Chapitre 14
La fête de fin de semaine est très attendue, tellement que les gens dans les couloirs ne parlent plus que de ça et cherchent déjà un prétendant ou bien une tenue.
Pour ma part, je m'en contre-fiche. Le plus important est de résoudre tout ce mystère en seulement quelques jours pour tenter de tout résoudre le soir de la fête. Ou, du moins, tenter quelque chose.
Si Charles ne m'avait pas donné rendez-vous dans son bureau, je me serais sûrement enfermée dans la chambre, feignant une lecture passionnante, alors qu'en réalité, je cogiterais tellement que de la fumée sortirait même de mes oreilles. J'aurais tout mis à plat sur un morceau de papier que j'aurais toujours sur moi, glissé sous mes vêtements ou je ne sais où. Mais il faut que je me dépêche de comprendre ce qu'il se passe et surtout apprendre comment m'échapper d'ici.
La cage de métal émet un bruit signifiant l'arrivée à un étage, qui se trouve être le mien. Les portes s'ouvrent directement sur une pièce, toujours aussi blanche, mais surtout très spacieuse et très... propre. Trop propre. Je m'avance et avant de pouvoir observer plus en détail ce qui m'entoure, je surprends des éclats de voix à ma gauche.
— Les salauds ! jure Monsieur Bowers en conversation téléphonique. Je jure d'anéantir cette Résistance ! Ces traîtres font contrecarrer tous nos plans et ont presque trouvé l'emplacement de Genesis 5.0 ! Faites le nécessaire pour les diriger sur une fausse piste. Nous ne pouvons pas, une nouvelle fois, abattre leurs hommes ou votre couverture sera dévoilée. Je ferais l'essentiel pour accélérer le processus de contamination.
Irrité, l'homme tourne en rond devant son bureau de verre.
— Oui... En effet. J'ai pu entendre cela dans un échange téléphonique intercepté... Oui... Une marque ? Non, non, bien sûr que non. Je ne serais pas étonné sinon. Je n'ai jamais entendu parler d'une quelconque marque de naissance. Seulement d'une jeune femme qui serait destinée à sauver la Terre, pourquoi crois-tu que nous réveillons des jeunes de la cryogénèse... En forme de lune ? Bien, bien. Je vais devoir te laisser, la communication va couper, bonne chance de votre côté et que les âmes de la fosse vous apportent votre force.
C'est alors que je comprends avoir surpris une importante conversation entre le Chef d'État-Major et une taupe dans la Résistance. Je prends note de ce que je viens d'entendre pour le partager le plus tôt possible avec le tatoué et reprends finalement mon souffle lorsque je me rends compte être restée en apnée durant l'appel. Je me reprends et m'avance, faisant claquer mes talons sur le sol de marbre blanc pour avertir Charles de ma présence, ce qui fait relever l'homme derrière son bureau.
— Eliona ! Quel plaisir ! Je vous attendais, vous venez d'arriver ? me questionne-t-il d'un air suspicieux.
— À l'instant même, oui, affirmais-je sûre de moi. Vous souhaitiez me voir ?
Il sourit étrangement et m'invite à m'asseoir :
— En effet. Je tenais à vous rencontrer dans mon bureau pour vous faire part d'un présent que je souhaiterais vous voir porter lors de la soirée de vendredi.
Il me regarde intensément, ce qui me gêne atrocement étant donné le regard limite pervers qu'il arbore. Je ne réponds rien et attends ne serait-ce qu'un signe de, pourquoi un cadeau et ce que ça pourrait bien être. Un cadeau est un cadeau. Et qui ne serait pas excitée lorsqu'on lui annonce qu'un présent lui est destiné. Bon, je l'accorde il vient de Monsieur Bowers, ce qui n'est en rien rassurant, mais un cadeau ne se refuse pas, si ?
— Carol ! crie-t-il à travers la pièce.
La concernée, toujours aussi rigide dans ses moindres gestes, passe le pas de la porte attendant les instructions de son supérieur.
— Veuillez apporter le paquet, je vous prie, lui ordonne-t-il.
Dans un silence pesant, bien qu'il n'ait duré que quelques millièmes de secondes, la secrétaire de Charles réapparaît les bras chargés d'une imposante boîte encore une fois blanche qu'elle pose sur le bureau de mon hôte.
Tandis que je fixe la boîte sous le regard insistant de l'homme de l'autre côté du bureau, Carol quitte la pièce en faisant tinter ses talons sur le sol.
— Vous ne l'ouvrez pas ?
Je relève la tête vivement, surprise de ces paroles brisant le silence et maintient son regard.
— Euuh... Je... Que se trouve-t-il dans cette boîte ?
Il ricane à cette question bête, je l'avoue mais enchaîne :
— Et si vous l'ouvriez ? propose-t-il en accompagnant d'un geste ses paroles.
