Tire-fesses

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Du blanc à perte de vue. Parfois, Théo apercevait un sportif descendre la piste, passer entre les balises, slalomer, tomber. Parfois, il voyait la végétation du côté hors-piste, mais le blanc prédominait. Un blanc agressif qui lui faisait mal aux yeux, lui qui était habitué aux flashs colorés des jeux vidéo sur son ordinateur.

Pourquoi avait-il accepté ?

Théo réajusta ses skis, pesta contre le froid qui lui gelait le corps malgré la combinaison et accéléra le pas pour ne pas se laisser distancer par ses parents. Ils l’avaient presque sorti de force de sa chambre, pour qu’il puisse goûter à l’air frais et délaisser au moins un temps les écrans. Soi-disant qu’il en avait besoin, qu’il était blanc comme un cachet d’aspirine et que voir du monde lui ferait le plus grand bien. En vérité, ses parents voulaient passer du temps avec lui, faire quelque chose en famille après l’année compliquée qu’ils venaient de passer. La mort des grands-parents, en un mois, continuait à les tourmenter.

Il savait pourquoi il avait accepté : même s’il ne le montrait pas, il était très affecté par la perte de Mamie Nova comme il l’appelait, la fée des yaourts – pas très original, mais ça faisait rire tout le monde – et Papy Rambo, l’ancien militaire au caractère bourru qui ne manquait pas une occasion de lui raconter ce qu’était la guerre – là aussi rien de vraiment original, mais passer le dimanche avec Mamie Nova et Papy Rambo, puis le raconter à ses potes, c’était quand même quelque chose, comme un début de blague.

Théo se racla la gorge, il ne passerait plus de weekend comme ça, il ne profiterait plus du talent culinaire de sa grand-mère ni des récits épiques des tranchées de son grand-père. Voilà pourquoi il avait accepté cette sortie, et vu le grand sourire qui avait illuminé les visages fatigués de ses parents, il avait bien fait.

  • Tu vois, mon chéri, la fraicheur de la montagne ! On en aurait tous besoin, fit sa mère.
  • Ouais… j’étais bien moi dans ma chambre à geeker, mais…
  • Allons, fiston, profite avec nous, si ça se trouve ta mère va se viander et on va se marrer ! blagua son père en lui donnant un coup de coude.
  • Très drôle ! répondit sa mère en s’agenouillant pour faire une boule de neige et leur lancer.
  • Mais je suis content d’être venu, vraiment, finit Théo. Et puis, c’est un nouveau début d’année, j’ai bien envie de me mettre au sport.
  • Tu veux faire tomber les filles, Roméo ? se moqua son père en lui assénant un nouveau de coude appuyé.
  • Tomber une fille surtout, j’en suis sûr, c’est un romantique ton fils, comme toi, mon chou.

Sa mère ponctua sa phrase d’un gros bisou sur la joue de son mari. Théo se sentait bien, cela faisait vraiment longtemps qu’ils n’avaient pas profité d’un moment comme celui-ci.

Ils marchèrent encore quelques minutes puis arrivèrent au tire-fesse, là où d’autres vacanciers attendaient. Le vent soufflait dans les branches en une mélodie quelque peu sinistre qui rappela à Théo les bruits des fantômes dans ses jeux d’horreur préférés. Ses parents passèrent devant lui après lui avoir dit comment faire pour bien le prendre, ne pas risquer de tomber par la suite et ne pas paniquer s’il se retrouvait bloqué. Une allusion à un certain Jean-Claude Duss à la clé, une allusion qu’il ne comprenait pas, mais il décida qu’il irait checker ce nom sur Google en rentrant.

Ses parents se mirent position et attendirent le tire-fesses avec deux autres personnes, un couple également. Ils allaient être serrés. Théo pouffa avant de se rendre compte qu’il n’allait pas être seul non plus. A ses côtés, un garçon au visage jovial surmonté de grosses lunettes de ski, lui sourit en lui présentant sa main. Le vent soufflait de plus belle et la neige tombait lentement.

  • Moi c’est Paul, et toi ?
  • Théo… euh… mes parents m’ont expliqué pour le tire-fesses, mais c’est ma première fois au ski donc…
  • T’en fais pas, tu te mets en position assis-debout comme on dit et tu laisses faire.

Théo rajusta sa combinaison une nouvelle fois et prit le tire-fesses. Enfin… le tire-fesses le prit si vite qu’il faillit tomber, mais Paul le rattrapa de justesse. Le garçon avait une force remarquable et ses doigts étaient encore plus glacés que la neige. Pendant un instant Théo crut voir une lueur rouge dans les yeux de son « sauveur », il crut même apercevoir les os de son visage comme si la peau tombait en lambeaux. Il fit un bond, mais se reprit, le froid lui faisait tourner la tête. Ou alors les jeux vidéo avaient plus d’impact qu’il le pensait.

Décidé de reprendre ses esprits, Théo discuta avec Paul de tout et n’importe quoi. Ils découvrirent qu’ils aimaient tout deux le football, la lecture, le même genre de musique. Théo apprit même que Paul avait lui aussi perdu violemment ses grands-parents, l’un à la suite de l’autre.

Ils continuèrent de converser sur leurs passions jusqu’à ce que Paul lui apprenne que la station de ski était réputée hantée par des créatures. Ils rigolèrent ensemble en imaginant des fantômes affublés de parkas, des zombies friands de fondue humaine ou encore des immenses monstres slalomant entre les viscères de leurs victimes.

Alors qu’ils s’amusaient à refaire l’équipe type de tel ou tel club de foot, à parler des anciennes stars sportives et à parler de leur béguin amoureux, le tire-fesses s’arrêta dans un « bonk » sonore.

  • Et merde ! fit Théo, mes parents m’avaient dit que ça pouvait arriver.
  • N’aie pas peur, ce sera bientôt fini, le rassura Paul, d’une voix plus rauque qu’auparavant.

Théo avisa ses parents sur le tire-fesses devant lui. Quelque chose n’allait pas, ils bougeaient à peine et semblaient trembler. Un râle rauque le fit sursauter. Il vit l’autre couple assis à côté de ses parents se lever et se jeter sur eux, les déchiquetant dans des gerbes de sang qui vinrent recouvrir le tapis neigeux. Théo hurla, pleura, une crise d’angoisse lui comprima la poitrine. Paul hurlait également de concert.

  • Arrrghhhh… Ah ah ah ah !

Le hurlement de son nouvel ami s’était mû en un rire sardonique qui lui glaça les veines et lui tordit l’estomac. Paul était à côté de lui, son visage complétement décharné et des crocs saillants de sa bouche détruite.

  • Je t’avais dit que ce serait bientôt fini, Théo.

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