11. Joyeuse fête des Morts !
Jules se lève tard. Gauthier est déjà parti et lui a laissé un mot : « merci, on s’est quand même bien marré hier ! je pars prendre l’air avec Julie, aujourd’hui. On va au Havre en train, voir la mer. A ce soir vieux. »
Jules prend son temps, et va au boulot vers 10h. Amandine est déjà là et le regarde avec son petit sourire en coin.
- Tu sais quel jour on est ?
- Jeudi, pourquoi ?
- Jeudi 11 novembre, c’est férié, c’est la fête des morts !
- Ah merde, j’avais zappé… ben et toi ?
- Moi je suis la geek de service, je n’ai pas d’horaires, et je travaille quand je veux, ha ! Et en vrai, chez Legall Détective, la fête des morts, c’est le jour où on devrait bosser le plus non ?
- Ha, t’a raison, je viens bosser, car je peux pas fêter les morts. En fait j’en ai un à m’occuper, enfin une, presque morte disons. J’ai besoin de réfléchir, chez moi ce n’est pas possible.
- No souci, Julot, tu fais ce que tu veux, je sais bien que tu viens ici pour me voir. Et elle lui lance un clin d’œil aguicheur.
Il se pose devant son ordinateur et réfléchit. Bon hier soir, ça a foiré, mais c’est dans la bonne direction, il faut qu’il creuse. Comment faire s’il ne peut pas fouiller la nuit ? Il ne peut quand même pas y aller de jour, pointer sa gueule enfarinée et fouiller dans l’ordi comme ça ! .... Et si… ? Oui, bien sûr ! Il sait comment faire. Il se lève d’un bond et salue Amandine qui le regarde d’un air étonné : « tu t’es fait piquer par un moustique ou quoi ? »
Jules ne l’entend même pas, il est déjà de l’autre côté du couloir, sur le palier, il a dévalé l’escalier et saute sur son vélo.
Il descend la rue pour rejoindre le boulevard, c’est tout droit, tout plat, il n’y a pas de trop de circulation. En deux minutes il arrive place de la Bastille, fait le tour du rond-point et de son génie de la liberté en haut de la colonne de juillet : si seulement il suffisait de frotter le bronze du génie pour obtenir sa liberté… mais à plus de vingt mètres de haut, la liberté est inaccessible au commun des mortels !
Il enquille dans le faubourg Saint Antoine, il n’est pas trop emmerdé par les voitures qui d’ordinaire frôlent et collent les cyclistes sur cette partie et s’arrête devant l’ESAT Bastille. A nouveau il montre patte blanche. « Vous avez de la chance, Bastien est là aujourd’hui. Il n’y a pas vraiment de jour férié ici.»
On l’accompagne jusqu’à l’atelier de confection. Bastien le reconnait et lui sourit.
- Bonjour.
- Vous me reconnaissez.
- Oui vous m’avez déjà parlé et ma sœur m’a parlé de vous et elle vous aime bien.
- Ah bon, et que vous a-t-elle dit d’autre sur moi ?
- Que vous étiez gentil et que vous alliez nous aider.
- Et à quoi croyez-vous que je vais vous aider ?
- Je ne sais pas.
Le jeune homme cesse de sourire et son regard fuit le sien. Jules se rappelle qu’il ne doit pas le brusquer.
- Oui, oui je vais vous aider.
- Ah je savais bien qu’elle avait dit ça. Vous êtes son nouvel amoureux ?
- En quelque sorte.
- Elle est F… farouche vous savez.
- Oui, il m’avait semblé aussi. Jules se marre en son for intérieur. Sauvage oui, mais farouche pas certain… Pour que je vous aide, il faut que je fasse quelque chose, mais je ne peux pas le faire tout seul, j’ai besoin de toi Bastien, on peut se tutoyer ?
- Oui, bien sûr, si tu es l’amoureux de ma sœur.
- Alors voilà, c’est un peu compliqué, mais pour aider ta sœur, je dois récupérer des affaires.
- Des affaires à moi ?
- D’une certaine manière oui, puisque tu es un des héritiers de la société AnimaStories.
