Chapitre 15
Nous sommes au réfectoire et aucun signe de Matt. Aloïse a rejoint sa table et moi la mienne. Nous nous jetons quelques regards de temps en temps, très discrets pour les autres.
Dans 20 minutes nous devons être sur place alors, en un regard vers ma coloc, je lui fais comprendre qu'il est l'heure. Noah n'étant pas ici, je renverse par « inadvertance » mon verre de jus de fruit. Les robots serveurs se pressent pour nettoyer et éliminer mon petit-déjeuner tandis que je me dirige vers l'ascenseur. Je ne vois plus Aloïse à sa table puisqu'elle se trouve déjà dans la cage de métal. Elle appuie pour fermer les portes mais je m'empresse de lui demander de les retenir pour rentrer dans son jeu.
Je lui ai donné toutes les infos à savoir sur ce rendez-vous pour qu'elle soit un minimum informée de l'endroit et avec qui. C'est pourquoi elle sait que nous allons au BC et qu'elle appuie sur le bouton de cet étage.
Par hasard, nous sommes seules dans l'habitacle, ce qui me permet de lui montrer l'étage bloqué qu'elle inspecte avec minutie.
— Je crois avoir déjà vu cette forme quelque part, annonce-t-elle en glissant sa main sur la fente en forme d'étoile à six branches. En tout cas, si c'est interdit au personne qui n'ont pas cette clé, donc nous, alors c'est que c'est important et que ça pourrait être la clé de notre évasion ou, du moins, une information classée secret défense. Ce qui serait assez comme moyen de pression pour nous, si nous sommes en danger, et pour... la Résistance, reprend-t-elle plus bas, de peur que des micros soient placés dans l'ascenseur à défaut d'y avoir des caméras.
Elle semble encore réfléchir alors que j'observe les étages défiler.
— Je me souviens ! s'exclame-t-elle en se relevant. C'est Carter ! Carter a une clé en forme d'étoile à six branches, comme la serrure. Il n'arrêtait pas de faire tinter le trousseau en divaguant entre les tables du Bloc Principal, ce que çà pouvait m'énerver. Surtout qu'il était insistant envers moi, ou plutôt mon corps, grimace-t-elle lorsque les portes s'ouvrent au son de l'ascenseur. Oh et Monsieur Bowers aussi en a une comme celle-ci mais ça paraît logique.
— Ok, c'est bon à savoir. Allons-y, enchaîné-je en franchissant le seuil de la salle d'entraînement. Viens ! Son bureau est au fond.
Nous traversons la grande salle et avant même de toquer à son bureau, le tatoué ouvre la porte. Il est d'abord surpris puis son regard devient sévère lorsqu'il voit une seconde personne avec moi, qui plus est, une autre « stagiaire ».
Je suis très vite tirée à l'intérieur et poussée sur l'un des sièges. Je fais face au bureau par sa poigne ferme tandis qu'il s'y appuie. Plus aucun obstacle ne se tient entre lui et moi. Son regard froid est fixé au mien. Il ne sourcille pas et ne détourne même pas le regard. Je sais qu'il cherche la raison de ma désobéissance dans mes yeux mais si je ne voulais pas être en retard, avoir des questionnements à gérer ainsi qu'une coloc à dos alors je me devais de l'emmener. D'autant plus qu'Aloïse est vraiment l'une des seules en qui j'ai confiance. Ne me demande pas pourquoi, mais c'est ainsi.
— Entre !
Nous sommes autant surpris l'une que l'autre puisque Matt n'a même pas bougé. Son regard insistant me fixe toujours autant et le malaise s'intensifie. Aloïse, en suivant les ordres de mon entraîneur, entre dans la pièce et referme la porte. Alors qu'elle se dirige vers l'homme qui me toise toujours, celui-ci continue :
— Ferme à clé, lui demande-t-il en détournant enfin ses yeux de moi.
Toujours en écoutant, elle ferme à clé. Une fois revenue, elle se dirige d'un pas assuré vers lui, les bras tendus pour éventuellement contrer un coup à venir. Je sais que Matt ne la frapperait jamais mais je trouve mignon son geste de protection alors je ne dis rien et pour profiter de la vision de son geste.
