Chapitre 1
Quelques mois plus tôt
Et une de plus.
Une lettre anonyme. Encore.
Indiquant un lieu, une date et un horaire, comme les dix précédentes.
« Place du Congrès. 08/08/2023. 08 h 08. Venez seule. »
C'est-à-dire demain.
Mon destinataire s'obstine pour que je vienne. Comme pour s'assurer de ma présence en sa compagnie. Dommage pour lui, je ne compte absolument pas me rendre à son rendez-vous.
Pour quelle raison devrais-je rejoindre un inconnu ? C'est insensé. D'autant plus qu'au dos de ces lettres y est inscrit, encore et toujours : « Les précédentes ne servaient pas à décorer la poubelle ». Toutefois, je m'obstine à les jeter, alors pourquoi s'acharne-t-il comme ça ?
Mes questionnements et mes craintes prennent fin lorsque ma mère nous appelle, mon frère et moi, pour manger. Nous nous installons à table pour dîner puis nous montons, lui et moi, nous coucher.
***
Le lendemain, je me réveille quand mon alarme sonne aux alentours de 6h30.
Une fois prête, je vérifie si mon frère est sorti du lit, mais comme à son habitude, cet énergumène y est toujours cloîtré, bien emmitouflé sous sa couette.
Il pionce tranquillement, ses cheveux châtain clair en pagaille et son corps svelte en étoile, ce qui rend ridicule son côté sexy, que toutes les filles adorent.
À cette vue, une idée germe aussitôt dans mon esprit. Je m'éclipse rapidement de sa chambre et pars chercher le pistolet à eau dans le garage. Une fois en main, je remonte le plus silencieusement possible. Je retourne dans sa chambre, ouvre celle-ci et ni une ni deux, appuie sur la gâchette pour l'arroser.
À peine rentrée, à peine ressortie. Je cours à toute vitesse puis dévale les escaliers pour sauver mes fesses.
Mon frère peut me tuer à tout moment.
Au passage, j'empoigne mon sac posé dans l'entrée, cours vers la porte et sors en trombe.
Ce dernier me poursuit, mais s'arrête net sur le seuil de la porte lorsqu'il se souvient qu'il ne porte qu'un simple caleçon. Il ne souhaite certainement pas s'exposer à la foule parcourant les rues de notre ville. D'autant plus, quand il sait que Maddy Smith l'attend devant chez nous tous les matins afin de se rendre ensemble à l'arrêt de bus. Il sait pertinemment qu'elle ne pourrait s'empêcher de baver devant son « incroyable corps si bien sculpté », d'après lui. Sans parler de ses cheveux perlés d'eau qui cachent son regard émeraude.
Cette Maddy est une véritable sangsue. Elle tourne constamment autour de mon frère depuis la primaire. Plus précisément, quand il l'a défendue de ses harceleurs. Ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'il leur avait réglé leur compte quand il a appris que ces garçons m'avaient volé le cadeau de maman. Bien sûr, Maddy était déjà follement amoureuse de lui, ce qui a d'autant plus accentué ces sentiments. Elle a donc cru qu'il était venu pour la sauver alors qu'il n'en a rien à faire d'elle. Par ailleurs, elle semble toujours croire qu'il est amoureux d'elle.
Pour elle, il est simplement trop fier pour admettre ses sentiments et faire sa déclaration. Il faut dire qu'elle n'est pas des plus belles filles avec son appareil dentaire, ses lunettes et ses éternelles couettes hautes. Une chose est sûre, elle n'est pas près de faire tomber mon frangin.
Bon, 7 h 00.
Mon bus passe à 7 h 20 et il me faut dix-sept minutes pour arriver à l'arrêt en espérant que le bus ne soit pas en avance. Cependant, flemmarde comme je suis, je n'ai pas envie de courir.
Pour faire passer le temps dans les rues, j'insère mes écouteurs sans fil dans mes oreilles et lance la playlist Summer23 qui commence directement par Lush Life de Zara Larsson.
Pour arriver à l'arrêt de bus, je passe devant le bar de Stevee qui est un ancien Marine reconverti en barman. Toute la ville le connaît, on n'était pas à l'abri de recevoir de mauvaises nouvelles lorsqu'il allait au combat.
Enfin, continuons.
Dès que j'ai passé la brasserie de Stevee, je continue ma route et me trouve devant la boutique de vêtements qui est tout aussi douteuse que sa gérante, Ollie. Je me demande encore comment elle arrive à gagner sa vie avec ces horribles vêtements. Mais surtout, comment certaines femmes peuvent s'habiller de la sorte. Sans compter sur cette chère Ollie qui est aussi aimable qu'une porte de prison.
