Chapitre 16
Droite, droite, gauche.
Droite, gauche, droite.
Gauche, gauche, droite, pied.
Droite, pied, droite, gauche, pied.
On ne s'arrête plus. J'ai pris le rythme tandis que Matt m'observe enchaîner les coups contre le sac de frappe. Il m'a donné champ libre avant de venir rectifier les erreurs qui persistent et enfin me faire un véritable combat en corps à corps avec lui doucement comme il le précise bien. Je partirai ensuite en fin de matinée sur la séance de combat en réalité virtuelle. Le renforcement musculaire se fera à chaque fois en après-midi, quelques heures après le repas, que nous comblerons avec un cours théorique pour améliorer mes combats, ma défense, etc.
Pied, gauche, gauche, droite, pied, gauche.
Mes émotions ne prennent plus le dessus et j'ai un parfait contrôle sur mon corps. Certes, ces flashs me surviennent à chaque coups mais cela ne déclenche pas la même rage qui m'a habité la veille.
Matt me stoppe dans mon élan ce qui me fait redescendre sur terre. Il me félicite rapidement avant d'enchaîner direct avec les points forts puis quelques conseils pour être plus stable et donc avoir plus de force :
— Super ! Tu as vu, tu ne t'acharnes pas sur le punching-ball comme hier. Tu as réussi à te contrôler et c'était très bien, dit-il en stabilisant le sac. Il faut que tu continues à travailler sur ton self-control pour être vraiment en dehors de toute émotion. Allez ! Pause de cinq minutes et on reprend. Je te laisse, je vais coacher un peu les autres.
Je le regarde s'en aller vers un duo de filles qu'il salue chaleureusement. Il leur propose une petite aide afin qu'elles s'améliorent. Je me dirige vers le local pour boire. Néanmoins, une voix grave mais chuchotée s'ajoute à la danse des bruits d’altères. Intriguée, je cherche l'origine de la voix. Elle vient du bureau de Matt.
Sur la pointe des pieds, j'arrive devant la porte et colle mon oreilledessus :
— Non, il ne se doute pas une seconde qu'il est surveillé... Oui, ne vous en faites pas Monsieur, il est avec la fille... Elle se débrouille pas mal en effet... Non, elle était déjà en entraînement avec Matt quand je suis arrivé, explique l'homme en fouillant sûrement dans les tiroirs, étant donné le bruit qui surplombe légèrement les paroles dites. Je ne sais pas. Je ne trouve rien d'anormal. Son bureau est toujours aussi nickel, ses étagères également et ses tiroirs sont tellement propres qu'on dirait qu'il ne touche à rien... Bien... Hmhm... Ok. Je devrais y retourner avant que l'on remarque mon absence et qu'ils finissent leur séance.
À ces mots, je me dépêche de retourner près du frigo et débouche ma bouteille pour, cette fois-ci, la finir. C'est alors que l'homme, qui n'est nul autre que Josh, sort du bureau. Lorsqu'il m'aperçoit, je vois durant un millième de seconde la détresse qui passe dans son regard. Je ne dis rien et lui souris faisant comme si je n'étais pas, il y a de cela quelques secondes, l'oreille collée contre la porte de la pièce dans laquelle il complote avec, je suppose, Monsieur Bowers.
— Déjà fini ? questionne-t-il sans me rendre mon sourire.
— Oui, déjà fini ! je réponds en jetant ma bouteille dans la poubelle qui se déplace légèrement sur la droite afin de faire un panier parfait. Enfin, ce n'est qu'une petite pause avant de reprendre.
— Retournes y.
Espèce de... Mais je vais le buter lui, oui. D'où se permet-il de me donner des ordres alors qu'il joue dans le camp ennemi. Espèce de chenille !
Nous nous fixons mutuellement d'un regard qui en dit long sur ce que chacun pense de l'autre. Il ne cille pas et moi de même. Je pourrais rester aussi longtemps qu'il le faudra pour lui faire bien comprendre que je ne suis pas dupe et que ses préjugés à la con, je lui fous là où je pense ! Alors que j'allais répliquer quelque chose Matt franchit la porte du local et s'arrête net face à la tension palpable dans la pièce. Son regard vacille entre la taupe et moi, la fille recherchée.
— Euh... ça va vous deux ? demande-t-il les sourcils froncés.
— Je sais pas. Qu'est-ce que tu en penses, Josh ? je lui demande en le jaugeant. Que penses-tu de mes entraînements, déjà ?
Je préférais préciser avant qu'il ne s'imagine que je parlais de sa conversation téléphonique avec Charles Bowers.
