Chapitre 13
— 12h30 ! Tu peux t'arrêter là et aller manger un morceau. N'oublie pas de te laver et reviens en tenue, nous recommencerons plus en douceur pour cette première journée, m'explique le tatoué en me jetant la troisième bouteille de la matinée. Attention, ce sera pire dès demain !
Je râle et me plains ce qui le fait se marrer. Cela ne l'empêche pas de se diriger vers la femme, un peu plus loin sur notre droite et de lui proposer son aide. Je les regarde un instant et le contemple en train d'assurer la fille aux haltères. Les gargouillis de mon ventre me ramènent bien vite à la réalité et je m'empresse de prendre une bonne douche fraîche après ces longues heures de renforcement musculaire. Je sens que mes muscles vont en pâtir demain.
De nouveau en tenue quotidienne blanche, j'attends que l'ascenseur s'ouvre sur la cantine. Pour ne pas penser à la faim qui grandit et rugit dans mon ventre, je me concentre sur ce que je sais et ce que j'ai appris.
Le jus à une substance spéciale qui nous fait perdre la mémoire, ou du moins, notre vie d'avant, si je peux l'appeler ainsi puisque nous étions dans une sorte de simulation, comme dans Matrix, donc ce n'était pas la réalité. La pièce où nous vivons est finalement en sous-sol et des écrans sont là pour faire joli et nous laisser penser que nous avons vu sur de réelles montagnes. Je suis sûre qu'il n'y a que cette cruche de Montana qui y croit.
Les bips que l'ascenseur fait lorsqu'un étage est passé continuent de retentir dans l'habitacle qui devient de plus en plus petit, accueillant davantage de personnes affamées. Mais ça ne m’empêche pas d’en parcourir tous les recoins pour me souvenir de la moindre petite chose, si infime soit-elle, que je pourrais remplir sur la feuille à indices de Matt.
Juste avant ue les portes ne s’oçuvrent sur le brouhaha du réfectoire, un flash me revient de la fois où nous prenions l'ascenseur avec Carol et le reste du groupe. Avant de pouvoir vérifier mes pensées en jetant un coup d'œil aux boutons de la boîte de métal, je suis emportée par la foule avide de nourriture, ce qui me ramène bien trop vite sur terre.
Sonnée, j'essaie de me situer pour retrouver ma table que je rejoins ensuite. Je ne prête pas attention au reste de la table bien trop pressée de confirmer ma théorie et de la formaliser dans ma tête puis sur papier pour Matt.
Je me sers donc rapidement avant d'engloutir, avec un minimum de décence et de respect, mon repas pour repartir au plus vite dans le lieu exigu qui pourrait bien résoudre une question et en libérer tout un tas.
En chemin, je tente un coup d'œil vers la table des deux plus hauts rangs et remarque que Matt me fixe. Celui-ci, quand il comprend que je le regarde, me fait son fameux haussement de sourcils qui passe pour un : « Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu es bizarre. ». Je ne réponds pas à son langage de sourcils et reconcentre mes yeux sur mon chemin, mais je tombe sur le regard insistant d’Aloïse.
Bizarrement, j'ai la sensation qu'elle sait quelque chose. Après tout, c'est bien elle qui m'a surprise en train de « récupérer mon élastique à cheveux sous le fauteuil ». J'essaie de me convaincre qu'elle ne sait rien mais je sens encore son regard sur mon dos alors que j'attends les portes de sortie. Je n'ose me retourner de peur de dévoiler quoi que ce soit malencontreusement par mes expressions faciales ou ma gestuelle, ou encore mes paroles si on venait à m'aborder.
À peine ouvertes, je franchis instantanément les portes et appuie vite mais le plus doucement possible sur la fermeture des portes. Il serait bête que quelqu'un vienne à entrer avec moi dans l'ascenseur alors que je comptais fouiner. Je reste las puis me rue sur les boutons une fois l'ouverture refermée et aucune caméra en vue. Et bien, ils ont confiance. Ou alors les remontrances sont tellement sévères qu'une personne censée ne ferait tout simplement pas ce que je suis en train de faire.
Alors ! Je suis des yeux la colonne de boutons rapidement ne trouvant rien d'intéressant puis tombe sur la serrure qui fait tache au milieu de toute la technologie du bâtiment. À côté se trouve un bouton. Cependant, aucun nom d'étage ne figure à proximité comme pour les autres. Seul un texte plus petit et rouge : « Accès réservé au personnel autorisé. »
Intéressant.
Je me note de le mentionner sur la feuille tout en glissant mon doigt, d'abord protégé par le tissu de ma veste de tailleur, sur le bouton et appuie sans succès. Le bouton est comme bloqué par un syst... par la serrure. Il fallait s'en douter.
L'ascenseur arrive à bon port et je me dépêche d'atteindre le salon de notre colocation pour pouvoir inscrire tout ce que je sais et ce que j'ai découvert.
