Chapitre 7
Après être entrée dans l'ascenseur et avoir appuyé sur le 17ème bouton à gauche en partant du haut, qui indique « CV » soit « Contrôle de la Vie », l'ascenseur s'élève brusquement. Mes genoux lâchent quand les étages défilent à une vitesse folle ce qui me fait tomber par terre. La boîte métallique continue son ascension tandis que je force sur mes jambes en m'appuyant au sol pour me maintenir debout. La gravité et la vitesse ne me permettent pas de me lever. Je réitère mon geste, mais cette fois-ci, je me cramponne à la rambarde et pousse de toutes mes forces sur mes jambes. Je réussis finalement à me mettre debout, lorsque l'élévateur s'arrête soudainement me faisant voler tout en retombant sur mes pieds. Je m'empresse de défroisser mes vêtements et de me remettre en place pour ne pas être mal vue dès mon premier jour.
Quelques secondes plus tard, l'ascenseur ouvre ses portes et me laisse pantoise devant cette gigantesque salle haute sous plafond, blanche sous tous les angles et munie de rangées de bureaux séparés par des demi cloisons comme des box. Je m'avance dans la salle et entends mon nom venant de la mezzanine qui se trouve légèrement cachée sur ma droite. Un homme d'une quarantaine d'années, grand et brun, descend les escaliers qui nous séparent et se plante devant moi tout sourire.
— Tu dois sûrement être Eliona ! Je suis impatient de pouvoir te faire découvrir mon bloc, s'exclame-t-il tout excité. Tu vas adorer, tu verras ! C'est génial ici !
Je le suis à travers tous les tableaux de commandes et le vois s'approcher d'une femme aux cheveux blonds coupés à la garçonne.
— Eliona, je te présente Cassandre. Cassandre, voici Eliona, notre stagiaire de cette semaine, me présente-t-il. Cassandre est notre meilleure recrue, elle s'occupe de la famille Strong.
Pendant qu'il m'explique, la femme tape sur des tonnes de boutons tout en changeant les profils contrôlés, que je pense être ceux de la famille Strong. En tout, j'ai compté : deux petites filles, une ado, deux jeunes adultes et les parents. Une grande famille.
Il se retourne vers moi, me montre l'assemblée de personnes occupées à taper sur tous ces boutons et me dit :
— Regarde-moi toutes ces personnes ! s'exclame-t-il, enchanté. À chacun d'eux est attribuée une famille dont ils doivent s'occuper.
Il se dirige vers la mezzanine et m'incite à le suivre. Une fois là-haut, il continue à m'expliquer certains points puis me tend une feuille avec un nom et un numéro.
— Voici ton planning. Enfin, le nom de la personne avec qui tu vas travailler chaque jour de cette magnifique semaine, termine-t-il enjoué.
— Merci, euh...
— Oh oui, pardon. Je ne me suis pas présenté, moi, c'est Garret Morton ! Général en chef du Bloc de Contrôle de la Vie.
— Ok. Enchantée, Monsieur, répondis-je gênée par tant d'énergie.
— Tu peux rejoindre la personne qui va s'occuper de ta formation. Ne t'en fais pas, tu vas le trouver facilement, bon stage ! me souhaite-t-il. Oh et si jamais tu as des questions, n'hésite surtout pas à les poser.
Sur ces mots, il me laisse seule et part je ne sais où. Je fais ce qu'il me dit et regarde la feuille cherchant le nom de mon maître de stage : Bryce N°1119.
Ok. Comment je le trouve moi ce Bryce N°1119 ? Je ne suis pas devin, je ne peux pas le retrouver comme ça. Bon, ce n'est pas grave. Réfléchis, Eliona !
Je regarde par-dessus la rambarde les bureaux où chaque personne s'affaire à contrôler ces familles et remarque enfin que sur chaque rangée se trouve des numéros.
N°800.
N°900.
N°1000.
N°1100.
N°1200.
Ok. Logiquement, puisque c'est de 100 en 100, ce Bryce doit se trouver dans la rangée numéro 1100.
Je descends les marches qui mènent à la mezzanine pour me rendre à l'étage inférieur devant la rangée que je souhaite, la N°1100.
Je commence à avancer dans l'allée et remarque très rapidement que chaque bureau est, lui aussi, numéroté.
N°1114.
N°1115.
N°1116.
N°1117.
N°1118.
N°1119.
J'y suis ! Bureau numéro 1119 !
Un homme d'environ 30 ans se trouve sur ce bureau. Je m'avance un peu plus vers lui et me présente :
— Bonjour, je m'appelle Eliona Shields, commencé-je. Vous êtes bien Monsieur Bryce ?
Il se retourne pour me faire face, un grand sourire collé sur les lèvres.
