. Mais bon, aimer un héros sans nom, sans mémoire, à qui on donne le nom lu sur l’étiquette du manteau qu’il porte, Perramus… c’est bien digne d’un détective privé, de porter le nom de son imperméable !

Il choisit finalement trois livres de poche : L’Homme chauve-souris de Jo Nesbo, La Voie du Fantôme de Tony Hillerman et le Dernier Lapon d’Olivier Truc.

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