17 - Cher Journal...
Aujourd’hui j’ai vomi. C’était l’attraction de la soirée pour ainsi dire.
Vivant, j’en aurais pas fait tout un plat, mais pour une goule apparemment, c’est pas banal…
On allait sortir de la crypte et se mettre en chasse pour la soirée, quand soudain, je me suis senti lourd et ballonné. Puis je me suis rendu compte que j’étais à moitié étourdi et tenais à peine debout. Danseuse s’est inquiétée et est immédiatement venue à mon secours quand j’ai pausé un genou à terre.
–Qu’est-ce qu’il lui arrive encore ? Demanda Marjo sur un ton blasé en attrapant la laisse du Taré.
Ma carcasse s’est agitée de puissants hoquets que je pouvais à peine contrôler. J’avais l’impression que j’allais me fendre en deux. J’entendis ma gorge produire des râles bestiaux.
- Qu’a-t-il mangé hier ? demanda Danseuse.
–Tout ! Comme d’habitude… répondit Marjo.
Danseuse a essayé de me rassurer, mais je passais une bonne minute ou deux pliés, avec, faute d’autres mots, une sensation de plus en plus intense de démangeaison dans la gorge.
Puis j’ai dégueulé. J’ai dégueulé un truc énorme, solide, puant et infâme. Je détournais le regard de l’amas visqueux le temps que mon corps se remette.
–Trichobézoard, dit le Taré en se réveillant.
- Bordel Éric qu’est ce que c’est que cette merde ?! s’exclama Marjo écœurée.
Je levais la tête et remarquait que le Taré s’était penché pour observer ma « production » : un agglomérat de fibres textiles, de poils et de cheveux hérissés, de petits os humains et animaux, de bouts métalliques rongés, le tout constellé de débris dentaires et figé dans une épaisse couche de graisse fumante, probablement sous l’effet de mes puissants sucs digestifs qui suintaient tout le long. On pouvait reconnaitre ça et là un piercing, une capsule de bouteille, quelques piquants de hérissons, des faux ongles…
Je m’assis par terre, consterné : c’était de très loin le truc le plus dégueu que j’avais vu de toute ma vie. Et j’en étais responsable. J’avais l’impression vertigineuse que mon estomac était une porte vers les Enfers.
Mais rien de tout cela ne décourageait le taré, qui avait pris un débris au sol pour inciser la surface de la boule de cauchemar et soulever la « peau » du truc avec une délicatesse de chirurgien.
- Très intéressant… marmonna-t-il pour lui.
Marjo s’était enfuie, et Danseuse me demanda comment je me sentais.
–Ben, je suppose qu’il vaut mieux que ce soit dehors que…
Je fus de nouveau pris de hoquet et me mit à paniquer : j’allais pas dégueuler des morceaux d’enfer toute la soirée quand même ? Mais heureusement, ça n’était qu’un spasme résiduel. J’avais déjà… donné tout ce que j’avais à donner.
–Vous aussi ça vous arrive, demandais-je avec espoir aux deux autres ? Ils firent non de la tête avec un brin de gêne et un soulagement marqué.
–Nous avons un régime plus léger, dit le Taré en se relevant. Il porta une main à son menton avec l’air pénétré d’un expert devant un cas d’étude. Il se mit à parler tout seul de métabolisme, de chouettes, et de machins diaboliques…
–Peut-être que tu devrais faire un peu plus attention à ce que tu manges, suggéra timidement Danseuse…
Je me relevais. Je m’étais rarement senti aussi mal depuis mes débuts en tant que goule, mais la sensation passait rapidement pour faire place à une sorte de « légèreté », à défaut d’autre mot…
–Ouais bien sûr Danseuse, j’y repenserais… je vais passer Vegan, tiens !
- En fait, tu es un peu comme un chat ! dit-elle sur un ton encourageant. Mais la comparaison ne réussit pas à me dérider.
Puis je vis le truc bouger. Osciller de droite à gauche. Je vous jure.
–Vous avez vu ça, dis-je aux autres ? d’une voix blanche.
Ils regardèrent perplexe, puis le truc se remit à bouger.
–Oh bon sang putain me dites pas que c’est vivant… soupirais-je
— Comment allons-nous l’appeler ? Paniqua Danseuse
Le Taré eut l’air aussi surpris que nous, puis son visage prit une expression critique.
–Attendez… dit-il.
Il piqua le trichobézoard de son stylet improvisé. Un sifflement et une odeur nauséabonde s’échappèrent. La forme s’affaissa un peu. Le mouvement cessa. Je soupirais de soulagement.
–C’était seulement du gaz, dit le Taré en haussant les épaules. On aurait presque dit qu’il était déçu. Dis-moi Éric, si tu n’en as pas besoin, j’aimerais examiner ton rejet. Il pourrait y’avoir des indices très intéressants sur notre nature et notre malédiction dans ce… spécimen.
–Putain ! Mec ! Lui dis-je, si tu veux cette saloperie, elle est à toi ! Fais-en ce que tu veux, mais loin de moi ! Je veux juste plus jamais revoir cette merde… !
Le Taré prit le machin, tout curieux. Mais Danseuse l’interrompit :
— Enmerkar, tu ne vas pas utiliser la boule de poil d’Éric pour lui jeter un mauvais sort n’est-ce pas ?
–Je… Non… ! répondit-il un peu trop vivement avec une expression coupable.
–Hé ! m’exclamais-je
— Promets ! lui ordonna Danseuse.
Le Taré nous fit un regard blasé comme si nous étions des incultes doublés de rabat-joies, mais il se rendit devant la détermination de Danseuse.
–J’en fais le serment, promit-il. Pas de mauvais sort.
Le Taré parti dans un coin, puis s’arrêta et me dit
— Éric, si jamais ça devait arriver de nouveau…
–Ouais, ouais ! Je penserais à toi ! Je te ferais un doggy bag !
Il me sourit avec gratitude et fila observer son nouveau jouet. Il ne vint même pas chasser avec nous !
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