Chapitre 20
— Allez ! Debout là-dessous ! Me secoue Brook délicatement. Il faut te préparer afin d'aider aux préparatifs de la soirée.
— Mmmmmhh, je grogne sous la couette qui finit par voler au sol.
— Laisse notre petite marmotte tranquille, Brook, s'immisce Noah dans la discussion. Elle se réveillera bien assez vite quand elle se souviendra des conséquences d'un retard. Surtout si je m'y mets aussi avec une bataille de guili, peut-être.
Étant chatouilleuse, je me redresse aussitôt ce qui me fait mal à la tête et aux côtes. Les colocs présents dans la pièce gloussent et j'aperçois même Montana esquisser un sourire. Quand je me dirige vers les douches, Brook, Montana et Alec quittent le dortoir nous laissant, Raphaël, Noah et moins dans des pièces ouvertes l'une sur l'autre.
Ce n'est pas une si bonne idée de laisser Noah avec Raphaël, mais je tente le diable.
Raphaël m'interpelle à l'instant où je franchis le seuil de la salle d'eau. Je pose rapidement mes vêtements sur un des casiers prévu à cet effet et l'incite à continuer tandis que je me déshabille.
— Je crois avoir entendu Aloïse me demander de te prévenir qu'elle serait avec Matt comme c'était prévu, mais je t'avoue que j'étais vraiment dans les vapes quand elle m'a parlé.
— Ok, super, merci Raphaël. J'irais les retrouver une fois prête, je le remercie en me démêlant les cheveux.
Il part avec son éternel sourire chaleureux collé aux lèvres qui force le mien. Je regarde l'heure sur mon bracelet afin de ne pas trop tarder même si j'ai pris de la marge comme toute la coloc.
9h45. Pour une fois qu'on nous autorise une grasse mat', je dois me lever plus tôt pour rejoindre Matt et trouver mon groupe pour la journée ce qui ruine tout le principe de grasse matinée.
Sur ce, je passe sous l'eau chaude qui ruisselle agréablement sur mes membres froids. Je profite un peu plus de cette sensation de détente en fermant les yeux. Mes muscles se relâchent tandis que je découvre en ouvrant les yeux que je savonnais vigoureusement ma tache de naissance, sans le savoir.
Pour être stressée, je le suis.
Mon regard est rivé sur la personne qui se tient en face de moi, également nu, sous un autre jet d'eau. Noah. Nous nous fixons sans rien dire, pas le moins du monde gêné par le corps dénudé de l'autre. Il ne parle pas et ne bouge pas. Comme moi. Il ne faisait rien d'autre que me fixer, moi, ou plutôt cette marque. La marque de tous nos problèmes.
— Je ne t'ai pas entendu arriver. Tu m'as fait peur, je souffle en gloussant.
Il sourit faiblement tout en serrant la mâchoire avant d'inspirer fortement pour retenir un sanglot. C'est alors que je me dirige rapidement vers lui afin de le réconforter. Mes bras l'entourent automatiquement, collant nos corps l'un à l'autre, peau contre peau.
— Oh non, non, non, non, non. Noah, qu’y a-t-il ? Explique-moi, s'il te plaît, je n'aime pas te voir mal ?
Son souffle saccadé me montre qu'il retient ses larmes. Seulement, tout vient à éclater. En l'occurrence, ici, ce sont ses larmes qui coulent sur ses pommettes avant de finir par s'écraser et se mêler à l'eau qui ruisselle sur nos corps.
— Je... J'... Putain ! cri-t-il serrant un peu plus ma taille nue.
— Chuuuuuuutt, soufflé-je en me mettant à caresser son dos pour tenter de le calmer. Noah, calme-toi, prends ton temps.
— Putain, mais... pourquoi ? demande-t-il essoufflé. Pourquoi toi ? Pourquoi doit-il être aussi atroce ? Il n'y a qu'à regarder les sanctions qu'il a mises en place si nous enfreignons une des règles pour voir comment ce Charles Bowers est un monstre, comment il prend de haut tout le monde. Regarde seulement la réaction à ton départ pour la fosse et à ton retour, on pourrait croire à une dictature.
Je frissonne à ce souvenir qui m'est désagréable. Il le remarque et m'embrasse le front en se mettant lui aussi à caresser de sa main mon dos.
— Je déteste savoir que tu es en danger même si l'ennemi n'est pas au courant de qui tu es. Je déteste savoir qu'à tout moment il puisse le découvrir et te fasse subir je ne sais quelle atrocité. Je... Je ne peux pas, Eliona. Je ne... Je ne peux pas ne serait-ce qu'imaginer te perdre. JE NE VEUX PAS TE PERDRE !
