L'orme des miracles
- Tu ne peux pas mourir ! pleura Vothur.
- J’ai fait mon temps, mon aventure se termine ici, c’est la vie mon chéri. Je compte sur toi pour t’occuper de Temira.
- Je ne suis pas prêt, je…
- Tu es l’homme de la maison maintenant.
- Je ne suis pas papa, je ne le serai jamais.
- Ta petite sœur a besoin de toi.
- Elle a surtout besoin de toi, maman. Tu dois te battre !
- Il y a des choses qu’on ne peut combattre, mon ange. C’est comme ça, c’est le destin.
Vothur fondit en larmes et tapa du poing contre le mur. Une fois pour cette maladie qui clouait sa mère au lit, qui lui bouffait les organes un par un ; une autre fois pour son père mort au combat pour une guerre qu’ils avaient en plus perdu ; une autre fois pour sa petite sœur qui grandira sans ses parents, juste avec un grand frère pas assez grand que ça. Ses phalanges meurtries, il se leva et sortit de la maison.
Sous le ciel menaçant, Temira s’amusait à arracher des brins d’herbe tout en fredonnant une mélodie que sa mère lui avait chanté la veille. Son visage s’illumina lorsqu’elle aperçut son grand frère, mais une expression de tristesse reprit vite sa place. Même si elle n’était qu’un enfant, elle savait que sa mère était gravement malade, et les grands médecins de la Capitale ne daignaient jamais venir dans les coins les plus reculés de Sementa.
Perdu dans ses pensées, Vothur n’entendit pas le roulis du tonnerre, ne sentit pas les tombereaux de pluie s’abattre sur lui un court instant, avant que les cieux se parent à nouveau de leur calme bleu d’azur et que la chaleur s’empare des terres. Semanta, un lieu où les stalactites laissaient la place dans la seconde à d’intenses canicules. Incompréhensibles, une sorte de micro climat, ce qui ne donnait pas envie aux gens d’y venir mettre les pieds. Les habitants, curieusement, ne voulaient pas quitter les lieux, Vothur, lui, n’arrêtait pas de se dire que s’ils avaient habités autre part, son père serait encore là et sa mère ne serait pas aux porte de la mort.
Temira le fit revenir à la réalité en lui tapotant la jambe.
- Maman va mieux ?
- Ca va aller… Restes là, je vais aller chercher quelques herbes et…
« Tu veux la sauver ? Prends un de ses vêtements, rends-toi au-delà des montagnes et trouves l’orme caché ».
- Qu’est-ce que… Tu as parlé, Temira ?
Sa petite sœur était déjà repartie jouer.
« Tu veux sauver ta mère ? Prends un de ses vêtements, rends-toi au-delà des montagnes et trouves l’orme, tu comprendras ».
La voix retentissait dans sa tête, telle une mélodie lancinante. Vothur se massa les tempes, les yeux, mais les paroles continuent d’affluer. Il avisa leur maison, se rappela le piteux état de sa mère et l’incapacité des guérisseurs de l’aider. Il n’avait pas le choix, peut-être devenait-il fou, mais autant ne pas rester ici à se tourner les pouces et attendre l’instant fatal. Il rentra, posa un doux baiser sur le front de sa mère, lui prit son écharpe fétiche, mit sa pelisse fourrée et partit en ordonnant à sa petite sœur de rester là où elle était, de ne pas rentrer et d’attendre son retour.
- Qu’est-ce que je fais là ? fit-il à haute voix alors qu’il empruntait un vieux sentier qui n’était plus marqué depuis longtemps. Y a rien au-delà des montagnes…
« Continue si tu veux sauver ta mère. La solution approche. »
- Qui êtes-vous ? Je deviens fou, c’est sûr…
Pendant plusieurs kilomètres, Vothur attendait une réponse de la voix, mais rien ne vint. La neige était partout autour de lui, il était enfin arrivé aux montagnes, mais il ne vit aucun passage.
- Faut que je monte au sommet, j’imagine…
« Tu n’as pas besoin d’aller tout là-haut. Avance et trouve une branche enfouie. Ensuite, dit ton nom et pourquoi tu es là. »
Vothur restait interdit, il pensait de plus en plus qu’il devenait fou.
« Tu n’es pas fou, Vothur. Fais ce que je dis et ta mère sera sauvée. »
Pendant plusieurs secondes, il fouilla la neige, ses phalanges transies par le froid mordant. Alors qu’il était sur le point d’abandonner, ses doigts frôlèrent quelque chose de dur et de très chaud. Il sursauta, mais réussit à ne pas lâcher et tira pour sortir la branche.
- Je… commença-t-il, en se mettant à genoux devant le bois. Je m’appelle Vothur et… et je suis là parce que ma mère est en train de mourir. On m’a dit que vous, qui que vous soyez… que vous pouvez la sauver.
Rien ne se passa. Vothur pleura et rit en même temps, de détresse. Il se releva et fit demi-tour lorsque soudain un grondement sourd le fit se retourner. La neige s’écartait pour laisser place à une cavité tout juste assez grande pour le laisser passer. Excité et en même temps apeuré, Vothur prit son courage à deux mains et avança. Il ne savait pas pendant combien de temps il marcha, mais une lumière l’accueillit bientôt. Une lumière froide qui lui donna mal aux yeux et à la tête.
Après un temps d’adaptation, il put rouvrir les yeux. Devant lui se dressait un immense orme aux branches tordues, il devait y en avoir des milliers. Vothur ne savait pas bien compter, ce n’était donc qu’une estimation. A chaque branche pendait des lambeaux de ce qui devaient être d’anciens vêtements.
Le tronc de l’arbre se mit à bouger et une bouche fine s’en extirpa.
« Met l’écharpe sur l’une de mes branches et ta mère sera guérie. »
- Comment… Je ne comprends pas, comment c’est possible ?
« Pourquoi chercher une explication ? Je te propose de sauver ta mère, est-ce que tu aurais changé d’avis ? »
- Non ! hurla-t-il, avant de se reprendre. Non, bien sûr que non, mais… maman dit que les choses qu’on comprend sont soient inexplicables, soient dangereuses.
« Ta mère est sage. Aller, pose son écharpe ici. »
Une branche s’étira jusqu’à Vothur. Il enroula le tissu de soie et recula en même temps que la branche reprit sa taille initiale. Un grondement de tonnerre le fit sursauter et il fut tirer en arrière à une vitesse folle avant de perdre connaissance.
Lorsqu’il se réveilla, il se trouvait au pied de la montagne. Il fouilla le sol, aucune trace de branche, aucune trace d’une porte dans la montagne. Aucune trace de l’écharpe.
- Maman, j’espère que ça va. Maman ! cria-t-il.
Il courut à en perdre haleine, ne s’arrêtant qu’une fois aux portes du village où les habitants l’accueillirent, surpris. Il ne prit pas la peine de leur parler et fonça vers sa maison.
Temira n’était pas là, mais du bruit à l’intérieur attira son attention.
- Maman, je suis là ! Je suis si cont…
Sa mère était accroupie, de la bave aux lèvres et les yeux révulsés, au-dessus du corps de sa petite sœur. Elle la dévorait, du sang coulant de sa bouche. Vothur ne trouva pas la force de bouger, ni de hurler lorsque ce qui était autrefois sa mère se jeta sur lui.
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