10. Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien !

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Jules assis sur le canapé mate une série sur son ordi, mais son regard est dans le vague. Il essaye de rassembler les éléments épars dans tout ce que lui a dit Fanny. Et puis, il est encore un peu troublé par les sensations qu’elle lui a données. Il n’aurait jamais cru apprécier de se faire attacher ainsi pour faire l’amour… De la baise sauvage Pour autant, il ne peut s’empêcher d’y repenser. Tout en ne sachant pas ce que ça signifie…

Il ne sait pas non plus quoi penser de cette fille. En revanche, il sent qu’elle a raison. Il faut creuser du côté de la belle-mère et de l’avocat… Mais comment faire ? Aller sonner à ses bureaux : bonjour je suis détective privé, vous pouvez me donner tous les documents compromettants qui sont dans vos archives svp ? Même avec son sourire le plus niais, ça ne marcherait pas… Et s’il venait avec le frère, pour faire diversion … C’est une idée…

Gauthier rentre au milieu de ses divagations. Il fait la gueule.

 -  Tu rentres déjà.

 -  Ouais, on a diné ensemble, mais elle voulait rester seule ce soir…

 -  Ah les femmes…

 -  Ah ta gueule !

 -  Tu n’as pas voulu forcer sa porte, c’est bien mon Gauthier, tu es un homme intègre.

 -  Ferme là je t’ai dit.

 -  Mais, mais, oui !... Voilà ! Je sais !

 -  Tu sais rien du tout, tu connais rien aux femmes, toi, de quoi tu me parles ?

 -  Tu m’as pas dit qu’une fois tu avais perdu tes clés d’appart et que tu avais quand même réussi à rentrer chez toi !?

 -  Si, mais je vois pas le rapport, je vais pas rentrer dans son appart à elle en douce…

 -  Nan, pas du tout, mais je te propose une petite soirée divertissante pour te sortir de ta mauvaise humeur, vieux !


Jules a mis dix minutes pour lui expliquer et presqu’une heure pour le convaincre. En buvant des bières. Puis une bouteille de rouge déjà ouverte.

 -  Mon grand-père servait toujours une petite gnole dans le café à la fin du repas, dit Jules, « une tite goutte donner du cœur à l’ouvrage ! » Moi aussi, je connais des dictons familiaux, faut pas croire.


Et il prépare un shot de Rhum avec du citron et du sucre. Ils se marrent en s’habillant. « Tu te rappelles quand t’étais venu au carnaval quand t’étais môme ? » Jules se rappelle un truc bruyant et coloré et gai, sur cette grande plage du Nord.

 -  Dunkerque, ouais… Il sourit. On s’était déguisés en bagnards je me rappelle, avec des pyjamas rayés et le menton passé au charbon.

 -  Exact. Et tu te rappelles mon père déguisé en femme avec sa perruque ?

 -  Ouais, qu’est qu’on s’était gelé, mais on s’était bien marré.


Pantalon noir, pull noir, chaussures sombres, à minuit ils sont fin prêts. Et légèrement souls aussi. Car ils ont pris un second shot de Rhum pour se donner du courage.

Ils prennent le métro, en ricanant comme des collégiens en train de préparer une mauvaise blague. Arrivés devant le 22 rue Saint Gilles, ils font moins les farauds. La rue est déserte, on est dans le Marais, en semaine, il est minuit trente, mais Paris ne dort pas vraiment.

 -  Saint Gilles dans le Marais. Tu te souviens de Gilles de Rai, ou Barbe Rousse, qui enfermait ses femmes dans un cachot ? Je crois que son château était au 22 de la rue…

 -  Ah ta gueule, dit Jules.


Il y a une porte cochère bleue sombre, avec un interphone et seulement 4 noms dessus. Des noms de société : Marie Galante cosmétiques, Bien Manger Epicerie, AnimaStories studios, TalkOver.

Mais pas de bouton pour déclencher l’ouverture de la porte.

Gauthier appuie sur le bouton marqué AnimaStories Studios. « Putain mais t’es con ou quoi !? s’il y a quelqu’un, il va nous entendre : vous pouvez ouvrir svp, on vient fouiller vos bureaux !? »

 -  Justement, si quelqu’un nous avait répondu, on aurait su qu’il y avait du monde sur place, pas con, non ?

 -  Mouais.

 - Pour rentrer, j’ai une meilleure idée encore.

 -  Quoi ?


Gauthier Fait un signe du doigt vers le haut.

 -  Quoi le ciel ? Il fait nuit, et alors, on s’en fout !

 -  Non, regarde mieux. Il montre du doigt au-dessus de la porte. Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt… Recule toi.


Jules recule et comprend mieux. La porte cochère est insérée dans un mur d’enceinte, mais ce n’est pas une façade d’immeuble en fait. Pas si haut que ça. Un peu plus de 2m. Juste sur la droite de la porte. Gauthier se met contre le mur et lui fait la courte échelle. Il a les mains qui tremblent un peu quand Jules pose son pied dessus. Jules se soulève, s’étire le plus qu’il peut et sa main attrape le haut du mur avec une main. Puis l’autre. Il donne une impulsion et réussit à agripper ses coudes sur le rebord. Il se hisse petit à petit, et l’autre en dessous lui pousse le pied. Jules réussit à s’élever puis à enjamber et se retrouve tant bien que mal assis à califourchon. Il souffle et sent que le dernier petit coup de rhum était un peu trop chargé quand même. J’arrive, chuchote-t-il trop fort. Il commence à se laisser glisser de l’autre coté et Gauthier entend un grand froissement, quelque chose qui frotte, et un choc sourd.