Ses sanglots redoublent violemment après avoir hurlé ces mots. Je décide de le laisser évacuer toutes les émotions qui le traversent sans arrêter mes caresses.
— Noah ? Regarde-moi, je l'incite après quelques minutes en relevant son visage.
Une fois, nos regards ancrés, je fonds sur ses lèvres et nous échangeons un baiser fiévreux. Par ce baiser, passent toutes les émotions qui font surface : de la colère, de la peur, de la tristesse, de l'appréhension, de la peine et, le plus important, de l'amour. Sa langue glisse sur la mienne tandis qu'une vague de bien-être envahit mon bas ventre et que sa langue complète à la perfection la mienne dans une danse.
— Tu n'as pas à avoir peur pour moi. Je suis forte, je lui dis entre deux baisers.
— Mmh, grogne-t-il en mettant fin à notre étreinte. Tu ne pourras jamais m'empêcher de m'inquiéter pour la fille que j'aime, Bunny.
Je ris face à ce vieux surnom qu'il m'a donné à notre rencontre et lui offre un vif baiser pour le remercier de cette déclaration qui ne fait que gonfler mon cœur.
Je lui chuchote :
— Je sais. Je sais, Noah, et je ne t'ai pas demandé d'arrêter d'avoir peur mais seulement de t'inquiéter un peu moins et de me faire confiance, à moi, en Matt et à toute la coloc, même si je sais que côté Montana ça risque d'être compliqué au début, mais je fais confiance en Matt qui s'occupe d'elle. Je t'aime et je veux simplement que tu saches que je suis forte et encore plus grâce à toi, mais si tu ne me fais pas confiance alors comment pourrais-je avoir totalement confiance en moi ?
— Justement ! J'ai entièrement confiance en toi mais absolument pas confiance en la coloc.
Je rigole, ce qui détend l'atmosphère sérieuse et pleine d'amour.
— Allez ! Dépêchons-nous avant que les autres se demandent où est-ce que nous sommes, je déclare après lui avoir fait un dernier baiser. Heureusement, que j'ai demandé à Brook de me réveiller plus tôt afin de rejoindre Matt.
— Et dois-je te rappeler que tu ne voulais pas te réveiller ? J'ai carrément dû te menacer avec une bataille de guili pour que tu veuilles bien bouger ton joli petit cul rebondi, ricane-t-il avec un sourire en coin.
En me retournant, ahurie par ses mots, je le découvre en train de me mater.
— Regarde autre part, Looser !
— La proximité ne te déplaisait pas il y a quelques instants, continue-t-il toujours joueur.
Je laisse tomber et cache mon corps par ma serviette et m'habille derrière les casiers afin qu'il évite de se rincer l’oeil bien plus qu'il ne l'a déjà fait.
***
Nous sommes dans l'ascenseur depuis quelques minutes et nous attendons d'arriver au réfectoire jusqu'à ce que l'ascenseur émette son petit son habituel signifiant l'arrivée à l'étage sélectionné. En sortant, nous tombons sur la cantine vidée de tous ses meubles et bondée de monde venue pour aider aux préparatifs. Au loin, j'aperçois Tora qui me fait de grands signes alors j'abandonne Noah après des excuses pour retrouver le gigolo qui m'interpelle.
— Matt veut te voir en urgence, annonce-t-il presque en criant. Il avait l'air impatient. Il est au BC avec Aloïse et un paquet d'autres qui attendent des indications.
— Super, merci.
Je fais demi-tour sans trouver Noah pour le prévenir et me dis qu'il le saura bien par quelqu'un. Rapidement, je me retrouve de nouveau dans l'ascenseur qui s'ouvre sur le BC quelques secondes plus tard, aujourd'hui identique au réfectoire. Sur le chemin, mon ventre gargouille n'ayant pas mangé puisque Monsieur Bowers souhaite ne pas retarder les préparatifs et donc que l'on mange en libre service grâce aux nombreux buffets à disposition.
J'ai hâte de pouvoir grignoter !