— Écoute... euh... Matt, c'est ça ? commence-t-elle calmement. Eliona n'y est pour rien. Je... j'avais remarqué plusieurs éléments étranges dans chaque Bloc en plus d'Eliona et son histoire d'élastique à cheveux et... euuh, le tatoué me lance un regard d'incompréhension à la mention de l'élastique auquel je réponds par un sourire désolé. Eliona n'a fait que me confirmer quand je l'ai arrêté au moment où elle partait pour petit-déjeuner. Alors si tu dois t'en prendre à quelqu'un, c'est à moi, et seulement à moi.
Quand elle semble avoir fini Matt se redresse et s'approche d'elle qui s'est avancée de quelques centimètres. Prise de court et surtout de peur, Aloïse s'exclame en détournant son visage les yeux fermés :
— Mais avant que je me prenne des coups, je veux que tu saches que j'ai des infos qu'elle n'a sûrement pas eues !
Un blanc s'ensuit tandis qu'Aloïse reste toujours le visage détourné, Matt face à elle, le visage moins sévère et moi, assistant encore à la scène, assise sur ce siège.
— Tu as vraiment cru que j'allais te frapper ?
Aloïse rouvre brusquement les yeux et ancre son regard à celui du tatoué.
— Euuh... bah... c'est-à-dire que... on ne sait jamais, ose-t-elle en se grattant la nuque.
En face de nous, il se met à ricaner gentiment, nous faisant comprendre qu'il n'a aucunement l'intention de frapper qui que ce soit. Mais nous sommes pour défoncer les gueules de tout ceux qui se mettront en travers de notre chemin. N'allons pas nous priver d'un peu de violence !
— Alors Matt, ton changement d'humeur m'inquiète fortement, surtout suite à l'énormissime erreur que j'ai commise puisque tu m'avais interdit de parler, alors s'il te plaît, des explications seraient de mise ? lâché-je en me relevant de mon fauteuil.
— Ne t'inquiète pas, Eliona. Je vais tout vous expliquer, asseyez-vous, dit-il en pointant les chaises de la main.
Nous l'écoutons et nous nous asseyons. Il fait de même de l'autre côté du bureau et nous regardons amusés.
— C'est dingue. J'étais sûr que se serait l'une de vous deux qui se rendrait compte d'un truc, rigole-t-il en se passant une main dans les cheveux. Finalement, vous êtes toutes les deux ici, mais c'est bien l'une de vous la fille qui est destinée à sauver le monde entier, continue-t-il en soupirant.
— Quoi ? Je ne comprends pas, questionne mon amie.
Je baisse la tête au mots de Matt et répond à ma colocataire :
— Nous allons tout t'expliquer le plus rapidement possible Aloïse mais, oui, le monde est en danger et... c'est moi que le destin a appelé les clés de la paix de la planète. Je suis destinée à aider les gens à stopper la guerre avant que l'on ne meurt tous, même si je dois en mourir.
— Je... Quoi ? Mais... comment est-ce possible ? Comment savez-vous tout cela ? Je ne comprends pas, déclare-t-elle perdue.
— Voilà ce que nous savons Aloïse, commence Matt en s'affaissant dans son siège confortablement. Nous sommes en l'an 3470. Vous venez de cryogénisation. Cependant, c'est une cryogénisation spéciale, puisqu'elle permet de maintenir une partie de la population qui a été sauvée de vivre dans un monde meilleur, en 2023. Toutefois, ce monde est géré par le Bloc de Contrôle de la Vie, le BCV, un peu comme le jeu vidéo les Sims 4 pour une référence de votre époque vécue, continue-t-il tentant de capter une quelconque réaction afin d'approfondir ses propos.
Je le laisse parler et fixe ma colocataire à ma droite essayant de comprendre ses pensées, mais excepté son regard plongé dans le vide et son corps totalement relâché, elle ne laisse rien transparaître. Lorsque je regarde de nouveau Matt, il m'observe déjà cherchant mon approbation pour continuer. Approbation que je lui donne.
— Tout les cinq ans, Monsieur Bowers a décrété qu'il ferait renaître un petit groupe de huit personnes. Cette année, c'est tombé sur vous. Nous avons suivi la procédure de renaissance qui est plutôt simple mais qui a fait polémique de part le simple fait de devoir effacer la mémoire de chaque revenant.
— Attends ! Si notre vie a été inventée et contrôlée de toutes pièces par les salariés du BCV alors ce ne sont pas nos véritable parents ? demandé-je, sceptique de la réponse que je pourrais recevoir. Si tant est que nous ayons des parents.