Je ne soulève pas son attitude moqueuse et me décide à ouvrir. Je tombe nez à nez avec une magnifique robe blanche en satin et je me refuse déjà le cadeau.
— Monsieur Bowers, je suis désolée mais je ne pourrais pas accepter cette robe. C'est trop.
— Mais ce n'était pas une question. Vous allez porter cette robe parce que je vous le demande, ma chère, annonce-t-il d'un ton calme, presque psychopathe, en contournant la table de verre et sortant le tissu pour le plaquer contre moi. Je vous imagine déjà dans cette tenue et je suis sûr que vous serez mille fois plus belle que dans mon imagination.
Pervers !
Je remplace les mains grasses de l'homme pour maintenir moi-même ce magnifique tissu et m'observe comme je le peux vu d'en haut.
— Oh, pardonnez-moi. Je vais vous apportez un miroir, s'excuse-t-il rapidement avant de crier encore une fois comme si nous étions dans une beuverie. Carol ! Apportez-nous un miroir, bon sang !
Je m'exaspère face au comportement ignoble de Charles pour son assistante mais ce n'est pas étonnant de sa part. La pauvre se démène pour m'apporter le fameux miroir mais je m'empresse d'accourir vers elle pour lui dire que le miroir sera très bien ici. Je m'observe enfin et, bien que je ne la porte pas, je me trouve déjà magnifique. Le seul hic, c'est le phénoménal décolleté plongeant qui offrira une vue plus que nécessaire sur mes seins mais surtout à ma tache de naissance. En forme de croissant de lune.
Je réalise soudainement que cette jeune fille qui doit arriver pour sauver le monde de la guerre c'est moi. Je ne sais pas si je dois être apeurée, angoissée ou même flattée que le destin m'ait fait ce... cadeau ?
Rapidement, je réalise être sûrement en danger avec Monsieur Bowers, après tout si nous observons où j'ai passé ma semaine précédente je n'imagine pas ce qu'il pourrait faire et puis je me souviens des peines mentionnées dans la lettre explicative, avant notre visioconférence avec lui.
« La peine de ♧ consiste à être privé de nourriture jusqu'à la fin du prochain week-end.
La peine de ♢ consiste à être enfermé dans la fosse jusqu'à la fin du prochain week-end.
La peine de ♡ consiste à être fouetté chaque soir pendant une semaine.
La peine de ♤ consiste à mourir. »
Fouetté.
Peine de mort.
Je me retiens de pleurer, totalement effrayée par ce qu'il adviendrait si je me retrouvais en robe à cette soirée, qui se trouvera sûrement être ma dernière, lorsqu'il aura aperçu mon croissant de lune.
Le plus délicatement possible, je m'empresse de replacer la robe dans sa boîte et je bafouille une excuse pour ne pas la prendre pour filer à toute vitesse en direction de l'ascenseur, où je reprends enfin mon souffle étant restée en apnée.
Je ne sélectionne pas le réfectoire mais le BC, espérant tomber sur Matt. Il faut qu'il sache la conversation que je viens de surprendre. Je dois le convaincre de passer à l'action dès vendredi soir, lors de la fête. Je sais que c'est absolument impossible d'organiser une évasion en si peu de temps mais je ne peux rester une semaine de plus ici. Déjà qu'il saura que c'est moi cette fille, je n'ose imaginer ce qui m'attendra si je ne m'enfuis pas rapidement.
À peine les portes de métal ouvertes que je déboule dans la grande salle bien silencieuse. Je franchis le local pour ensuite arriver dans son bureau. Je tombe face à Matt en pleine lecture de la fiche d'indice.
— Que fais-tu ici ?! s'écrit-il en se précipitant pour fermer à clé la porte de la pièce.
Il se retourne vers moi et m'agrippe les bras.
— Tu devrais t’être changée et sur le chemin du réfectoire alors pourquoi es-tu ici ?
— J'ai surpris une conversation, Matt. Et je me devais de te la partager parce que je ne resterais pas plus longtemps. C'est décidé ! Vendredi soir, lors de la fête, je m'enfuirais ! Avec ou sans ton aide.
Un voile d'incompréhension passe dans ses yeux.
— Explique-moi, Eliona, s'il te plaît ? demande-t-il en se détachant de moi pour retourner derrière son bureau.
Je me positionne devant lui en calant mes mains sur le meuble qui nous sépare.
— Matt, savais-tu qu'une taupe se trouvait dans la Résistance ?
Il va pour répondre mais je le coupe, ne voulant pas être interrompue avant d'avoir posé toutes mes questions.
— Étais-tu au courant pour la jeune femme à la tache de naissance en forme de croissant de lune qui devrait sauver le monde de la guerre ?
