Chapitre 10

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Le matin même, le tableau de bord nous avait annoncé nos zones de la semaine. J'avais simplement retenu les zones de certains : Liam au BD, Aloïse au BT, Noah au BP et moi au BS. Je ne sais pas à quoi m'attendre là-bas. Après tout, je n'ai pas la sensation d'être très scientifique, mais j'imagine qu'ils n'étudient pas l'anatomie. Enfin... leur mode de vie ne me laisse pas penser cela.

Pour cette zone, nous ne travaillons que l'après-midi alors durant la matinée, étant seule dans le salon, j'ai encore réfléchi.

Maintenant, j'arrive au niveau dédié au BS et franchis les portes de l'ascenseur. Je débouche sur une gigantesque salle dont on ne voit pas les murs. Des établis, des tuyaux reliés à de gros tubes avec des formes humanoïdes à l'intérieur me font face. Des hommes et des femmes s'activent un peu partout mais personne ne me prend en charge. Je n'ose pas m'avancer trop profondément dans la salle et fini par interpeller une femme sur ma droite, penchée au-dessus d'une sorte d'animal inconnu à ma connaissance.

— Excusez-moi, je suis la...

— Chut !

Très vite rembarré, je m'excuse expressément et m'éloigne d'elle pour la laisser découper ce pauvre animal. Si je dois, ne serait-ce qu'une fois dans la semaine, ouvrir un être-vivant alors je crois que je ne tiendrais.

Je continue mon observation et bloque sur un homme occupé avec des fioles de différentes couleurs. Très concentré, il verse une micro goutte violâtre de la première fiole dans la seconde puis tout explose. Je sursaute et écarquille les yeux.

Mais où est-ce que je suis tombée ?

— Tu es la stagiaire ?

— AH ! crié-je surprise en me retournant.

— Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur, dit un jeune homme d'environ mon âge.

— Euh... pas de soucis, le rassuré-je en un sourire. J'ai l'habitude.

— Que des hommes arrivent discrètement dans ton dos et te fasse peur ?

— Non, non, non. Pardon, je m'exprime mal. J'ai l'habitude d'avoir peur pour un rien.

Il sourit légèrement puis m'invite à le suivre. Je suppose donc qu'il sera mon guide durant cette semaine.

Soudain, je me rappelle de ma problématique pour la semaine :

« Comment purifier l'air extérieur ? »

Une simple question, mais pas si facile quand nous ne connaissons pas notre sujet. Je m'oblige à la garder constamment en tête pour capter chaque détail qui pourrait correspondre à un élément de réponse lors des explications du garçon.

Nous arrivons devant un établi après avoir marché un long temps entre les rangées de tubes et de tables.

Il se retourne vivement et lance :

— Au fait, mon nom est Loukas.

— Enchantée Loukas. Moi, c'est...

— Eliona ! Je sais, me coupe-t-il en me regardant étrangement.

Je ne dis rien, gênée par son regard insistant et baisse la tête. Après un long moment à ne rien faire, toujours embarrassée par son comportement, je relève la tête et lâche agacée :

— Bon ! Tu es mon maître de stage, c'est bien ça ?

Comme réveillé, il hoche la tête et se redresse de sa position voûtée.

— Bien, alors peux-tu me présenter ta zone et commencer à me faire travailler, s'il-te-plaît ?

Cette fois-ci, je reconnais l'expression de son regard et j'aurais préféré ne pas la voir. Ne pas voir le mépris qu'il m'a porté durant ce cours instant et je redoute le pire. Je viens, en quelque sorte, de m'emporter contre mon dirigeant et la peine est de rester enfermée dans la fosse jusqu'au prochain week-end. Je ne sais pas ce qu'est la fosse, mais faite que ce ne soit pas suffisant pour que j'y fasse un saut.

— Tu vas devoir créer un raticide. Tout le matériel présent sur l'établi est à ta disposition, ainsi que le manuel, explique-t-il d'un ton hargneux. Tu as une demi-heure, pas une minute de plus.