Il jette un furtif coup d'œil à mon entraîneur pour revenir sur moi d'un regard accusateur.
— Non. Non, c'est bon. Je n'ai rien à redire des entraînements de Matt. Grâce à ses cours tu te débrouilles nettement mieux, bien qu'il n'ait commencé qu'hier, s'applique-t-il à mentir. Mais c'est bien, c'est que tu apprends vite. Reste à voir ton évaluation de fin de stage.
— Josh ! le réprimande le second homme de la pièce. Vas donc enquiquiner les machines. Tu devrais plus t'y mettre parce qu'on pourrait parler de tes jambes de gonzesses qui font défaut à la partie supérieure de ton corps.
Je pouffe face au clash que le tatoué balance à la taupe mais je me reprends bien vite lorsque j'aperçois le regard en coin sévère de Matt. L'homme qui se trouvait il y a quelques minutes dans le bureau du chef du BC me lance un regard noir puis franchit la porte menant à la salle de musculation. En me retournant, je vois peu à peu mon entraîneur se radoucir.
— On y retourne ! clame-t-il en tapant dans ses mains.
— Ok, affirmé-je en trottinant en direction de la grande salle.
En passant proche de lui, à côté de la porte, je lui chuchote afin qu'il soit le seul à entendre ce que j'ai à dire :
— Dans ton bureau, au téléphone. Il faut qu'on parle. Vite, expliqué-je avec fermeté pour qu'il comprenne que ça ne peut attendre notre prochaine entrevue en compagnie d'Aloïse.
Il acquiesce et je continue mon chemin vers le punching-ball que j'occupais il y a quelques minutes. Matt étant juste derrière moi, quand nous arrivons il me demande d'enchaîner avec le coup que je souhaite mais il m'arrête de suite :
— Regarde tes pieds. Si tu n'es pas bien positionnée, ton adversaire le remarquera et en prendra avantage. Si tu pivotes un peu sur la gauche, de sorte à ouvrir légèrement ta hanche, tu auras plus d'appui, explique-t-il tout en me corrigeant à l'aide de ses mains sur mes hanches. Tu sens que tu es plus stable.
Je hoche positivement et reprends. En effet, mon coup a plus de précision et je ne perds pas l'équilibre en reposant mon pied. Mon entraîneur m'incite à continuer et c'est lors du cinquième coup, qu’il m'indique de monter sur le grand tapis de combat. Je comprends que nous allons passer à la vitesse supérieure. Vu l'heure, il vaut mieux, si nous voulons avoir le temps de passer dans le simulateur avant le déjeuner.
Matt enlève son t-shirt, ses chaussures ainsi que ses chaussettes et se retrouve seulement en jogging gris. Je ne m'interdis pas un vif regard vers ses abdos et retire moi aussi mes chaussures et chaussettes. Alors qu'il se place au centre du tapis et entame un échauffement rapide, je bois une goulée d'eau dans une bouteille qui se trouve dans une glacière près du ring. Je me place ensuite au centre du tapis afin de faire face au tatoué qui m'attend.
— Bien. Les choses vont s'accélérer et s'intensifier, m'explique-t-il en m'analysant tandis que je fais de même sachant que le combat qui allait suivre se ferait contre lui. Nous allons nous battre doucement, pour que je vois tes aptitudes face à un véritable adversaire et non un simple sac de sable. Tous les coups sont permis seulement, ce n'est pas un combat à mort donc s'il te plaît on n'envoie personne à l'infirmerie.
Je ricane face à sa remarque et hausse un sourcil ne comprenant pas cette précision.
— Je préférais préciser puisqu'il y a cinq ans une nana n'avait sûrement pas compris et m'avait frappé les couilles, ce qui m'a valu un séjour à l'infirmerie qui n'était pas très agréable, m'avoue-t-il en se grattant la nuque, gêné.
Je me moque gentiment de lui et avant même de pouvoir réagir, je suis projetée en l'air pour finalement retomber lourdement sur le tatami, ce qui m'arrache une protestation alors que la personne m'ayant mise dans cette position se marre de mon changement d'humeur et sûrement de ma tête aussi.
— Tu pourrais au moins m'aider à me relever après ce que tu viens de me faire, non ? je lui demande toujours allongée en lui tendant ma main droite. Putain, ça fait trop mal.
— Non, non, tu es bien par terre, là. Je vais te passer une serpillère et tu vas t'amuser à me récurer le tatami qui garde encore les traces ADN de certains de nos combattants.