— Eliona ! Quel plaisir de te rencontrer ! répond-il enjoué. Bien sûr, je suis Bryce. Ne m'appelle pas Monsieur, ça me vieillit trop et je n'aime pas ça. Appelle-moi simplement Bryce.
— Ok, Bryce.
— Bien, alors, nous allons pouvoir commencer. Je t'en prie, prends place sur la chaise du bureau d’à côté qui est vide.
Je m'installe et angoisse face à tous ces boutons de différentes couleurs.
— Ok alors, par quoi on commence ? osé-je demander.
— Je vais d'abord te présenter la famille dont je m'occupe, et dont tu t'occuperas également pendant cette semaine, puis je vais t'apprendre à prendre les bonnes décisions, m'annonce-t-il.
Il tapote sur des touches ce qui a pour effet de projeter une sorte d'hologramme qui sert d'ordinateur sur mon bureau et fait apparaître une famille. Il change encore de profils pour finalement s'arrêter sur celui d'un homme et me regarde tout sourire.
— Bien. Alors, pour commencer, voici le père de famille, Alaric Delgado. Il est âgé de 50 ans et est père de deux enfants ainsi que l'époux de Marguerite Delgado. Il gagne sa vie en tant qu'avocat.
Bryce me regarde puis change de profil. Celui d'une femme apparaît, sûrement Marguerite Delgado.
— Cette femme est l'épouse d'Alaric. Marguerite Delgado, 49 ans, est infirmière-urgentiste à l'Hôpital Mont Sinaï. Elle a donné naissance à deux enfants, le premier à l'âge de 22 ans et le deuxième à l'âge de 30 ans. En plus de travailler à l'hôpital, Marguerite crée ses propres pommades qu'elle vend sur Internet, mais également sur le marché.
Il change encore une fois de profil et continue sa présentation :
— Ce jeune homme est le premier enfant d'Alaric et Marguerite. Il s'appelle Corentin et est chef cuisinier. Il n'a aucun casier judiciaire et file le parfait amour avec sa copine qui, comparé à lui, est très hypocrite, bref, c'est une peste, dit-il en changeant encore une fois de profil. Enfin, voici, la petite dernière, Dana. Âgée de 19 ans, elle est lycéenne à l'école Birch Wathen Lenox. Elle a été arrêtée pour vol à l'étalage deux fois. Dana est dépressive, elle a sombré dans l'alcool très jeune lorsque sa mère et son père n'étaient pas à la maison. Pour finir, elle n'a pas de vie amoureuse pour le moment.
Il se tourne vers moi et m'observe. Je récapitule toutes les informations que j'ai reçues sur la famille dont je vais m'occuper pendant 6 jours puis me tourne vers Bryce et lui sourit.
— Bien. Maintenant, nous allons voir comment s'occuper de chaque profil en fonction de la situation. Tout d'abord, si tu appuies sur le bouton losange orange, tu fais apparaître les quatre caméras fixées sur chaque personne. Nous pouvons donc surveiller tous les faits et gestes de la famille et contrôler leurs mauvais choix ou leurs décisions. En gros, c'est comme un jeu de rôle si tu préfères, continue-t-il.
Nous passons le reste de la journée à s'occuper de la famille. J'ai donc la charge de Marguerite, la mère de famille dont je dois surveiller les moindres faits et gestes, puisqu'une famille entière pour mon premier jour est trop d'un coup.
Pour ce qui est des situations, quand un choix s'impose à elle, qu'il soit important ou non, je dois prendre une décision. Pour ce faire, trois boutons se présentent à moi. Tout d'abord, on sélectionne le profil pour lequel je veux faire le choix à l'aide du losange orange qui réduit les quatre portraits pour n'en faire apparaître plus qu'un seul, puis avec la molette qui sert de souris nous les faisons tourner pour ensuite enfoncer la souris qui active la caméra solo. C'est déjà bien compliqué mais ce n'est pas encore terminé. Une fois sur le seul profil, nous abaissons le bouton hexagonal rose pour enclencher la saisie pour faire les choix. Lors de cette saisie, nous pouvons faire apparaître des personnes, faire être violent ou, tout simplement, choisir entre un café allongé ou un frappuccino.
— Ok. Il est 18h. Tu vas pouvoir y aller, le tour de nuit va commencer, m'annonce Bryce. Nous allons tous nous changer et nous retrouver au réfectoire pour le dîner, tu devrais faire de même.
Sur ces paroles, il m'explique qu'il m'apprendra dans la semaine à laisser la vie de notre famille attribuée en automatique le temps que la veille de nuit arrive.