— Je vous rassure toutes les deux, vous avez bien des parents et se sont bien les vrais. Outre les enfants que l'on fait adopter au BCV qui sont des jeunes inconnus après la séparation en deux de la population, votre vie familiale est véritable. Pour continuer et comme l'a découvert Eliona, je pense que Charles a découvert l'existence de la fille à la tache de naissance et qu'il a décrété qu'il continuerait le programme de Renaissance afin de mettre la main sur toi, Shields, la fille qui sauvera le monde.
— Donc nos proches ne sont ni inquiets de notre disparition, ni à notre recherche puisqu'ils sont contrôlés par les gens du Bloc de Contrôle de la Vie, c'est bien ça ? ose demander Aloïse toujours aussi perdue. Se souviennent-ils de nous au moins ?
— Les amies ou voisins ou tout ceux qui ne touchent pas à la famille, ne se souviennent plus de vous. Néanmoins, votre famille pense seulement que vous êtes partis étudier à l'étranger et ils reçoivent des messages générés par Genesis 5.0 qui leur donne des nouvelles régulièrement, explique-t-il d'un ton calme et compatissant. D'après Charles, c'était le seul moyen pour que votre famille ne s'éloigne pas du chemin contrôlé, ce qui pourrait être dangereux pour eux, même si à mon avis ça ne l'ai pas tellement.
Il se stoppe dans son récit afin de se désaltérer quelques minutes, tout en nous proposant également de quoi boire. Je refuse tandis que ma coloc accepte grandement, sûrement pour pouvoir assimiler tout ce qu'on lui apprend.
— Bref. Il ne me reste que cinq minutes avant que le temps presse pour toi Aloïse. Je vous propose de terminer toutes les explications sans interruptions puis vous repartirez avec une feuille chacune afin que vous puissiez y inscrire toutes les interrogations qui pourraient vous passer par la tête dans la journée. Je vous donnerais rendez-vous d'ici demain matin afin de les récupérer et de répondre à chaque questionnement du mieux possible, énonce-t-il en nous tendant deux feuilles vierge.
Tout en acquiesçant, je récupère l'une des deux, que je plie en six et que je glisse dans mon soutif alors qu'Aloïse fait de même à ma droite.
— Bien, reprenons ! Donc après que Charles ait pris la décision de réanimer, tous les cinq ans, un groupe de huit jeunes, nous avons exécuté ses ordres et avons mis en place un système d'oubli, une sorte de drogue pour que vos souvenirs passés en 2023 ne fassent plus partie de vos mémoires. Toutefois, comme pour les vaccins, chaque substance créée a forcément un antidote. Du moins, je suppose. J'espère, puisque étant au Bloc Scientifique, tu pourrais fouiller, Aloïse. Si jamais il devait y avoir un antidote alors il est sûr que les formules sont au BS et avec un peu de chance, il y aurait sûrement quelques échantillons. La drogue se trouve dans toutes les boissons exceptée l'eau, pour un certain problème de visuel. C’est de la poudre donc elle se verrait puisqu’elle colore l’eau pour devenir opaque, passons ! Vendredi soir se déroule la fête. C'est à ce moment que nous allons devoir vous faire sortir. Je ne sais pas si tu lui as déjà énoncé ce fait, m'interroge Matt en me fixant, attendant ma réponse sachant qu'il parle du cadeau de Monsieur Bowers.
Au fur et à mesure que le tatoué s'enfonce dans les explications plus spéciales les unes que les autres, Aloïse paraît prête à tout faire pour que le Chef d'État-Major paye pour ses actes, ce qui me renforce dans mon sentiment d'avoir bien fait de lui avoir révélé la vérité. Ou plutôt qu'elle a découvert que je cachais quelque chose.
— Ok. Eliona a été demandée au bureau de Charles hier soir afin qu'il puisse lui offrir un présent. Cependant, le cadeau est une robe au décolleté assez plongeant, si ce n'est beaucoup, qui révèlerait la véritable identité puisque cette fameuse tache de naissance se situe entre ses seins.
À ces mots, Aloïse se tourne brusquement en ma direction et me regarde avec insistance en comprenant la gravité de la situation à venir.
— Nous allons devoir en quelques jours, sans éveiller un seul soupçon, réussir à échafauder un plan d'évasion en béton, explique-t-il en s'accoudant avec nonchalance à son bureau. Comme supposé plus tôt, Aloïse tu trouveras surement des échantillons d'antidote ou même la formule utilisée. Au cas où, il faut que tu gardes un échantillon de plus et sinon tu devras en refaire rapidement, ok ?