Ne voulant pas aggraver davantage ma situation, je ne réponds rien, enfile la blouse et me dirige rapidement vers le manuel que j'ouvre à la page du sommaire. Lorsque je trouve le chapitre qui pourrait contenir le sujet que je traite, je tourne les pages pour enfin trouver l'endroit où l'on en parle. Puis je trouve enfin ce petit paragraphe en bas de page :

— Te voilà, soufflais-je. Commençons.

Je remonte les manches de la blouse et prends des gants même si je ne sais pas si ça sert. Au moins, je serais protégée.

— Alors, une tasse de farine. Je n'ai pas de tasse, mais nous allons prendre un bécher, dis-je pour moi-même en versant la farine dans celui-ci.

Je le pose sur la table et continue la préparation.

— 200 grammes de sucre.

Je place devant moi une balance et pose dessus une sorte de bol. Je l'allume et verse le sucre.

— 200 grammes, pile-poil, dis-je contente de moi. Ensuite !

Je lis le dernier ingrédient et le place à côté des autres une fois prêt. Ce qui me fait avoir deux béchers, un de farine et l'autre de bicarbonate de soude, puis un bol de sucre. Je regarde la recette et entame ce petit mélange. Je verse les deux béchers dans le bol contenant le sucre et remue pour que ces trois ingrédients ne fassent plus qu'un.

— Et bien ce n'était pas si compliqué que cela, m'exclamé-je heureuse de ma petite préparation.

Je regarde l'heure et constate que j'ai fini un quart d'heure en avance. Donc je décide de mettre le bol de côté et de nettoyer le plan de travail bien qu'il n'y est trois fois rien. J'enlève ma blouse pile quand Loukas revient. Son dernier regard n'a pas changé. Il me méprise toujours depuis ma réplique pourtant, nous avions l'air de partir sur de bonnes bases.

Lorsqu'il regarde ma table, il a l'air plutôt satisfait. Il empoigne le récipient contenant le mélange et le place dans une boîte contenant un rongeur et je comprends. Je comprends qu'il l'essaye. Qu'il l'essaye sur un rat et que ce petit animal va mourir. Je ne supporte pas cette idée, mais ne veux pas me prendre des remontrances alors ne fait rien pour l'en empêcher. Néanmoins, je prends la parole :

— Nous allons tester le raticide que je viens de faire, c'est bien cela ?

— En effet, approuve-t-il. Et tu vas rester là jusqu'à ce qu'il tombe et que l'écran à droite de la boîte indique que son cœur ne bat plus.

— Bien sûr.

— Bien. Ensuite, tu pourras rentrer.

Il part sur ces mots me laissant là devant cet animal, le regardant avaler le mélange qui engedrera sa mort. Celui que j'ai créé.

Quelques heures plus tard, ce petit être tombe raide mort. Son cœur ne bat plus. Alors je retire ma blouse et me dirige vers l'ascenseur.

En arrivant à la coloc, je suis visiblement la dernière arrivée et tout le monde voit mon regard anéanti par ce que je viens de faire. Je sais que ce sont des tests et que tous les scientifiques font cela, mais le faire soit même est encore pire que tout.

Nous devons nous préparer pour le souper, mais tous sont inquiets et me demandent ce qu'il s'est passé pour que je sois dans cet état :

— Eli, tu vas bien ? s'inquiète Noah en venant dans ma direction.

— Que se passe-t-il Bella, me demande Liam me prenant dans ses bras et m'approchant du canapé.

— Ri... rien. Ça va, merci.

— Pas à nous Eliona, me gronde gentiment Alec.

— Ce n'est rien. J'ai seulement dû préparer un raticide, le tester sur un rongeur et attendre qu'il meure pour savoir si je l'avais réussi.

— Oh ! Mais c'est horrible, dit Brook horrifiée.

— Bref. Bref, bref, bref. Je ne veux pas m'attarder là-dessus et absoluement me concentrer sur autre chose. Je vais aller me passer un coup d'eau sur le visage. Allez vous changer, j'arrive, leur souris-je.

— Tu ne le fais pas dans la salle de bain ? demande Raphaël.