Une fois l'artère adjacente au magasin franchie, je dépasse mon endroit préféré, celui auquel je passe le plus clair de mon temps : La librairie Kitsune.
Je remarque qu'aucun nuage ne vient gâcher la clarté du ciel dégagé et de son soleil ardent. Comme à son habitude, Monsieur Rodriguez est en pleine partie de solitaire assis à sa petite table pliante sur sa pelouse.
— Bonjour Monsieur Rodriguez ! criai-je pour qu'il m'entende. Alors ? Aujourd'hui, c'est bien parti ?
— Oh ! Bonjour à toi, Eliona ! me salue-t-il de sa main tremblante. Eh bien, plutôt oui. Il faut croire que les astres sont avec moi.
Monsieur Rodriguez me considère comme sa petite fille bien qu'il n'ait pas eu d'enfant. Il était le meilleur ami de mon grand-père. Donc quand Papi nous a quittés, Monsieur Rodriguez a trouvé normal de remplir ce rôle comme il l'aurait souhaité.
Heureuse, je souris et poursuis mon chemin dans les rues bondées de passants se bousculant les uns les autres, en se pressant pour aller au travail ou en cours.
Étant captivée par la musique qui bat dans mes oreilles, je me rends subitement compte que cela fait un moment que je marche. En ce moment, je me trouve dans l'avenue de la Résistance.
J'emprunte enfin l'une des petites ruelles cachées à la vue de la plupart qui mènent rapidement à une rue située à deux ou trois kilomètres du lycée, et surtout, à quelques rues de mon arrêt. C'est pour cette raison que je l'utilise puisqu'elle me fait gagner au moins cinq minutes sur mon trajet.
Je devrais me bouger un peu et avancer ! me répétai-je sur le coup. Ce n'est pas en passant mes soirées entières en heures de colle que je saisirai comme il se doit mon futur.
Au bout du chemin, je tourne à droite puis à gauche. J'aperçois le bus et me dépêche avant qu'il ne redémarre, mais c'est trop tard.
— Pfff ! C'est pas vrai, sérieux quoi ?
J'en ai ras le bol ! Je ne suis pas fichue, une seule fois, de prendre un autocar. Chloé va encore penser que je suis incapable de m'occuper de mes fesses et d'arrêter d'emmerder celles de Calvin. D'un autre côté, je ne m'en lasserai jamais. C'est tellement plaisant de le mettre en rogne.
Bon, Eliona ! Arrête de tergiverser, tu es déjà assez en retard !
Je hais réclamer l'aide de ma copine constamment. J'ai l'impression de profiter de son amitié, mais elle est la seule à avoir son permis. Pour le moment, je ne peux me tourner que vers elle.
Je sors mon téléphone et commence à taper :
À "Ma Chloé" :
Hello ma belle, ça va ?
De "Ma Chloé" :
Oula, je ne te sens pas toi. Qu'est-ce que tu as fait encore ?
Me dis pas que tu as encore raté le bus ?!
À "Ma Chloé" :
Euh... si ?S'il te plaît, c'est pas de ma faute. Il s'est pas réveillé, me laisse pas
dans la merde, ma mère va me tuer ?!
De "Ma Chloé" :
Bon, ok mais dépêche, je t'attends.
Je fonce vers sa rue. C'est déjà extrêmement gentil de sa part de m'amener au lycée. Mais bon, elle le sait très bien. Je ne suis pas une personne des plus ponctuelles.
J'arrive à proximité de sa rue et je l'entends déjà me raconter ses vacances à la mer mais je sais pertinemment que je n'arriverai pas à retenir les perles salées qui commenceront à dévaler le long de mon visage, quand je la regarderai en repensant à ce jour bien plus qu'horrible. Évidemment, le simple fait de me remémorer ces affreux souvenirs me fait me crisper et mon corps se met à trembler.
Je tente tant bien que mal de ravaler mes sanglots avant d'arriver face à Chloé. Ce qui est mission quasiment impossible. En effet, il m'est difficile de faire semblant, d'autant plus que je me rappelle encore toutes les émotions ancrées sur les visages de chaque membre de sa famille mais également sur le mien.
Ressaisis-toi Eliona ! Pleurer devant Chloé ne sert à rien. Elle est anéantie même si elle ne montre rien.
Je n'ai pu échanger avec elle depuis son départ en vacances. Dans l'immédiat, ses parents ne voulaient plus prendre de vacances à cause de ce qui s'était passé. Je sais que sa destination était Satbury, une petite station balnéaire. Je l'imaginais déjà me décrire tous les beaux gos...
J’entends des crissements de pneus, je me retourne et remarque qu'une voiture fonce vers moi.
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