— Compris. Le plus d'échantillons possible s'ils y sont et s'il n'y en a qu'un et que j'ai trouvé la formule de fabrication j'en refais le plus rapidement possible, répète-t-elle pour se souvenir.
— Bien. Le premier échantillon que tu donneras sera pour Eliona. Nous avons besoin qu'elle se souvienne de quoi que ce soit de sa vie en 2023, des éléments pourront sûrement nous aider. Tu créeras d'autres échantillons au plus tard vendredi soir durant la fête mais si tu rates, alors l'évasion sera fichue. De plus, il faudra que toutes les deux vous parliez de ce qui se passe réellement aux autres, mais je vous conseille fortement d'éviter d'en parler à Montana, elle ne fera que nous compliquer la tâche. Je vais m'occuper de son cas, elle avait l'air d'apprécier ma présence durant son stage. Enfin...
Il regarde précipitamment son bracelet et se lève à la même vitesse vers la porte du bureau qu'il déverrouille pour jeter un coup d'œil à la grande salle.
— Merde. Merde, merde, merde. Ok, je vous conseille également de vous focaliser sur les personnes qui seraient susceptibles de vous croire en priorité. Elles seront plus aptes à accepter la vérité. Allez ! Vas-y Aloïse. Nous avons déjà trop traîné. Je vous ferai parvenir un message crypté par votre bracelet. Ne vous en faites pas vous saurez le décoder pour connaître notre prochaine rencontre.
Nous nous levons, Aloïse et moi, et nous nous dirigeons vers la sortie du bureau. Aloïse me salue gentiment de la main, cependant, je remarque son air mi-perdu, mi-déterminé que je commence à apprécier et qui me conforte dans l'idée que nous arriverons peut-être à fuir.
Lorsque les portes de l'ascenseur se referment, je me retourne vers Matt et lui lance :
— Tu ne nous a pas parlé de la serrure et de l'accès interdit à un mystérieux étage de l'ascenseur.
Je le vois serrer la mâchoire de son regard glaciale et me rends compte que ce n'était pas vraiment la chose à aborder alors que nous avons pris un énorme risque qui aurait pu nous coûter la vie.
— Excuse-moi, je n'aurais pas dû, m'excusé-je en baissant la tête, peinée. C'est déjà extrêmement gentil de nous venir en aide et la seule chose que j'arrive à te balancer est que tu ne nous as pas parlé d'une chose. Je suis vraiment pathétique. Désolée.
Il soupire fortement et me fait relever mon menton à l'aide de son index.
— Regarde-moi, Eliona. Si je vous aide, c'est parce que j'en ai le devoir, que j'en ai envie et surtout que Charles Bowers doit payer pour le mal qu'il a fait subir à la moitié de la population du monde ainsi qu'au sang qu'il a versé. Alors ne t'excuse jamais pour mes choix. Si je les fais, c'est que je le veux. Ok ?
Je suis rassurée par ses mots et secoue vigoureusement la tête.
— Rend moi la feuille, je vais la garder.
— Quoi ?
— Tu ne vas pas garder la feuille dans ton sous-vêtement alors que je vais te faire une séance intensif de sport. La feuille risque de ressortir si trempée qu'elle s'émietterai, ricane-t-il en me tendant sa main.
— Sérieusement ? demandé-je en sortant la feuille de mon soutien-gorge. Tu veux vraiment me faire souffrir en fait, je vais me plaindre à mes colocs à force.
Je lui tends le morceau de feuille en le taquinant et tandis qu'il sourit face à ma réplique en attrapant le bout de papier que je ne lâche pas pour autant. Il me regarde étrangement, ne comprenant pas pourquoi je tiens toujours l'objet qui nous lie. C'est quand je m'approche de lui, me mettant sur la pointe des pieds, que je réduit la distance entre nos visage et que je lui chatouille l'oreille avec mes lèvres qui viennent lui chuchoter :
— Si tu continues avec tes séances intensives, je serais morte avant même d'avoir tenté de fuir.
Il explose de rire tandis que je m'écarte pour aller chercher une bouteille d'eau dans le réfrigérateur.
— Arrête de raconter n'importe quoi et file dans la grande salle tu vas frapper un peu avant de soulever les poids, m'ordonne-t-il toujours hilare.
Annotations
Versions