Je suis d'abord surprise par son intervention puis lui souris en lui disant :

— Non. Je vais aller le faire dans la cuisine. J'ai besoin d'un petit temps. Ne vous inquiétez pas, je vous le jure, ça va aller mieux après un bon repas.

Ils se dirigent tous vers la chambre et j'entends derrière moi :

— Petite gloutonne !

Je me marre en reconnaissant immédiatement la voix d'Alec.

Dans la cuisine, j'ouvre le robinet et m'asperge d'eau. Je reprends mes esprits et me concentre sur autre chose que ce rat.

Soudain, je ressens la présence de Noah derrière moi. Je me retourne pour lui faire face et lui me prend dans ses bras. J'encercle sa taille de mes mains et savoure ce contact. Je me souviens du regard de Loukas et souffle au rigolo :

— On a eu de la chance.

— De quoi tu parles ? me questionne-t-il sur le même ton.

— On ne s'est pas fait prendre, Noah.

— À propos de quoi, Eli ?

Je me recule de lui et le regarde dans les yeux.

— De nous, Noah ! m'exclamé-je toujours en chuchotant. De nous. La règle numéro deux, précise une interdiction aux relations plus qu'amicale.

Il va pour dire quelque chose, mais je l'arrête :

— Stop ! Laisse-moi finir, je lui intime de se taire. Nous ne nous sommes pas fait prendre pour cela alors nous devons faire très attention, nous ne pouvons avoir de contact physique. C'est trop risqué.

Il me regarde, peiné, mais enchaîne :

— Tu as raison, Eli. C'est risqué. Mais ne pas pouvoir te prendre dans mes bras quand tu te sens mal ou simplement quand j'en ai envie me paraît si dur. Cependant, je respecterais ton choix, pour ne pas que nous soyons grillés.

— Merci Noah.

— C'est normal.

Nous nous dirigeons vers le dortoir quand je l'arrête à peine sortis de la cuisine :

— Eh !

— Mmh ? lance-t-il en se retournant.

— Noah, quoi qu'il arrive ce soir, ne fais rien s'il-te-plaît ?

Il m'observe confus, mais acquiesce et nous partons nous changer.

Nous arrivons au repas puis nous nous installons à nos places.

Comme à leur habitude, les drones nous déposent nos plats et le repas se passe dans une bonne ambiance. Les discussions fusent un peu partout ainsi que les rires. L'homme mystérieux me regarde toujours, comme à chaque fois. Ce soir, il se trouve à ma table, à trois chaises en biais de moi. Je le vois ouvrir la bouche et me parler, mais ma voisine de droite s'esclaffe tellement fort que je ne l'entends pas distinctement.

— Quoi ? lui demandé-je de répéter.

— Le sel. Peux-tu me passer le sel, s'il-te-plaît ? demande-t-il en montrant du doigt l'objet qu'il désire.

Je regarde le petit pot désigné et lui tends.

— Bien sûr. Tiens, dis-je en souriant.

Il me sourit en retour et saupoudre son plat. Quand il repose le flacon, Monsieur Bowers prend la parole :

— Bonsoir tout le monde. J'espère que vous avez passé une excellente journée et qu'elle se termine joyeusement. Je vais demander à Mademoiselle Eliona Shields de se lever et de regagner les portes de sortie du réfectoire.

Soudainement, les portes désignées s'ouvrent sur deux gardes armées. Je comprends que je suis punie suite à mon comportement de cet après-midi. Un silence de plomb s'est abattu sur la salle qui, à présent, me regarde. Noah comprend enfin mes dires de l'instant d'avant et l'homme de l'ascenseur me fixe toujours, mais l'air inquiet. Toute la salle semble en apnée en attente de mes gestes à venir. La tension est palpable. L’air est lourd. Les regards sont plein d’admiratioçn au contraire de la situation.

Je me lève donc et me dirige vers les gardes qui m'agrippent un bras chacun pour me retourner violemment vers le reste de la cantine. Ils me fixent tous. Noah est retenu par Brook et l'homme mystérieux a une expression horrifiée qu'il tente de cacher.

— Matt, tu lui donneras toutes les explications nécessaires, continue le chef. Bon séjour dans la fosse, Mademoiselle Shields.