Jules voit le regard de Bastien se figer à ce nom.
- Est-ce que tu pourrais m’accompagner dans leurs bureaux, et ouvrir l’ordinateur de ta belle-mère…
- Non non , non non
Bastien se bouche les oreilles et secoue la tête, non, non, non…
- C’est pas pour t’embêter mais pour t’aider et sans toi je ne peux pas y aller.
- Nonnonnon NON NOOOOON ! Il se met à crier.
Jules pose ses mains sur ses épaules et tente de le calmer : « ce n’est rien Bastien, tu n’es pas obligé, calme toi… »
Rien à faire, il se lève en criant, se met en boule par terre en se bouchant les oreilles, il se met hors d’atteinte du monde. Un des animateurs du lieu, arrive en courant l’air courroucé : Bastien tout va bien ? Œil noir vers Jules : vous lui avez dit quoi
- Ben, pas grand-chose, je lui ai demandé s’il pouvait m’accompagner dans les bureaux de la société de sa belle-mère, dont il va hériter, pour récupérer des papiers…
- Vous devriez voir ça avec sa sœur, laissez-le maintenant.
- Mais je…
- Partez s’il vous plait !!
Jules se lève et s’en va, désolé et penaud. Il a tout foiré, la loose. Rien ne se passe selon ses plans, dès qu’il a une idée, elle lui pète entre les doigts. Je suis vraiment une merde comme enquêteur. J’ai pas de logement, un demi-boulot, et je peux même pas dire que j’ai une copine, fait chier.
Il reprend son vélo, pensif. Il roule doucement en réfléchissant à ce qu’il pourrait faire maintenant pour avancer et éviter de tout foirer. Il revient sur le rond-point de la Bastille, les pavés secouent son fondement malgré la nouvelle selle, et là, en plein milieu de la circulation, il entend un clac et se sent basculer en arrière, il tombe le cul sur sa roue arrière et voit sa selle tomber par terre sur les pavés… Coup de bol, il n’est pas tombé, sa roue a été freinée par le poids de son corps, et il est juste à l’arrêt en plein milieu de cette putain de place, avec des voitures qui tentent de l’éviter par la droite ou par la gauche. Profitant d’un interlude dans la circulation, un feu rouge qui a dû stopper le flux d’une des entrées de ce diabolique giratoire, il tire son vélo à pied vers l’extérieur de la voie, et Putain ! Heureusement aucune bagnole ne l’écrase ! Remonté sur le bord du trottoir il fait le point de la situation, son vélo est nickel sauf qu’il lui manque la selle. Il n’a rien de cassé, seulement une grosse marque de pneu noire à l’arrière de son jeans, on a l’impression qu’un vélo a roulé sur son cul !
Ah le con, comment ça se fait. Il regarde l’attache de la selle, rien de cassé, pas de vis, la selle est juste tombée, c’est quand même bizarre car il vient de la faire changer. Il regarde et la repère à une dizaine de mètres sur la chaussée. Il profite d’une nouvelle accalmie et court la récupérer. Revient essoufflé à son vélo en observant attentivement : rien de cassé non plus sur l’attache de la selle. Il repart à pied en poussant son vélo sur le trottoir. Traverse pour arriver sur le terre-plein central de Richard Lenoir, et se dit qu’il est chanceux dans son malheur car il est tout prêt de Bicloune.
- Ah c’est sûr qu’il ne faut pas se mettre au vélo quand on fait un régime sans sel ! Jules fait la gueule et la blague de Marco tombe à plat. Bon, ben ça, c’est le truc du moment, tu vois, des petits vicieux qui dévissent les selles pour se marrer… Ta selle, elle était vissée là, tu vois, impossible que ça se dévisse tout seul avant au moins 1 an, c’est moi qui avais serré, et comme t’es pas le premier à qui ça arrive, je me dis que c’est une espèce de mode chez les loulous du quartier.
- Une mode ?