Voyons voir. Le jus contenant la substance illicite pour nous faire perdre la mémoire, la serrure qui débloque le bouton menant à un étage secret avec seulement un accès autorisé, le fait que nous soyons dans la réalité et plus dans un monde virtuel, les écrans à la place des murs. Quoi d'autre ? L'air extérieur est sûrement contaminé étant donné la problématique reçue la semaine passée. Nous avons des nanobots dans le corps qui sont reliés à notre bracelet pour nous envoyer toutes nos constantes. Matt en a-t-il ? Et les autres ? L'infirmière agissait bizarrement et paraissait tout à fait dans un autre monde. À clarifier avec Matt. Maintenant que j'y pense Carol, la secrétaire de Monsieur Charles était également étrange mais bien moins que cette soignante. Ce qui est encore plus incohérent est sa « dyslexie » des mots « épreuve » et « formation ». Approfondir cette histoire d'épreuves avec Matt.
Le cerveau encore en ébullition face à tant de réflexion en peu de temps, je jette un rapide coup d'œil à mon bracelet qui m'indique qu'il ne me reste que quelques minutes pour rejoindre mon étage.
Je repose le stylo dans le pot dédié, plie le papier en quatre et le glisse dans mon soutif. Avant de rejoindre l'ascenseur, je veille à ce qu'on ne remarque pas la feuille à travers mes vêtements puis rejoins le destinataire de ce précieux objet.
En cinq minutes j'arrive à la salle, cependant c'est déjà quelques secondes de trop ce qui me vaut un regard noir de ce fameux Josh qui se dirige déjà à grands pas vers moi. C'est sans compter sur cette grosse et forte voix qui fait directement redescendre le colosse et me glace le sang à mon nom :
— Tu commences bien ton retour, dis donc !
Face à Matt aussi furieux, je me sens toute petite. Après tout, ce n'est pas une fille de 1m69 qui va faire le poids face à un tas de muscles de 1m88. Ces yeux sont aussi noirs qu'ils peuvent l'être et me transpercent tandis qu'il m'agrippe le bras assez fort pour être sûr d'avoir des marques le lendemain.
Bientôt, nous nous retrouvons dans un bureau, après être passés par le petit local, toujours tirée et grondée par le tatoué. Ce dernier claque la porte dans un dernier hurlement et continue sa tirade.
— À croire que tu aimes être sanctionnée et jouer la rebelle ! Tu reviens à peine et tu joues déjà avec le feu !
Je le laisse me crier dessus et déverser toute sa colère. Toutefois, je tente quand même de sortir le papier lui étant destiné pour faire redescendre son ton.
— STOOP ! hurle-t-il en courant vers la porte pour la fermer à clé et revenir vers moi pour me prendre des mains la page. Stop, stop, stop ! Espèce de petite effrontée ! Je te préviens, ce n'était que de quelques secondes mais si, dès demain, tu arrives avec une seule et unique seconde de retard, tu peux être sûre que les sanctions arriveront bien vite !
Il range avec vivacité la liste, ouvre la porte brusquement et me met dehors :
— Tu ferais mieux d'arriver avec beaucoup d'avance à l'avenir, crache-t-il sous le regard des trois personnes actuellement dans le local.
Lorsque je sors de la petite pièce, tous les regards sont posés sur moi pour finalement se détourner vivement à l'entrée de Matt.
— Bouge-toi !
Je m'exécute et me place de nouveau devant un sac. J'écoute attentivement ses paroles et ses leçons pour m'améliorer mais pendant son explication, je décèle dans son regard une pointe d'amertume et d'excuse. J’avais bien compris qu’il jouait la comédie. Je me reconcentre rapidement et applique les conseils qu'il m'a donnés.
J'ancre mes pieds au sol et positionne mes bras devant mon visage que je vais devoir garder ainsi pour me protéger continuellement.
Comme l'a listé ce matin Matt, je suis plutôt petite, ce qui signifie que je suis relativement légère. Donc, défaut et qualité en même temps. Défaut, mon ennemi aura plus de force. Qualité, ma vitesse est décuplée grâce à mon poids plume. L'objectif est donc de fatiguer l'adversaire pour ensuite lui porter des coups. La fatigue sera présente ainsi sa défense sera faible. Vous allez me dire : « Okay Eliona. C'est bien gentil tout ça, mais là, tu es face à un sac de frappe. Alors à moins qu'il soit lui aussi sur roulette ou automatisé ou que ce soit un clone transformé en punching-ball tu vas pas pouvoir utiliser ta fameuse technique de la vitesse.» et vous avez raison ! Mais ! Je m'entraîne simplement sur ma propre défense pour ensuite passer au simulateur qui, là, me mettra en situation réelle.
C'est alors que je frappe enfin. Mon poing droit part. Puis le gauche. Le pied gauche rejoint la danse et délicatement les perles de sueur ruissellent de long de mon corps tandis que mes muscles se tendent encore pour libérer tout ce que je retiens en moi.
Un coup pour la perte de mémoire. Défense ! Un autre pour la fosse. Défense !
— Stop !