Je rassemble mes affaires et pars avant que la totalité des employés de ce bloc ne parte en même temps. Je rentre dans l'ascenseur accompagné par quelques-uns qui ont, visiblement, eu la même idée que moi.
Les personnes appuient une par une sur leur étage mais je n'ai pas le temps de taper sur le niveau -10, qu'un homme assez corpulent me bouscule, ce qui me vaut un juron venant de la femme sur laquelle je suis tombée. Une fois redressée, je demande :
— Excusez-moi pouvez-vous appuyer sur le -10 s'il-vous-plaît ?
Oula, j'aurais mieux fait de me taire.
Ma demande ne me vaut qu'un regard noir du même gars qui m'a poussé mais je le vois tout de même faire ce que je lui ai demandé.
Les portes se ferment et un silence de plomb tombe sur l'ascenseur. Nous sommes tous là, debout dans cette boîte métallique, à attendre qu'il nous emmène à l'étage souhaité, sans parler, ni même bouger d'un pouce.
Deux personnes descendent au premier arrêt puis l'ascenseur referme ses portes et continue sa descente.
Nous ne sommes plus que quatre dans l'habitacle : un homme aux cheveux coupé ras, une femme aux nombreux piercings et enfin une femme au chignon tellement serré qu'elle doit sûrement perdre un grand nombre de cheveux en l’enlevant.
Toujours aucune conversation, ni aucun bruit outre le bruit des poulies sur les câbles qui retiennent l'ascenseur de tomber en chute libre.
Nous arrivons rapidement au -7 et je suis surprise de tomber sur une énorme salle toute de béton recouvert de matelas à certains endroits, de cibles placées sur un mur et de sac de frappe ici et là.
Un homme rentre, se fraye un chemin entre les femmes qui gloussent et vient se placer entre moi et l'autre homme tandis que les portes se referment.
J'ai la sensation de l'avoir déjà vu mais je n'ai aucune idée d'où cela peut bien être. Je l'observe du coin de l'œil et remarque que son débardeur noir se marie comme il se doit avec son jogging et ses cheveux de la même teinte. Son corps perlé de sueur et les veines saillantes sur ses bras musclés me confirme qu'il sort d'une séance d'entraînement.
Mon attention est attirée par un dessin, tout aussi noir, au niveau de son poignet gauche : un croissant de lune.
Une douleur lancinante me lance dans le crâne. Mes yeux se ferment automatiquement et ma main rejoint le plus discrètement le coin de ma tête. J'ai la sensation que l'on me prive de quelque chose et cela crée en moi un trou dans mon estomac.
Toujours les yeux fermés, j'entends les portes s'ouvrir. Je plisse les paupières afin de montrer que tout va bien et que je me repose quelque peu puis aperçois la totalité des personnes qui sortent de l'ascenseur.
Avant que les portes ne se referment, l'homme mystérieux au tatouage s'arrête et me regarde. Il reprend ensuite sa route jusqu'à ce que je ne puisse plus le voir et l'ascenseur reprend sa descente à mon niveau, le niveau des stagiaires, qui d'ailleurs regorgent de portes interdites à notre accès.
Lorsque je rentre dans notre espace de vie, presque tous mes colocataires sont déjà présents. Il ne manque plus que Montana, Brook et Liam qui doivent encore être en stage ou sûrement dans la foule qui cherche à rentrer.
— Hello ! Alors, cette première journée de stage ? demandé-je au petit groupe agglutiné dans la cuisine.
— Coucou, répond Alec. Nickel, écoute ! Le Bloc Principal est vraiment énorme mais j'ai appris pas mal de choses lors de cette première journée et toi ?
— Ça a été. J'avoue j'ai pas mal charbonné et j'ai fait la rencontre d'une famille dont je dois m'occuper donc j'ai appris pas mal de choses mais je ne suis pas à bout de cet apprentissage, expliqué-je en posant mes affaires sur le fauteuil. Et vous deux ?
— Moi le Bloc Infirmerie pour une première semaine c'est pas trop idéal. Enfin, c'est ce que je croyais mais en réalité c'est grave cool. On apprend à recoudre une plaie ouverte, à faire un garrot, une perf, à mettre en marche les nanobots et à les désactiver, lance-t-il excité par sa journée. Oh et à prendre les constantes aussi !
Avec Alec, nous explosons de rire face à l'énergie de Noah tandis qu'Aloïse ne fait qu'esquisser un sourire.
Cette fille m'intrigue. Elle ne fait part à personne de ses émotions. Elle est... mystérieuse et en même temps tellement... ouverte. Je ne comprendrais jamais comment font les gens pour être aussi intrigant en ne faisant absolument rien.