- Ouais, des petits cons, juste pour se marrer, ou pour se venger quand ils arrivent pas à piquer ton biclou…. Moi, un jour, je descendais le boulevard Magenta à fond, quand ma roue avant s’est faite la malle toute seule devant moi… elle a roulé plus vite que moi et je me suis vautré méchant… pareil, on avait dévissé les papillons de ma roue avant juste pour le plaisir… je te dis pas comment je me suis vautré…
Il lui répare en attachant la selle avec des contre-écrous et des rondelles crantées. Plus dur à dévisser par les petits cons si jamais…
C’est pas sa journée, mieux vaut rentrer. Il est à peine 15h, mais sa journée est foutue. Un fiasco la veille, un échec aujourd’hui, un accident de vélo, il y a des jours où il vaut mieux rentrer chez soi et se planquer, c’est comme ça.
Il accroche son vélo à la barrière devant le bar en bas de l’appart. Ouvre la porte cochère de l’immeuble. Et quand il veut appuyer sur le bouton de la lumière il sent un truc mou. Merde, c’est quoi encore ça ?
- Ça c’est ta conscience qui te rattrape, dit une voix derrière lui.
Il se retourne et distingue une armoire normande qui le surplombe. Dans son dos, deux bras le saisissent et le bloquent. L’armoire normande semble déplier des ailes, il entend un grand froissement et la seconde d’après il sent le choc violent d’un poing dans son ventre. Il se baisse, souffle coupé. Et Bam un coup dans sa face. Il gueule et s’écroule par terre. Il gémit, il n’a jamais été très bon à la baston.
Le deuxième gars lui donne deux trois coups de pieds dans les côtes. Jules se met en boule, mains sur la tête comme Bastien tout à l’heure à l’ESAT et crie « Non non non ! » à son tour. « Je vous donnerai tout ce que j’ai, mais j’ai rien, me frappez plus ! »
Il entend la voix de l’armoire normande qui tonitrue en se marrant : « Ahaha ! t’es vraiment trop con toi ! On s’en fout de ton fric ! »
- Vous me voulez quoi alors ?
Le balèze se plie avec difficulté vers lui : t’es qu’une petite merde, Jules Meunier, en plus tu te crois futé et tu penses tout savoir, mais t’es tellement naze que tu sais même pas repérer les caméras de surveillance. Il se relève et lui balance un grand coup de ses chaussures paquebots dans le bide. « Arrête de fouiner n’importe où ! Cherche du coté de la fille, on t’a dit ! Alors sors toi les doigts, et bonne fête des morts, ducon ! »
Les deux molosses se barrent et laissent Jules au sol en train de geindre. Il souffle, expire, se remet à 4 pattes, crache. Arrive à se relever. Progresse en se retenant au mur et atteint la cour intérieure. La lumière l’éblouit et il met sa main pour se protéger, mais en levant le bras, il sent un éclair dans ses cotes. La douleur transperce tout son corps. Il gerbe un coup sur les pavés. Il arrive jusqu’à l’escalier B. Monte les 5 étages à pied et se jette dans le canapé.
Une journée sans. Vaut mieux zoner ici. Il s’effondre ainsi.
Quand Gauthier rentre le soir : « waaa, qu’est ce qui t’est arrivé ? »
- Me suis fait casser la gueule dans le hall d’entrée, en plein jour…
- Par qui ?
- Shépa, des petits loulous qui voulaient du fric.
- Putain c’est dingue ça, j’appelle les flics.
- Non, non, pas la peine, ils m’ont rien piqué, j’avais rien, c’est pour ça que j’ai morflé.
- Mais il faisait même pas nuit, j’hallucine, personne a rien vu ?
- Nan.
- Faut porter plainte.
- Nan.
- Bon t’es trop chiant. Je vais te soigner.
Jules ne lui dit pas que c’est à cause de ce qu’ils ont fait hier. Non seulement ils n’ont rien trouvé, mais en plus, on les a vus sur une caméra de surveillance. Au-dessus de la porte d’entrée des bureaux bien sûr, quel con. Et c’est forcément Raymond qui lui a fait passer le message : « cherchez du côté de la fille, Meunier ! » Les mêmes mots. Quel enculé celui-là.
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