Je grimace face à ces propos. Ce n'est pas que je déteste le sang, mais me dire que je suis couchée sur un tapis qui garde des taches de sang séchées me dégoûte un peu. Surtout que dans très peu de temps ce sera sûrement le mien qui restera tenacement accroché. Parce que, soyons honnête, le la douceur de Matt me fait un peu peur.
Soudainement, je suis de nouveau sur mes deux pieds, ma main droite agrippée à sa main gauche et je comprends qu'il a en fin de compte daigné m'aider.
— Allez ! Mettons nous vraiment au travail ! Fais gaffe à ton cul parce qu'il risque encore plusieurs fois de bouffer le sol, me prévient-il avec un grand sourire moqueur.
— Je le savais ! Putain, c'était que des blagues ton... « doucement », je l'accuse en l'imitant très mal.
Il pouffe une énième fois avant de venir me faire un croche-pied que je ne vois pas arriver, mais c'était sans compter sur mon coach très « gentleman » qui me rattrape avant que je ne m'écrase violemment au sol.
Nous nous écartons et nous mettons en garde. Plus aucun de nous deux ne rigole, nous nous sommes chacun concentrés sur les faits et gestes de l'autre afin de trouver le meilleur moment pour attaquer. Comme il me l'a appris, j'analyse ses faiblesses et j'essaie de trouver comment les utiliser, sans qu'il n’utilise les miennes bien sûr. Matt est relativement grand, donc lourd ce qui ne sera pas simple pour un poids plume comme moi. Ma vitesse est cependant décuplée ce qui pourrait faire tourner à mon avantage la situation. Toutefois, lui connait mes faiblesses et points forts donc il saura ce que j'entreprends avec toujours un coup d'avance.
Je suis sortie brusquement de mes réflexions par la vision du poing du tatoué qui se précipite sur moi. Par réflexe, je tente aussi un poing vers son visage qu'il bloque pour contrer avec un coup dans le ventre qui, je l'avoue, me secoue un peu.
Nous enchaînons ainsi toute la fin de matinée et je sors du tatami avec la lèvre inférieure ouverte, une griffure sur l'abdomen. Un hématome apparaîtra sûrement dans la soirée, mais rien de grave. Je pars en direction des douches pour nettoyer ma lèvre et y mettre de la glace avant que ça ne gonfle pas de trop, puis je m'en vais en direction du bureau de Matt, comme il me l'a discrètement demandé en me relevant à la fin de notre combat.
— Tu souhaitais me voir ? je demande en franchissant la porte.
Je le vois se redresser en m'entendant.
— Oui. Et toi aussi, je te rappelle. Ferme la porte, s'il te plaît ? répond-il en traitant des dossiers étalés sur son bureau.
Il me rejoint ensuite de l'autre côté du bureau et me tend la feuille vierge pliée en quatre que je lui avais rendue en début de journée.
— Tu n'allais quand même pas partir sans ta feuille de Cluedo ? plaisante-t-il en me tendant ladite feuille.
Je souris aussi à sa petite blague et récupère ce bout de papier que je remplirais en revenant plus tôt ici et dans les douches afin de ne pas être vue.
— Merci, je lui souris faiblement, la poche de glace toujours sur mes lèvres.
Lui, toujours le sourire au coin de la bouche regarde mes lèvres et demande tout en empoignant mon bras tenant la poche :
— Fais moi voir. Désolé. Je n'y suis pas allé de main morte.
— Tu as raison, je ne déments pas. Mais j'aurais dû esquiver et puis ce n'est pas comme si nous n'avions pas continué.
Tandis que je replace la glace sur ma lèvre, il rit doucement, ce qui emplit la salle d'un son doux et apaisant après avoir passé la matinée dans une pièce où les cris des combattants se faisaient échos.
— Josh à fouiller dans ton bureau. Il étais au téléphone avec Bowers, j’avoue directement.
Il me regarde surpris et peu à peu en colère. Ses lèvres se pinces fortement pour contenir sa colère.
— Et merde ! éclate-t-il en frappant du poing le bureau. Putain ! Il n’a rien trouvé rassure-moi ?
J’hoche négativement de la tête.
— Non. Je ne crois pas en tout cas. Je n’était que de l’autre côté de la porte.
Il acquiesce durement et se fortte le visage.
— Je te laisse, je vais aller manger tôt pour pouvoir remplir la feuille avant que tout le monde n'arrive et ne soupçonne quoi que ce soit, je l'informe en chuchotant.
Il acquiesce et me laisse aller manger. Ça fait du bien de faire une pause. Je suis exténuée et ma lèvre me lance, mais étrangement, je ne suis ni en colère, ni frustrée, ni quoi que ce soit d'autre. Je suis même plutôt fière de cette blessure. Allez savoir pourquoi. En tout cas, ça fait du bien de m'être changée et plus dégoulinante de sueur, bien que je sois en tailleur et talons.