Il paraît surpris par mes infos et se redresse sur son siège de sorte à poser ses coudes sur le bureau afin de relier ses mains entre elles. Quand, après un temps, il relève les yeux sur moi avec l'air abasourdi, je me rends compte de lui avoir appris une chose voir toutes.
— Je... J'étais au courant qu'une personne viendrait à naître pour mettre fin à cette guerre, mais je n'avais aucune idée que nous avions un moyen de savoir qui elle est. Cependant, vu ton air, je me dois de te poser la question, pourquoi es-tu aussi stressée à l'idée que cette personne soit découverte ? Si c'est à cause de ce que pourrait faire Charles, sache que la Résistance et moi-même ferons tout pour la protéger, donc aucun souci, d'accord ? m'explique-t-il, tout en cherchant une approbation ou un quelconque signe d'apaisement. Pour ce qui est de la taupe, non. Je n'étais absolument pas au courant et, bien que c'était dangereux d'écouter aux portes, d'autant plus celle du chef d'état major, je t'en remercie. Je pourrais ainsi alerter le groupe de Résistance.
Nous nous regardons fixement attendant de voir si l'un de nous compte ajouter quelque chose. Une information omise ou une question non-posée.
— Eliona ?
— Non, Matt ! m'exclamé-je en me redressant brusquement. Tu ne comprends pas ! Je suis la fille à la tache de naissance ! J'ai ce croissant de lune sur ma peau.
Désemparée, je tiens mon visage entre mes mains, retenant le torrent de larmes souhaitant se frayer un chemin sur mes joues. Matt se redresse aussitôt et vient étonnamment me prendre dans ses bras.
— Chuuut, du calme, ça va aller. Tu peux tout me dire Eliona, nous sommes dans le même camp. Il nous reste quelques minutes encore avant de devoir vraiment y aller.
Ses mots me rassurent mais pas au point de réussir à ouvrir la bouche sans que des larmes de peur me montent aux yeux, alors je ne m'explique toujours pas. Le tatoué tente une nouvelle approche :
— Tant qu'il ne voit pas ta tache de naissance, il ne t'arrivera rien et même s'il devait l'apprendre, je serais là.
— Non, non, non, Matt. Tu ne comprends toujours pas, dis-je en le repoussant fortement de moi, me permettant de me mettre dos à lui pour ne pas voir son regard sûrement rempli d'incompréhension et de pitié. Elle est placée entre mes seins et Monsieur Bowers aimerait que je porte une robe qu'il m'a offerte mais elle a un décolleté très plongeant. Trop plongeant. Et.. et on la verra et on va m'enfermer ou même me tuer. Matt, vous ne pourrez rien faire.
Je me retourne après avoir essuyé les gouttelettes qui ont fini par dévaler sur mon visage pour rencontrer les yeux empreints d'empathie de mon allié.
— Nous allons trouver un moyen. Je te le promets ! Rejoins-moi demain à 06h50 ici-même. Nous élaborerons un plan pour te faire sortir vendredi soir avec les autres qu'il faudra convaincre, me promet-il en prenant sa veste pour partir dîner.
— Et tu pars comme ça ?
Il se retourne, ne comprenant pas tout à fait.
— Je sais pas, tu crois pas que ça va pas être aussi simple. ‘Fin je sais pas, on parle de ma vie qu est en jeu là ! Je…
Il soupire.
— Tu n’as rien a dire de plus que : « On se donne rendez-vous à 06h50, demain » et tu pars ?
J’ai sûrement l’air blessé parce qu’il se crispe ne souhaitant sûrement pas s’occuper d’une fille apeurée et au bord des larmes dans son bureau surtout si elle est décoiffée, qu’elle put la transpi et qu’elle est encore en tenue de sport. Je rajoute que nous sommes en retard et qu’un certains dirigeants n’en n’accepte aucuns. On est dans la mouise mais pas plus que JE le suis !
Putain. Putain, putain, putain !
Il en a rien a faire. Il en a rien a faire que je sois la principale cible d’un mégalomane psychopathe.
— Eliona. Regarde-moi.
Je sors de mes pensées et redresse mon regard.
— Je suis la, d’accord ? Je vais m’occuper de te sortir de là, de NOUS sortir de là, ok ?
Je le fixe un instant, cherchant dans son regard une once d’encouragement, de tendresse, de promesse et j’en passe. Durant trois bonnes minutes, je ne fais rien et lui non plus. Je reprends mes esprits, je recherche une respiration lente et régulière, je ravale mes larmes qui tente de franchir la barrière de mes yeux et je me détends peu à peu.
Puis j’acquiesce.
Quand je me sens enfin prête, j’indique à Matt que tout est bon et nous nous dirigeons vers la sortie du BC après qu’il ait fermé son bureau.
— Pars devant, je te rejoins !