Aloïse, comme je le disais, ne rentre pas plus que ça dans les détails de sa journée. Elle nous apprend que le Bloc Scientifique n'a rien d'exceptionnel et que sa journée a été relativement longue à écouter un vieux répéter inlassablement le même baratin.
Nous rions encore plus ce qui continue à la faire sourire, toujours avec ce sourire en coin si discret.
Je m'approche de Raphaël. Assis sur un fauteuil, il n'a pas partagé notre conversation et se trouve tout seul, comme une bête effrayée et prise au piège. Finalement, je m'assois à sa droite.
— Et toi ? tenté-je doucement.
Il relève précipitamment la tête surpris que je lui adresse la parole.
— Ta journée, comment c'était ? recommencé-je.
— Euh... Ça a été. Enfin, je crois.
— Tu étais dans quel Bloc déjà ? lui demandé-je.
— Le... le Bloc de Défense.
Tandis qu'il m'explique davantage de choses, le reste du groupe rentre enfin. J'entends Montana se plaindre mais je fais abstraction de sa voix suraiguë qui geint en continuant avec Raphaël. Depuis qu’elle a fait un tour à la fosse et qu’on a eu un moment de répit, il est plus simple de faire négliger sa voix.
— C'est génial ! Et alors tu arrives à utiliser une arme ?
— Euhhh... Ouais ? répond-il, pas très sûr de lui.
— Tu es sûr que tu sais l'utiliser, rigolé-je.
Raphaël n'est pas très bavard et surtout bien timide.
— Bon, il faudrait peut-être penser à se changer et y aller puisqu'il nous reste trente minutes, propose le Noah, l’éternel blagueur.
Montana, comme d’habitude, se plaint et ça me donne encore plus envie de l'étriper.
Je vous jure, elle me débecte. Sa façon de parler, ses gestes, ses manies et j'en passe.
Pour l'emmerder un peu plus, j'opine les dires du garçon :
— Je suis d'accord avec toi Noah. Pour faire, en quelque sorte, bonne impression, nous devrions arriver avec un peu d'avance et donc nous préparer dès maintenant.
Les autres hochent la tête et tous ceux qui ne s'étaient pas déjà changés se rendent dans le dortoir.
— Je suis désolée Raphaël, je vais devoir couper court à notre discussion, lui expliqué-je tout sourire en me levant. Je dois me préparer.
— Au... Aucun problème.
***
Installés à la table de ce matin avec les deux mêmes gars en pleine dégustation, Tora nous questionne :
— Alors votre première journée comment c'était ? Pas trop fatigante ?
Pratiquement tous en cœur, nous répondons par la négative. Quant à madame j'en fait tout un drame, elle s'exclame qu'elle s'est cassé un ongle et qu'elle avait « ultra-mal ». Ohhh pauvre chou.
— Montana, Brook et moi n'avons pas pensé que tout le monde partirait en même temps et que nous serions coincés dans cette foule de personnes qui s'agglutinent au niveau des ascenseurs. Bref, nous sommes restés bloqués pendant un quart d'heure avant d'atteindre notre étage, explique Liam le sourire aux lèvres.
Tora et Anton riaient et expliquaient aux concernés la meilleure façon d'éviter ça.
— Et ouais ! La prochaine fois, il faudra réfléchir un peu plus les gars, lance Noah hilare.
Brook le réprimande gentiment en lui affirmant qu'elle n'y avait pas pensé.
— Ne vous inquiétez pas, j'aurais fait la même, mais Bryce m'a prévenu, lancé-je pour les rassurer.
— Qui est Bryce ? demande Alec.
— Oh pardon, c'est la personne qui m'apprend le fonctionnement du BCV.
Monsieur Bowers nous interrompt :
— Bonsoir tout le monde ! Désolé de vous interrompre dans ce délicieux dîner mais je préviens seulement Mademoiselle Robinson qu'elle sera privée de repas, pour retard, à partir de demain en sortant de notre journée, claironne-t-il.
Bien fait pour elle. Elle le mérite.
Comme vous devez vous en douter, celle-ci n'arrête pas de protester bien qu'il n'y ait rien à dire de plus. Charles a été bien clair là-dessus.
Ensuite, nous avons échangé pendant pas mal de temps avec les garçons qui s'avèrent très sympas, puis nous avons tous regagné nos quartiers respectifs pour finalement nous endormir, rincés de notre journée.
Avant de sombrer, je me rappelle d'enquêter sur le jus du petit-déjeuner de demain. Me promettant de trouver ce qui ne colle pas avec tout ça.
Et j'ai continuellement cette impression d'être surveillée. Vous me direz : « Bah normal, patate, t'es en stage. Logique que tu sois observée. » MAIS j'ai la sensation que nous ne sommes pas observés pour cette raison-là. Je sens vraiment que quelque chose cloche.
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