 -  Ça va ? Jules, ça va, t’as atterri ?

Pas de réponse, merde, putain, merde. Quel con, il s’est planté, qu’est ce que je peux faire merde, merde, merde.

 -  Jules réponds moi bordel, t’es vivant ?

Gauthier ouvre grand la bouche pour respirer et reste aux aguets mais n’a toujours pas de réponse.

 -  Jules, réponds, Jules !

 -  Pssst !

Il regarde en haut, mais ne voit rien. Quand il entend à nouveau la voix, il se retourne et aperçoit la porte cochère entrouverte.

 -  Psst Gauthier, je suis là.


Jules est tombé le long du mur de l’autre côté, c’était vachement plus haut parce qu’il y a un décalage entre le petit jardin intérieur et la rue, heureusement, il y a un arbre avec des branches qui l’ont un peu retenu, et des fourrés qui ont amorti sa chute en bas. Il est couvert de feuilles, son pull a une déchirure dans le dos et son pantalon présente de grosses taches marron aux fesses. Mais il est OK.

Ils descendent 3 marches, traversent la cour en jouant aux agents secrets. Arrivés devant une porte vitrée où est marquée STUDIOS, Jules dit : « c’est à toi. »

 -  Quoi ? ah oui, j’avais oublié.


Gauthier sort une radio de son sac : « c’est la radio de quand je me suis cassé le bras, c’est vachement utile en fait… » Il glisse la radio dans la fente entre le montant et la porte. Il monte, descend. Essaye doucement, la fait glisser vers le haut, ça coince. Il la met plus haut et la fait glisser vers le bas. D’abord doucement. Puis plus fort. Il s’énerve et agite frénétiquement.

 -  Putain on voit rien, elle marche pas cette lampe-là ? Ils lèvent touts les deux la tête vers une boule brillante au-dessus d’eux.

 -  Non, pas la peine, je vais t’éclairer, voilà. Et calme-toi, met là juste au niveau du pêne, et réessaye. T’as bien réussi chez toi.


Gauthier souffle et, éclairé par le téléphone portable de Jules, il glisse la radio au niveau du pêne, tout doucement, et se contente de pousser d’un coup sec. On entend un clic. Jules tire sur la porte et elle s’ouvre…

 -  Nom de dieu, le bol, ils ont pas fermé avec la clé.


Ils rentrent en douce, et se mouvent à la façon d’agents secrets… bourrés. Jules rentre dans un meuble. Chuuut.

Ils sont dans une grande pièce avec plusieurs bureaux, comme un immense plateau. Et plein de grands écrans. Il doit y avoir des bureaux fermés. Ils trouvent une porte qui donne sur un bureau de chef. Ce doit être là. Ils farfouillent dans les tiroirs, sur la table, un peu au hasard, mais ils ne voient rien et s’éclairent juste avec la lampe de leur téléphone portable.

L’ordi. Un gros ordi trône au milieu du bureau. Voilà, c’est dans l’ordi, évidemment, qu’il faut chercher, tout doit être là-dedans, ses dossiers, ses échanges de mails, ses petites cachotteries. Jules trouve le bouton et l’allume. L’écran s’allume enfin.

Et c’est le drame. Une sonnerie stridente vient détruire leur conduit auditif. Tellement fort qu’ils se figent comme des lapins pris dans les phares. Ils percutent après quelques secondes seulement que c’est une alarme.

 -  Putain, on s’ barre, hurle Gauthier.


Ils se précipitent vers la sortie en bousculant des trucs mais ils s’en foutent. Ils s’éjectent hors du bureau, puis dehors.

Mais Jules retient Gauthier sur le pas de la porte : « Attends, faut effacer nos empreintes » et il montre la porte qu’ils viennent de forcer avec la radio.

 -  Mais t’es trop con, toi, on se barre, des empreintes, tu te crois où ?


Des lumières commencent à s’allumer dans un autre bâtiment de la cour. Dans la même impulsion ils s’élancent et s’écrasent en même temps sur la porte cochère. Elle s’ouvre vers l’intérieur, merde. Vite vite, ils perdent encore quelques secondes à trouver le bouton déclencheur dans le noir, et la tire enfin, sur le trottoir. Ne s’arrêtent pas, courent dans la rue, courent. Comme des dératés. Zigzaguent un peu aussi. Au premier coin de rue perpendiculaire. S’arrêtent. Hors d’haleine. « Marche normalement » dit Gauthier, « faut qu’on ait l’air normaux, n’ayons l’air de rien. »

Jules souffle : soyons désinvoltes.

 -  Quoi ?

 -  Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien.

 -  De quoi tu parles ?

 -  Noir Désir, tu connais pas ?

 -  Nan.

 -  Un groupe de rock des années 90… Discutons musique, comme si on se promenait dans la rue. Ayons l’air normaux, désinvoltes.

 -  OK. Putain, on est vraiment des pieds Nickelé !


Et ils éclatent de rire.

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