Encore un pour les cauchemards. Défense ! Le suivant pour tous les mensonges. Défense !
— Eliona, stop !
Et encore un autre pour cette formation de merde. Défen...
— STOP ! j'entends Matt hurler.
Je m'arrête net, luisante de sueur, et le regarde cherchant pourquoi il m'a fait stopper en pleine action mais il m'intime de me taire.
— Tu. Ne. M'écoutes. Pas.
— Si, j...
— Non !
D'un geste de contenance, il se retourne en s'agrippant les cheveux puis se replace face à moi.
— Je t'ai dit de protéger ton visage ce que tu fais très bien certes ! Mais je t'ai également parlé de ton bassin qui se tourne à chaque coup. Tu n'es pas bien plantée dans le sol. Il faut que tu restes fixée au même endroit sinon à chaque frappe tu te déplaceras et finiras dos à ton adversaire. Ancre-toi au sol. Il est ton ami et c'est le seul en qui tu peux avoir pleinement confiance, énonce-t-il calmement mais fermement.
Je hoche simplement la tête et me repositionne. Cependant, il me coupe dans mon élan et m'indique le local d'un signe de tête. Je prends la serviette qu'il me tend et m'éponge le visage tout en marchant en direction de la petite pièce au frigidaire. Je le sens dans mon dos me suivre et, en arrivant dans la pièce, je l'interroge sur une question qui me taraude depuis mon arrivée à cet étage :
— Pourquoi cet étage est si... ancien, alors que tout le reste du Centre de Contrôle de la Vie Extérieure est moderne et surtout très... futuriste.
Sans comprendre, il me regarde étrangement et j'ai la sensation d'avoir dit quelque chose de bête.
— Quoi ? Je suis sûre que maintenant les scientifiques ont dû trouver une substance pour nous faire prendre du muscle et ne plus avoir à suer comme des porcs, non ?
Il rit finalement et enchaîne :
— Eh bien détrompe-toi. Ce n'est pas la priorité de notre dirigeant et puis je préfère mille fois plus suer comme un porc que de me faire doper.
— Ça existe encore ce genre de mots en 3 477 ? le charrié-je.
— Non. C'est décrit comme un mot ancêtre et démodé, mais je me suis dis que les mots de mon temps serait bien trop difficile pour une fille comme toi, me clash-t-il.
Je fais mine d'être touchée et lui balance ma serviette à la figure mais bien évidemment Monsieur tatouage a de bon réflexes.
— Bon.
Il s'assoit sur le banc et me propose de me servir un rafraîchissement, ce que je fais immédiatement. À peine ai-je lâché le goulot que Matt se dirige vers la salle remplie d'innombrables machines de musculation. Lorsque mon entraîneur se retourne, je comprends de suite qu'il veut m’en faire utiliser une pour me renforcer musculairement.
— Oh non, Matt, sérieux. Tu avais dit qu'on passerait à la musculation demain matin avant le simulateur, le supplié-je. S'il-te-plaît, pas aujourd'hui ?
— Et moi j'ai changé d'avis après la prestation que tu viens de me faire donc en piste.
Je fais mine de pleurer mais me dirige malgré tout vers la machine qu'il me désigne. Je ne sais pas trop à quoi elle peut bien servir et surtout comment je dois m'en servir mais Matt commence son explication.
***
Quelques heures plus tard et les muscles en feu, Matt me libère et m'incite à prendre une bonne douche bien chaude pour détendre les muscles contractés par l'effort. Alors en sortant de la salle de musculation, j'empoigne une serviette propre dans le casier dédié et file aux douches.
Ces douches communes ne le sont pas tellement puisqu'il y a une sorte de panneau à empreintes digitales sur la droite de la salle d'eau qui ferme la porte automatiquement si quelqu'un y est. Le seul moyen de déverrouiller la pièce est de placer notre main sur la panneau, qui lui, ouvrira la porte si la personne est de bon sexe. Autrement, un message d'erreur s'affiche, nous signifiant que le sexe opposé se douche déjà. Bien qu'il n'y a pas vraiment besoin du message puisque la porte affiche « homme » ou « femme » en fonction du genre de la personne occupant déjà la pièce. Si personne n'est dans la pièce alors rien est inscrit sur la porte.
Actuellement, les douches ne sont pas occupées alors je m'identifie et rentre pour enfin me glisser sous les jets de douches. Je prends tout mon temps et profite de l'agréable sensation que procure la longue détente de mes muscles. Les sentant un à un se relâcher et savourer la douce chaleur de l'eau dévalant mon corps. J'en profite pour faire le vide dans mon esprit et ne plus penser à rien. Ne plus penser à la moindre petite chose se trouvant sur la liste de Matt. Ne plus penser à mes cauchemars. Ni aux doux baisers de Noah. Je laisse mon esprit faire le vide pour laisser place au trou noir.
Je suppose qu'une facture d'eau ne dérangera pas Monsieur Bowers. Lui s'amuse bien à nous faire perdre la mémoire.
Annotations
Versions