Cette salle de béton qui, la veille servait encore de salle d'entraînement est tout simplement vidée de toutes cibles, tapis et même punching-balls et remplie par des piles de caisses, des tonnes de caisses devrais-je dire. Des gens se déplacent dans tous les sens et crient à travers la pièce ou donnent des indications floues comme « je l'ai ! » ou même « fait ! ». On pourrait croire à une fourmilière. De loin, j'aperçois Aloïse qui me fait un signe et je la vois rentrer, je suppose, avec mon entraîneur dans le local. Je décide de les rejoindre, après tout j'avais rendez-vous avec eux. Au passage de certains groupes, des hommes et des femmes de tous âges me montrent discrètement leurs poignets. Au départ, je ne comprends pas pourquoi, jusqu'à ce que j'aperçoive le petit dessin qu'ils arborent tous au niveau droit de leur poignet gauche. Ce même petit dessin qu'a Matt, au même endroit qu'eux. Ce petit tatouage. Ce croissant de lune noir. C'est à partir de ce petit signe que je comprends que mon entraîneur, qui est également un "rebelle", n'est finalement pas le seul. D'autres sont en couverture au Bloc de Contrôle de la Vie Extérieure pour aider à le détruire de l'intérieur.
— Combien êtes-vous ? je dis en interrompant Aloïse lorsque je franchis la porte du bureau où ils s'étaient cachés des oreilles indiscrètes.
Un court silence prend place avant qu'ils ne répondent connaissant très bien la raison de ma brusque entrée.
— Une bonne vingtaine, mais avant que tu ne réagisses exce-
— Excessivement ?! je m'écrie en laissant ma colère et ma peur prendre le dessus. Excessivement, c'est ce que tu allais dire ? Mais putain, Matt, vous êtes plusieurs. Vous avez la possibilité de communiquer avec votre camp et de prendre le dessus sur ce monstre et vous décidez de passer à l'action seulement quand vous découvrez mon identité ! Quand JE suis en danger ! Quand la fille qui peut VOUS sauver est en danger ! Espèce de sale égoïste !
Totalement épuisée, je me laisse tomber sur le premier fauteuil venu. D'abord exaspéré par ma réaction, il souffle puis il se redresse de son siège en lançant un rapide regard à mon amie qui se racle la gorge.
— En effet, Matt vient de m'annoncer ce que tu as toi-même découvert à l'instant : la présence d'autres rebelles parmi nous. Présence que nous pouvons remarquer uniquement grâce à ce tatouage en forme de croissant de lune présent sur le côté droit de leur poignet gauche, le côté du cœur, explique-t-elle tandis que le tatoué remonte sa manche gauche pour nous montrer ce que décrit ma coloc.
Cependant, même si cette confirmation me convient, j'attends toujours le pourquoi n'avons nous pas été mises au courant bien avant. Matt prends le relais voyant mon agacement :
— Ces personnes sont là depuis un certain temps déjà. Pour vous dire, certains sont même morts de vieillesse tant cela fait longtemps que nous t'attendons. Tous les dix ans, une vague de cinq rebelles rejoignent secrètement le sein du BCVE. Nous sommes actuellement vingt-sept en me comptant, explique-t-il en joignant ses mains sur ses cuisses. Je ne vous l'ai pas dit plus tôt pour éviter que votre attention ne soit portée sur eux. Cependant, dès à présent, nous allons avoir besoin d'eux et il faut que vous sachiez en qui avoir confiance pour augmenter vos chances de fuite.
Un silence s'installe le temps de digérer l'info puis je me risque à une question :
— Si vous êtes là depuis si longtemps, pourquoi ne pas avoir directement vérifié dans les boîtes cryogéniques afin de me trouver ou du moins trouver une personne avec cette marque ?
— Parce que nous n'avions pas la certitude que cette marque était réelle. Tu me l'as confirmé et nous avons seulement su après que Charles t'aie offert cette robe que cette tache de naissance en forme de cygne n'était pas qu'un mythe, qu'une légende, déclare-t-il presque en me coupant. Pas d'autres questions ?
Aloïse et moi, nous nous regardons afin de voir si l'autre avait quelque chose à ajouter mais il n'en est rien. Matt n'ayant pas eu de réponse continue ses explications :
— Nous nous verrons ce soir à votre dortoir, pour que je fasse le point sur ce que tout le monde doit faire pour que vos chances de fuite soient au maximum. Ne vous en faites pas pour Montana, je m'occupe d'elle comme je vous l'ai assuré. Je pense avoir tout dit... Je te rassure, Eliona, je n'ai rien dit de plus à Aloïse en attendant ton arrivée. Ah et aucun stress pour ma venue ce soir dans votre partie du BCVE, mes gars et moi-même sommes sur le coup.
Sur ces mots, Matt se lève et nous tend un support en bois avec une liste de tâches à faire.
La journée va être chargée.
— Vous êtes toutes les deux en charge de la bonne application des choses à faire aujourd'hui et vous vous occuperez également des commandes à passer sur votre IA s'il manque certains accessoires. Je vous conseille de checker l'avancement des préparatifs assez souvent, spécifie Matt en sortant du bureau.