— Tu ne viens pas avec moi ? je demande.
— Si nous arrivons ensemble aussi tard après la fin du travail, ça éveillerait les soupçons, m'explique-t-il. Je prendrais l'ascenseur après toi.
Tant pis pour ma tenue.
— Ok. À demain, le salué-je de la main tandis que les portes de la cage d'ascenseur se referment.
Face au métal, j'essaie de ne pas paraître trop apeurée. De me reprendre du mieux que je peux afin de ne pas paraître bizarre. Je fais des exercices de respirations qui servent toujours et au tintement de la boîte métallique, je me surprends à avoir repris un souffle normal. Je me dirige à ma table et m'y installe, ne souhaitant pas éterniser ces regards sur moi. Comme à chaque repas depuis maintenant deux semaines, Monsieur Bowers s'installe à sa table, nous ramollit le cerveau avec son discours à deux balles et nous souhaite un « excellent » repas. Un repas bourré de substances d'oublies, oui !
Comme Matt ne m'a pas prévenu dans quels aliments est susceptible de se trouver la drogue je mange de tout. Vu la quantité à laquelle j'ai droit, il vaut mieux, au risque de mourir de faim.
Le concerné arrive enfin à sa table à la dernière minute. Nous échangeons un bref regard puis nous concentrons chacun sur notre assiette pour regagner assez vite notre lieu de vie respectif en l'attente d'une seule chose : 6h50 le lendemain.
***
6h00.
Personne n'est réveillé. Je dois être au BC dans cinquante minutes.
Le plus doucement possible, pour ne pas réveiller le reste de la coloc, je m'extirpe de mon lit et me dirige vers les douches. Je fais couler l'eau de la plus éloignée pour gagner de la chaleur, le temps que je me déshabille et enfin me glisser sous la source chaude.
Je ressasse la conversation de Charles, ne pouvant toujours pas imaginer que je suis l'« élue », en quelque sorte. Celle qui va devoir sauver le monde. Je ne comprends pas comment, moi, je vais pouvoir sauver la planète alors que je n'arrive déjà pas à sortir de ce trou.
Rapidement, je me sèche et enfile les vêtements identiques à mon arrivée ici. Je me faufile entre les lits, talons à la main, pour atteindre la porte qui mène à la pièce à vivre. Une fois au salon, je me chausse et remet en ordre ma tignasse face au miroir.
Alors que je vais franchir la porte menant au couloir de l'ascenseur, j'entends mon nom :
— Va falloir que tu m'expliques, Eliona.
Aloïse.
Je me retourne lentement après avoir reconnu mon interlocutrice.
— Qu'est-ce que tu trames ?
— Je n...
— Ça ne sert à rien de nier quoi que ce soit. Je vois bien que tu caches quelque chose. Tu ne ramassais pas ton élastique la dernière fois, il était autour de ton poignet avant que tu l'enlèves pour me faire croire le contraire, assure-t-elle d'un air sévère. En plus d'être enfermés ici, tu nous caches des choses alors que nous nous étions promis de tout nous dire, d'être honnêtes. Alors parle ?
— Tu as raison. Je cache quelque chose et je te promets de t'en parler à toi. Et seulement à toi, parce que je te fais confiance. Surtout après le terme que tu as employé, j'affirme tout en m'approchant d'elle. Nous sommes bien enfermés. On est retenus ici de force et j'essaie de nous sortir de là avec l'aide de quelqu'un que je dois...
— Attends quoi ?! C'est vrai alors ?
— De quoi ?
— Nous sommes vraiment prisonniers ?
Je suis surprise par sa question. Elle paraît étonnée alors qu'il y a cinq minutes c'est elle qui affirmait notre possible enfermement.
— Euuuh... oui. Nous sommes prisonniers. Mais je te promets que nous allons sortir de là. Je fais mon possible et je dois justement me dépêcher d'aller retrouver une personne qui m'aide à cela, lui expliqué-je en faisant demi-tour afin d'atteindre la porte. Je te promets de tout te raconter ce soir.
D'un regard noir elle paraît en colère contre les informations qu'elle vient de recevoir. Sa jolie et fine mâchoire est crispée, ses pupilles dilatées rendent son regard plus sombre tandis qu'elle jauge le sol.
Brusquement, elle relève la tête dans ma direction et s'avance d'un pas décidé.
— Tu n'auras pas besoin puisque je viens avec toi. Je veux tout savoir et maintenant.
C'est alors que je me rends compte qu'elle est déjà prête. Parfaitement habillée de notre tenue blanche. Elle fait claquer ses talons d'un pas déterminé sur le sol. C'est ainsi que j'ai compris qu'Aloïse avait des infos. Elle avait compris que nous n'étions pas ici pour une formation à la con. Rien ne l'arrêtera, ni personne.
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