L'intendant n'a qu'une chaussure

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Le cottage ne payait pas de mine, mais ce n’était que pour quelques semaines, le temps que Elsa et Romain se retrouvent, le temps qu’il puisse remettre de l’ordre dans son entreprise et qu’elle écrive son nouveau roman. Ils avaient cherché sur le net, passé par des agents immobiliers, mais au final ils étaient tombés sur une annonce d’un très vieux journal qui prenait la poussière dans leur grenier. Celui-ci évoquait un lieu isolé au fond d’une forêt, demeure qui datait de plusieurs siècles, ancien lieu de vie d’une famille de nobles. Le numéro de téléphone associé à l’annonce n’était bien évidemment plus valable, mais après quelques recherches ils avaient réussi à trouver l’adresse d’un descendant de la famille De la Tour.

De fil en aiguille, l’héritier avait donné son aval pour qu’ils en jouissent comme ils voulaient et autant qu’ils le voulaient. De plus, il ne leur avait fait payer qu’une broutille. Comme prévu ils avaient trouvé la clé sous une des pierres du jardin, verte et en forme de triangle. La même pierre qui reposait maintenant sur la table de la salle à manger.

Romain était plongé dans les affaires de son entreprise, les salaires, les congés, les retours de ses ouvriers quant aux problèmes internes et aux manquements au niveau de la sécurité. Il avait du boulot et depuis quelques jours il ne faisait que ça. Il n’en voyait pas le bout. Elsa, elle, assise dans le grand canapé en cuir vénitien tentait d’écrire le chapitre sur lequel elle bloquait depuis la veille. A la lumière de la bougie qui éclairait chichement, elle fut prise d’inspiration en voyant son mari se frotter les yeux et râler encore une fois.

Elle avait trouvé la fin de son polar : le héros, un vieil inspecteur aigri retrouvait l’envie de vivre en sauvant une petite des griffes d’un prédateur. Comme toujours elle s’inspirait de ce qu’elle voyait, et à ce moment précis, son mari lui faisait penser à son protagoniste principal.

Leurs regards se croisèrent, une vague d’amour emplit l’atmosphère. Ils se retrouvaient enfant après tant de temps noyés dans le marasme du quotidien et des problèmes. D’un commun accord, ils arrêtèrent leur activité et se rapprochèrent.

Un fracas les fit sursauter, un bruit sourd à l’étage. L’un des cadres accrochés au mur tomba et se brisa au sol. La bougie s’éteignit, la porte d’entrée grinça, des pas résonnèrent ainsi que des gouttes à intervalles réguliers.

  • Qu’est-ce que c’est que ça ? souffla Elsa. Ce cottage me fait flipper ! Vivement qu’on rentre à la maison.
  • Ce n’est rien, c’est une vieille maison tu sais, on peut tout entendre.
  • On dirait qu’on a une fuite, en tout cas, pesta Elsa en regardant au plafond.
  • J’irai voir demain, il se fait tard, allons-nous coucher, répondit Romain.

Il retira ses lunettes vissées depuis trop longtemps, se frotta les yeux une nouvelle fois et décida de remettre à demain ce qu’il était en train de faire. Elsa fit de même, mit un point à son chapitre, referma son carnet. Main dans la main ils montèrent dans la chambre à coucher.

Arrivés en haut des escaliers, ils virent une flaque d’eau près de la porte de la salle de bain. La trappe du grenier était ouverte, des gouttes s’échappaient et juste en-dessous, une chaussure déchirée.

  • Ca fait vraiment flipper ! souffla Elsa, apeurée.
  • La trappe s’est ouverte et ça a dû tomber, rien de plus. N’aie pas peur ma chérie, tout est fermé. Je monterai et je refermerai la trappe demain. Aller viens, allons dormir.
  • Faudra en toucher un mot au mec qui nous a prêté ce cottage. Ce serait dommage que ça tombe en ruine.
  • Oui, même s’il ne doit pas souvent venir ici. Aller mon cœur, dis-toi que dans deux jours on rentre à la maison. J’ai bien avancé dans mes papiers, je pense que tout sera bientôt en ordre.
  • Tu as raison, bébé. De mon côté, j’ai écrit une dizaine de chapitres, la trame principale est bien définie, les futurs rebondissements aussi, le premier jet est quasiment terminé. Encore deux jours et on se barre d’ici. Autant ça m’inspire, autant j’aimerai bien partir.

Une fois à l’intérieur de la chambre, ils s’enlacèrent tendrement puis firent l’amour au rythme du vent qui claquait sur les fenêtres. Leurs problèmes étaient oubliés le temps d’un instant, tout comme la chaussure et l’eau qui continuait de couler. Satisfais, ils s’endormirent lovés l’un contre l’autre.

L’eau coulait de plus en plus, le parquet grinçait ; Elsa et Romain grognèrent pendant leur sommeil. Des bruits spongieux et des raclements résonnaient non loin de leur chambre, mais ils continuaient de dormir profondément. Soudain, le vase qui était sur la table de chevet en bois de bouleau se brisa en un hurlement sinistre.

Romain se réveilla en sursaut, la bouche sèche et tremblotant, incapable de se redresser. Depuis quand fait-il si froid dans cette pièce ? Pourquoi c’est mouillé ? se dit-il en tâtonnant à côté de lui. Ses mains rencontrèrent une matière visqueuse et son odorat capta une odeur désagréable. Il mit ses lunettes, toujours incapable de se mettre debout, avisa le radio réveil qui indiquait 6 :66 et cria.

Au-dessus de lui, un homme immonde : un œil en moins, une bouche brisée, des touffes de cheveux disparates. Celui-ci, un piolet ensanglanté dans la main sourit. De la bave s’écoula de ses gencives nécrosées pour atterrir sur le visage terrifié de Romain. Dehors le tonnerre grondait, un éclair zébra le ciel et éclaira la pièce.

Il hurla de plus belle, en larmes. Elsa gisait dans son sang, la gorge ouverte, le visage en charpie. L’amour de sa vie n’était plus qu’un corps froid. Toujours dans l’incapacité de bouger, Romain était à deux doigts de s’évanouir, même la colère ne lui permettait pas de se mouvoir.

L’homme au visage difforme plongea son piolet dans le ventre de Romain, qui n’arrivait plus à émettre le moindre son. L’arme s’écrasait contre ses côtes, arrachaient des bouts de peau, du sang giclait.

Romain hurlait, la douleur à son paroxysme. La mort venait de frapper sa femme sans prévenir et maintenant c’était à son tour de franchir le voile dans d’atroces souffrances.

Le monstre emmitouflé dans une redingote vieillotte riait et s’amusait à lécher le sang sur les draps avant d’enfoncer le piolet dans le crâne de Romain. Il s’acharna des heures durant, puis porta les deux corps défigurés et les draps jusqu’au broyeur dans le jardin avant de revenir pour tout nettoyer.

Le vieil intendant, décédé des siècles plus tôt, sortit de la chambre, une chaussure manquante à son pied droit et remonta au grenier.

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