Le fantôme de la miséricorde

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Elijah se sentait comme un enfant entouré de jouets, il ne savait plus où donner de la tête. Son amour pour les antiquités le faisait arpenter le grand magasin depuis de longues minutes. Tout sourire, il aimait venir faire du « lèche vitrine » une fois par semaine, admirer les objets plus rares les uns que les autres, des objets racontant une histoire que le vieil antiquaire se plaisait à lui raconter. Ici un casque cabossé d’un ancien soldat de la Seconde Guerre Mondiale, là une étoffe dorée datant du VIIe siècle. Elijah connaissait le magasin comme sa poche, son père et son grand-père lui avaient fait découvrir il y a des années auparavant. Si bien que le gérant, Mr Vartman, faisait pratiquement partie de sa famille. A chaque nouvel arrivage, il l’appelait.

Aujourd’hui était un jour spécial, Mr Vartman avait réceptionné un vieux coffre d’un vieil ami au Moyen-Orient. Ce dernier lui avait certifié l’originalité et la valeur de ce qui se trouvait à l’intérieur. Le gérant de Reliques et Gadgets (car, effectivement, Antonio Vartman était également friand de gadgets technologiques) l’attendait pour l’ouvrir.

  • Tu viens derrière, Elijah, on va ouvrir.
  • J’arrive, Antonio, répondit-il, excité.

Le coffre, des taches brunâtres ici et là, donnait l’apparence d’une vieille malle de film d’horreur qu’il ne faudrait surtout pas ouvrir. La serrure résistait, si bien qu’ils durent forcer au pied de biche. Lorsqu’elle céda, une odeur nauséabonde emplit l’air et un épais nuage de poussière s’en échappa. Un à un, ils enlevèrent les pages de journaux protégeant les reliques et découvrirent des livres anciens dans des langues inconnues et des armes en tout genre. Un sabre recourbé légèrement fissuré, un cimeterre rouillé sur lequel l’on pouvait encore apercevoir des vestiges de sang, etc.

Ce qui attira l’attention d’Elijah fut une lame effilée en parfait état à la garde noire. Aucune gravure, si ce n’était un symbole usé par le temps, méconnaissable. Après quelques recherches sur le net, ils trouvèrent plus amples informations sur l’arme. Appelée « miséricorde », la dague servait à achever un ennemi tombé ou un camarade qui agonisait.

Mr Vartman comprit immédiatement que cette dague n’allait pas rester bien longtemps dans son magasin. Par amitié pour les parents et grands parents d’Elijah, il accepta de lui vendre avant même de l’inventorier.

De retour chez lui, Elijah s’empressa d’admirer sa nouvelle trouvaille et la déposa dans un écrin de très belle facture. La nuit approchant à grand pas, il soupa, regarda quelques épisodes d’une série sur son ordinateur portable et, content d’avoir une nouvelle relique, s’endormit le sourire aux lèvres.

Mais il ne dormit pas bien.

Il se trouvait dans une tranchée, la jambe arrachée par un obus. Il avait beau hurler, personne ne pouvait s’arrêter pour l’aider. D’autres détonations retentirent, un de ses camarades soldats tomba à côté de lui, les yeux déjà tournés vers le voile de la mort, puis ce fut le tour d’un autre, la tête complètement déchiquetée. C’était la fin. Le silence s’abattit et un soldat ennemi fit son apparition dans son champ de vision. Il s’agenouilla près d’Elijah, sortit une arme de sa poche et l’approcha de sa jugulaire.

Elijah hurla, se réveilla en sueur. Le rêve était si réaliste qu’il tremblait de tous ses membres. Il se dépêcha de se lever et d’aller à la salle de bain. Ce qu’il vit dans le miroir le laissa bouche-bée. Une trace rouge lui barrait la gorge, là où la lame s’était approchée. Il cligna des yeux ; la trace avait disparu.

La journée passa lentement, très lentement. Au travail, il n’était pas vraiment là, se contentant de faire ses taches tel un automate. Puis vint le soir, fatigué et encore secoué par le rêve de la veille, il ne mangea qu’une tartine et partit se coucher.

Encore une fois, sa nuit fut mouvementée.

Il était couché dans la boue, une grosse plaie au ventre de laquelle sortaient ses entrailles. Il s’efforçait d’appuyer, comme s’il pouvait les remettre. Tout autour de lui, des blessés, des morts, ça allait être son tour s’il ne trouvait pas une solution, s’il ne trouvait pas quelqu’un pour l’aider. Une silhouette se dessina dans la brume, un grand soldat s’avança, se mit à genoux, sortit une lame à la garde sombre et l’approcha vers son aisselle.

Elijah ouvrit les yeux, la douleur et l’horreur à leur paroxysme. Comme l’autre fois, il se leva en quatrième vitesse et courut à la salle de bain. Il vérifia dans le miroir et trouva une cicatrice rouge sous son flanc. Il cligna des yeux ; elle disparut.

S’ensuivit plusieurs jours où il rêva à nouveau de champs de batailles. Il n’était pas féru d’Histoire mais il comprit que ce n’était jamais la même guerre. A chaque réveil, la douleur lui vrillait le crâne et tout son corps et à chaque fois, une marque comme stigmate de ses souvenirs, qui disparaissait dans la seconde.

Elijah était sorti au cinéma pour voir une comédie puis avait pris un somnifère. Ce fut calme qu’il se mit sous la couette, éteignit les lumières et sombra dans les bras de Morphée.

Une plaine verdoyante, des chevaliers qui haranguaient leurs camarades, des officiers aux lances rouge de sang, des plastrons cabossés, des viscères et des lambeaux de chair se mêlant à la boue et à la terre. Il claqua les flancs de son cheval et s’élança vers ses ennemis. Il en tua plusieurs avant que son destrier ne soit éventré, et chuta lourdement. Il ne pouvait plus bouger, ne sentait plus ses jambes, n’arrivait pas à respirer, sa vision se troublait. Un soldat ennemi s’approcha de lui, un sourire carnassier sur son visage tordu par la haine, prit une dague à sa ceinture. Elijah la reconnut immédiatement : la copie conforme de la lame qu’il avait acheté à Mr Vartman, mais il n’eut pas le temps d’essayer de comprendre. Son adversaire lui trancha la jugulaire d’un geste net.

Cette fois-ci, Elijah ne se réveilla pas. Dans le salon, l’écrin était vide, la miséricorde avait disparu.

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