Nous faisons de même et c'est en arrivant dans la grande salle que nous décidons, Aloïse et moi, de nous répartir les tâches, sachant que le matos est réuni ici mais qu'il faut le transférer dans un ordre précis à la cantine.
— Je te propose de faire la première moitié des tâches de la liste et je fais la seconde, propose-t-elle quand Matt revient vers nous.
— Tenez les filles. Passez-moi vos bracelets, je vais ajouter la fonctionnalité qui vous permettra de passer les commandes ainsi que celle de talkie-walkie afin que vous puissiez communiquer avec les gens du bas, commence-t-il en passant son bracelet au-dessus des nôtres. Nous pourrons dès à présent discuter à tout moment par ce biais.
Nous le remercions en chœur alors qu'il reprend ses explications :
— Sur le canal 12 pour ce soir, déclare-t-il avec un clin d'œil. Il est abandonné. Pour les préparatifs ce sera canal 3.
Il nous laisse ensuite pour rejoindre un groupe proche de nous.
— Pour revenir à ta proposition, je suis du même avis. Avec les talkies, ce sera d'autant plus simple pour nous coordonner, c'est parfait. Et nous pourrons faire travailler une ici et l’autre du réfectoire si besoin, je compléte en acquiesçant.
— Pas faux. Ok, alors go ! termine-t-elle en me souriant. De ce que je vois, nous pouvons repérer les groupes concernés par les tâches, avec la couleur de leur bracelet qui correspond à celle du carré situé à côté de la mission.
— Yes ! Oh, avant qu'on se sépare ! Je te propose que l'on fasse un point toutes les deux heures, ça te va ?
Elle acquiesce simplement et nous nous séparons.
C'est parti !
J'observe la liste et mets en avant celles qui pressent, avant de me lancer tête baissée dans ce crapahutage. C'est très étrange d'être entouré de choses futuristes et de tenir entre ses mains un support en bois avec une simple feuille de papier accompagné d'un crayon à papier.
Bref, ce n'est pas important. Commençons !
"caisses 2, 4 et 16 monter et installer au réfectoire avant 10h ??"
En relevant la tête, j'aperçois le groupe en question en face de moi, quelques mètres plus loin. Je cale la plaque sous mon aisselle, resserre la queue de cheval haute que je me suis faite ce matin et me dirige vers eux. Je suis déterminée à ce que tout se passe comme prévu et du mieux possible afin que notre plan d'évasion se passe à merveille. Ils se redressent tous à mon arrivée et je me présente brièvement.
— Bonjour tout le monde, je m'app-
— Eliona Shields ! Nous sommes au courant, enchantés ! me coupe un grand blond aux yeux noisette.
Lui, je ne l'apprécie déjà pas.
— Nous vous attendions, me sourit un autre, qui paraît être plus vieux que tous les autres.
Je lui souris en retour et je commence :
— Bien ! Messieurs, et Madame, pardon, vous devez descendre certaines caisses et installer le matos qu’elles contiennent avec le reste du groupe rouge qui vous attend directement là-bas avant 10h. Je vous propose de nous rendre face aux boites afin que je vous aide à trouver celles que vous devez embarquer, j’explique en me retournant vers les piles de caisses.
— Nickel! Allez les gars , la journée commence enfin !
— Yep !
— Go, go, go !
Leur bonne humeur me détend et mon appréhension face à la soirée de demain qui approche, redescend peu à peu. Nous devons éviter un bon nombre de personnes qui virevoltent de droite à gauche autour de nous avant d'arriver face à l'objet de notre tâche.
— Alors ! Ok, la caisse numéro deux... je cherche en même temps qu'eux. Ici, en dessous de la treize. Et les caisses numéro quatre et seize qui sont l'une sur l'autre, un peu plus à gauche.
Ils préparent les sangles tandis qu'un autre appelle un robot qui les déchargera du portage des boites de plusieurs kilos. Je les laisse s'occuper du reste et me dirige vers le groupe vert qui doit vérifier les stocks de toutes affaires et accessoires que Monsieur Bowers a exigé pour demain soir avant de les descendre pour 13h. Lorsque je leur donne leur activité de la matinée ainsi que les caissons à vérifier, ils se lancent instantanément dessus. Et ainsi de suite, je dicte ce que chaque groupe doit faire et je reviens vers eux pour checker l'avancée. C'est avec surprise que je découvre qu'il est déjà 12h48 quand je rejoins Aloïse pour la huitième fois au moins. C'est en nous autorisant un encas que nous faisons le point sur toutes les tâches accomplies.
Annotations
Versions