— Bon séjour dans la fosse ! crie d'une seule voix la salle.

Les gardes me retournent brusquement, encore une fois, puis nous avançons. Ou plutôt, devrais-je dire, que je suis portée par eux. Je n'ai pu voir qui était ce Matt, mais je ne m'en préoccupe pas du tout. Je ne sais toujours pas ce qu'est la fosse et me dire que je vais devoir passer six jours là-bas m’horrifie.

Nous descendons des marches et des marches. J'ai l'impression de ne pas voir la fin de cette descente. À notre droite, se trouve un gouffre. Un gouffre sans fond. Si certains sont tombés, alors ils sont morts sur le coup en atteignant le sol, si tant est qu'il y en ait un.

J'entends les pas des gardes et du dénommé Matt résonner sur la pierre. Je me débats et les supplie de me laisser partir bien que je n'obtienne rien de ce que je souhaite.

— S'il-vous-plaît ! Laissez-moi partir, je ne reparlerais plus de cette façon à mon formateur. S'il-vous-plaît, s'il-vous-plaît, s'il-vous-plaît !

J'arrive en bas en larmes tout en suppliant les gardes de me lâcher et d'aller prévenir Charles que je ne reparlerais plus ainsi, mais rien à faire. Ils ne me lâchent pas et m'entraînent dans une pièce en pierre du sol au plafond, seule la porte est faite de métal. Une sorte de trappe se trouve en bas, sûrement pour passer la nourriture.

Je ne parle plus, ne crie plus et ne me débatte plus, la pièce m’ayant fait taire. Nous nous tenons devant la porte. Sans rien faire. Soudain, ils me lâchent. Je me retourne et tombe nez à nez avec l'homme mystérieux. Nous nous regardons entouré d'un silence de plomb.

— Bien. Vous pouvez nous laisser, dit-il aux gardes.

Ces derniers lui obéissent et nous laissent seuls. Il semble impatient que les soldats ne soient plus là pour me parler. Moi, je le regarde, attendant qu'il me condamne jusqu'au week-end. Les gardes enfin partis, il amorce ma condamnation :

— Écoute. Je ne peux rien faire de plus pour le moment au risque de bousiller ma couverture, mais prends cela, me dit-il tout bas en me tendant une sorte d'oreillette. Nous pourrons commu...

— Attends quoi ? Tu... tu m'aides ? Je ne comprends plus rien, répondis-je abasourdie.

— Oui. Je fais partie de la résistance, annonce-t-il en me montrant son tatouage en croissant de lune.

Ce dessin me procure une douleur lancinante dans la tête. Matt m'attrape les épaules et me redresse.

— Tu vas bien ?

— J'ai un mal de tête horrible. Quand je vois ton tatouage, ça me lance.

— Tu... mon tatouage ? Tu ne prends plus de jus ?

Je le dévisage surprise qu'il parle de la boisson qui me fait tergiverser.

— Depuis combien de temps ? continue-t-il.

— Je ne sais pas... Une petite semaine, je dirais, lui réponds-je enfin.

— Ok.

Il semble distrait et en pleine réflexion. Mon annonce vis-à-vis du jus l'a quelque peu chamboulé. Je me rends soudain compte qu'il y a sûrement un problème avec le jus comme je le pensais.

— Que se passe-t-il avec le jus ? Il y a un truc dedans, c'est ça ?

— Oui. Malheureusement, je ne peux t'en dire plus pour le moment. Nous allons penser que je veux t'aider. Ce qui est le cas, mais je ne peux rien faire pour le moment, alors il va falloir que tu attendes un peu. Pour cela, tu dois rester enfermée là-dedans. Je suis vraiment désolé de ne rien pouvoir faire actuellement.

— Tu me le promets. Tu vas m'aider ?

— Je te le promets. Allez !

Sur ces mots, je rentre sceptique dans la pièce entièrement en béton. Je me retourne pour faire face au tatoué, mais celui-ci disparaît derrière la porte de métal et m'enferme dans le noir complet.

Ce néant qui reflète l'austérité, le vide et les ténèbres.

Ce noir si sombre, si froid.

Si... si flippant.

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