J'arrive rapidement au réfectoire déjà pas mal plein, et me positionne à ma table. Je peux apercevoir Aloïse deux tables plus loin, devant moi, Noah sur la table à ma droite accompagné de Montana qui, allez savoir comment, s'est retrouvée au même rang élevé que Noah.
Je finis assez vite mon repas constitué d'aiguillettes de poulet et de pâtes bolognaise et me lève afin de laisser ma place et regagner mon étage. En chemin, je croise Raphaël qui paraît angoissé. Quand il me voit , il me rejoint et me sourit.
— Eliona, il faut que je te dise quelque chose, m'explique-t-il en chuchotant. Mais pas ici.
Je perds mon sourire à la fin de sa phrase. Je comprends que c'est grave ou du moins important vu son regard qui parcourt la salle entière. Je saisis qu'il doit avoir appris quelque chose et je me promets de le voir dès que je rentre ce soir pour qu'il soit le premier au courant de notre plan d'évasion de vendredi soir.
Alors que je vais lui dire que je serais disponible direct en rentrant, je le retrouve déjà près de sa table. Je me retourne donc vers l'ascenseur et rejoins le BC.
En arrivant dans la grande salle je regarde rapidement les alentours afin de chercher une quelconque présence humaine. Personne, alors je me rue vers le local et ralentis soudainement en passant la porte, de peur que quelqu'un surgisse d'une des trois autres salles. Avant de sortir la feuille de mon soutif, je contrôle les salles restantes puis après avoir vérifié qu'aucune présence indésirable ne s’y trouvait, je prends la seconde tenue de sport qui reste quotidiennement à ma disposition ici puis file dans les douches.
La porte verrouillée aux hommes, il ne manquerait plus qu'une femme ne rentre pour se changer un peu plus tôt que prévu. Je me dépêche de m'enfermer dans un WC afin d’être appuyé sur le mur pour dresser la liste de questions. Je pose mon change sur le rabat des toilettes et sors le stylo que j'ai récupéré en faisant mon inspection.
Okay, à moi de jouer.
Récapitulons encore une fois : La drogue dans la nourriture et les boissons, excepté l'eau ; la cryo-genèse afin de nous maintenir en vie dans un monde fictif ; la serrure bloquant un étage spécial de l'ascenseur ; l'histoire d'épreuve ; moi qui dois sauver le monde et je suis certaine d'oublier des détails qui sont sûrement importants. Dans un premier temps je note sur ma feuille : « Pourquoi les seules personnes réanimées sont des jeunes et pas des adultes ? » en repensant maintenant à notre discussion d'il y a quelques heures. Au fur et à mesure que je me creuse la tête, je trouve certaines questions et même infos à apporter tel que : « J'ai entendu parler de Genesis 5.0 qui est l'IA actuelle. Il faut la tuer pour faire cesser la guerre.» ou « Je crois que Raphaël sait quelque chose, je vais lui avouer la vérité en premier, dès mon arrivée ce soir.» ou bien « Comment peut-on récupérer la clé qui débloque l'étage de l'ascenseur ? » ou encore « Peut-on faire sortir de cryo-genèse les gens sans danger et si oui comment ? ». Et c'est alors que je réalise que pour stocker une énorme quantité de boîtes métalliques comportant un nombre incalculable de gens, il faut forcément une grande salle, qui plus est, à un étage assez grand.
L'étage bloqué est idéal ! C'est l'étage le plus bas, sûrement avec le plus de superficie et la serrure empêche les personnes indésirables d'y aller, pour ne pas qu'elles découvrent la vérité. Ce qui veut dire que si personne n'y est désiré, il y a des caméras, mais où sont situés les écrans de surveillance ? Une question de plus sur la feuille et des choses à mettre au point.
Lorsque je regarde le contenu de ma feuille, je suis surprise de trouver une feuille incompréhensible où courent des flèches dans tous les sens afin de relier certaines informations à d'autres et même à des questions.
Une chose est sûre, je ne pourrais donner ce torchon à Matt. Il n'arrivera certainement pas à me lire et à comprendre ce charabia.
Tandis que je rebouche le stylo, la porte des douches claque ce qui me fait peur. En tentant de ne pas faire de bruit en pliant la feuille et la remettant à sa place dans mon soutien-gorge, je me change rapidement et sors des WC puis de la salle de douche. Je regagne le bureau de Matt pour lui rendre le papier et nous partons pour un après-midi chargé et épuisant.
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