8. Heureusement il y a Findus!
Les deux grandes baies vitrées du restaurant donnaient sur la rue. Comme il faisait l’angle, l’une donnait sur un des angles de l’enceinte de l’Hôpital Saint-Louis, le roi qui se voulait le « justicier suprême », ce qui parait honorable à Jules. L’autre donnait sur le trottoir opposé et les tables du bar La Belle Equipe où une foule animée prenait l’apéro bruyamment pour un mardi soir, malgré certains évènements tragiques survenus quelques années auparavant.
Jules accrocha son vélo à un poteau d’interdiction de stationner, jubilatoire ironie aux conducteurs de voiture et jeta un œil à la carte. Le petit Cambodge est un restau branché, cuisine mixte cambodgienne et française, vins naturels. Un dernier coup d’œil au ciel menaçant, Jules n’a rien pris contre la pluie. Il comprend que la raison pour laquelle les détectives portent un imperméable dans les clichés, c’est uniquement pour se prémunir du désagrément d’être trempé à cause du climat menaçant.
Il entre dans la salle, et l’aperçoit à une petite table pour deux dans un coin tranquille, mais avec la vue sur la rue. Elle est arrivée avant lui.
- Vous êtes ponctuelle.
- Oui, toujours. Elle lui sourit.
- Vous essayez de me séduire ?
- Haha, je n’essaye pas de vous séduire dans le but de vous corrompre, vous savez, tout ça pour vous embrouiller dans votre enquête…
- Ha non ?
- Non, je vous séduis car je vous trouve différent des autres.
- Différent ? vous voulez dire quoi… c’est une manière de me flatter.
- Non, vous êtes différent car vous n’êtes pas comme les autres.
- Ha haha.
- Je vous le dis parce que je le pense, je n’ai pas beaucoup de qualités, mais je suis sincère, je vous trouve marrant.
- Décidément.
- Quoi ?
- Tout me le monde me trouve comique dans cette histoire.
- C’est-à-dire ?
- Ça a commencé avec l’Ayatollah du vin naturel…
- L’ayatollah ?
- Oui façon de parler, le gars du verre volé, on le surnomme ainsi car il est inflexible sur le vin naturel.
- Je connais pas.
- C’est le bar à vin branché près du canal où on a retrouvé le corps noyé de Van Loewen.
- Je sors pas souvent à Paris, j’habite Chantilly vous vous souvenez, alors les lieux branchés…
- C’est pour ça que vous habitez en Picardie, Mademoiselle Picart ?
- Jules Meunier, on a dû vous emmerder, aussi avec votre nom, non ?
- Ouais, au collège, on m’appelait Tudor, car Meunier Tudor… on me disait, hey Meunier, Tudor !? un peu chiant… Plus tard, un mec plus érudit m’a appelé le Prince Tudor, j’aimais mieux…
- J’imagine… moi aussi, on m’a fait chier pour mon nom… mais plus tard au lycée et même pendant mes études. Ça a commencé avec un prof de maths en Term le jour où j’avais ri trop fort : Picart, vous êtes givrée ou quoi ? Tout le monde s’est marré et après j’avais un surnom, Picart la givrée. Certains ont retrouvé la pub Findus sur Youtube, le précurseur de Picard pour les plats congelés : Heureusement il y a FINDUS. FINDUS ! Transformée en chanson potache chez les étudiants, ça donnait : Il rentre enfin à la maison FIN ROND. FIN ROND ! Et donc, pendant mes études, ils ont innové et rajouté une phrase, ça s’est transformé en : Elle rentre enfin à la maison FIN RAIDE. FIN RAIDE ! Heureusement il y a PICART, Pii-Cart !
Ils se racontent leur vie. Lui ses études, son départ en Italie, son chagrin d’amour, son retour.
Elle ses études de véto, sans s’attarder sur l’épisode du gars tombé dans l’étang. Elle est gaie et souriante. Il boit ses paroles.
Fanny observe aussi Jules, Prince Tudor sans couronne, et se demande ce qu’elle lui trouve. Déjà il est plus petit qu’elle et il a l’air un peu perdu. Ou alors c’est à cause de ça qu’elle l’aime bien, son air peu rêveur, son côté doux et féminin. Comme elle le fixe sans poursuivre la conversation et que Jules a achevé sa phrase depuis de nombreuses secondes, il lui demande :
- Vous voulez prendre un digestif ?
- Ecoutez, il est tard et demain je bosse tôt, je veux rentrer, vous m’accompagnez à la gare du Nord ?
- Ok, mais vous ne m’avez pas dit grand-chose sur vos relations avec la victime
- Pas ce soir please, venez me voir demain après-midi, je suis moins oppressée dans la forêt, et ça vous aérera je vous trouve tout pâle.
- D’accord, mais mon vélo, j’en fais quoi là si on va Gare du nord ?
- Allons-y à pied, vous pouvez le pousser.
Vingt minutes plus tard il la laisse sur le quai de la gare du Nord. Trente minutes après elle est à Chantilly et lui dans son lit.
La nuit il fait un rêve bizarre : il se promène dans un immense centre commercial lumineux. Il arrive au comptoir d’une espèce de boulangerie. Et là, il se sent très à l’aise, très hâbleur, à blaguer avec les vendeuses, il y en a au moins une dizaine, il ne fait jamais ça dans la vraie vie, n’est pas un dragueur fou, il est plutôt réservé. Soudain quelqu’un pousse du coude une des vendeuses, qui passe devant le comptoir et lui donne une petite figurine. C’est un petit pingouin, mais sa peinture est abimée, alors son ami JB Grand Barbu, illustrateur et sosie du Sammy Barbu dans Scoubidou, lui tend des pinceaux : il doit redonner des touches de noir, sous les pattes du pingouin… Mais il a beau peindre, il y a toujours des parties blanches, et il ne cesse de donner des coups de pinceau… Au bout d’un temps incertain il relève la tête, excédé, en soupirant, et la vendeuse réapparait devant lui, elle est mince et ressemble à Fanny, elle s’approche de lui tirant une moitié de vache, seulement la partie arrière, coupée en deux, avec ses pattes arrière et la moitié de son dos avec sa queue. Et son pis, énorme, mais cette vache est en métal comme de l’étain, brillant et rainuré, en revanche de son pis sort du lait, du vrai lait. La femme attrape les tétines du pis et lui présente : Bois ! dit-elle…. Quand il est rassasié, il se rend compte qu’il téte les tétons de cette femme, et elle sourit. Elle a le visage de Fanny. Il se réveille en sursaut. S’aperçoit qu’il bande fort… et en rigole… avant de refermer les yeux. Aussitôt il visualise la silhouette de Fanny et il se caresse avant de se rendormir.
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