Le journal d'Amae Lumna

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Von Alspen tournait en rond à l’entrée du bourg de Val Imra. Le journal d’Amae Lumna l’avait mené jusqu’ici, un village désolé où les habitations miteuses cerclées de boue semblaient sorties d’un autre siècle. Des toits en torchis abimé, du lierre montant et recouvrant une bonne partie des cloisons, des chemins à peine dessinés et de la végétation noircies de laquelle jaillissaient quelques fleurs noircies. Il n’y avait pas âme qui vive, pas le moindre bruit environnant, et ce n’était pas dû au froid glacial qui soufflait sans discontinuer.

Amae Lumna, son apprentie douée en qui il fondait l’espoir qu’elle le remplace en tant que maître démonologue, lui manquait chaque jour qui passait. Il se remémora une des dernières phrases de son journal :

« Tout porte à croire qu’au cœur de ce village se trouve les jumeaux d’Azra. Je m’en vais vérifier et je vous recontacte. »

Sa protégée lui avait fait part de ses recherches, jusqu’à ce qu’elle cesse de communiquer. Elle lui avait donné des pistes pour qu’il puisse la retrouver si jamais il lui arrivait malheur. Pistes qui avaient mené Beor dans une forêt aux abords d’Estios, plus précisément près d’un arbre centenaire où il avait pu trouver le journal, les dernières pages arrachées et des taches de sang noir tout autour. Amae était une démonologue confirmée, animée du goût du danger et surtout d’une réelle vengeance depuis que ses parents avaient été massacrés par une horde de démons.

Von Alspen, grand ami de ses parents, l’avait pris sous son aile pour la former et elle avait dépassé ses espérances. Aujourd’hui, elle avait besoin de lui.

Les rayons du soleil caressaient les habitations, chassant les dernières parcelles d’obscurité vomies par la sorgue. Le maître démonologue avait beau fouillé les alentours, il n’y avait aucune silhouette, aucun habitant, et bien sûr aucun démon. Après quelques secondes d’errances où les portes des maisons restaient irrémédiablement fermées, Von Alspen aperçut une petite lueur près d’une auge nauséabonde. Un collier. Celui d’Amae, taché de sang. Juste à côté, une page de son journal. Le démonologue s’agenouilla et déplia le papier froissé avant de lire ce qui était inscrit.

« Beor, j’en suis maintenant convaincu. Les jumeaux sont dans ce village ! Et ce n’est pas juste mon intuition, j’ai des preuves. J’ai discuté avec une des gens et tous s’accordent à dire que le Mal est à l’œuvre par ici. En attestent les corps éventrés et les entrailles clouées aux portes. C’est leur signature. »

Von Alspen ne put réprimer un sourire de fierté. Son apprentie, qu’il aimait comme sa fille même s’il n’avait jamais osé lui dire, était futée et si quelqu’un pouvait trouver ces démons depuis longtemps cachés dans les ombres, c’était bien elle. Mais si son intelligence ne faisait aucun doute, il y avait quelque chose qu’il savait dangereux : son impétuosité et son envie de vengeance. Après tout, les deux frères démons qu’elle recherchait étaient ceux qui avaient massacrés sa propre famille par le passé. Depuis lors, elle était hantée et pouvait partir au quart de tour lorsqu’elle assistait à des tueries semblables. Il se rappela la fois où elle avait failli se faire dévorer par une famille de démons cloitrée dans une combe enneigée ou la fois où elle s’était lancé à la poursuite d’un démon à la vitesse impressionnante, sans réfléchir.

  • Où es-tu Amae ? murmura-t-il à haute voix. Tu aurais dû m’en parler.

Du bruit attira son attention : un petit chien vint se frotter à sa jambe et mordiller sa chaussure avant de tirer avec toute la force qu’il pouvait. Son pelage gris était éclaboussé de petites traces rougeâtres et il boitait.

  • Qu’est-ce que tu fais là tout seul ?
  • Ouaf ouaf ouaf !
  • Qu’est-ce que tu veux, petit père ?
  • Ouaf ouaf ! Ouaf !

Décidant qu’il n’avait pas le temps pour jouer, Beor prit le chiot dans ses bras, brisa l’une des fenêtres de la maison la plus proche et le déposa sur un tapis déchiré. L’intérieur était poussiéreux, les meubles cassés et une odeur putride emplissait l’air. Beor Von Alspen ferma les yeux, mit sa main gauche sur le cœur et déclama quelques mots. Lorsqu’il rouvrit les paupières, ses iris brillaient d’un rouge sombre. Il regarda chaque partie de la maison, vit des traces de pas : de longs pieds, à qui il manquaient deux orteils. Les jumeaux d’Azra. Il n’y avait aucun doute, son apprentie était sur la bonne piste, il se rappelait le jour où il avait coupé les orteils du cadet Azra et tranché le bras de l’aîné.

  • Le Mal est passé par là, et il n’y a pas si longtemps ! Amae, t’es où bon sang ! Amae !

Il ponctua son cri d’un coup de poing dans le mur et se dépêcha de sortir tout en serrant le pommeau de son épée et le grimoire attaché à sa ceinture. Il n’aimait pas ça, même si Amae était impatiente et qu’elle voulait se venger depuis des années, elle lui aurait laissé des indices plus probants, pas juste des bouts de son journal disséminés. Non, il n’aimait vraiment pas ça. Von Alspen s’empressa de faire le tour du village, mais il ne vit personne, son don restait silencieux. Il allait faire demi-tour et continuer l’inspection des coins et recoins jusqu’à ce qu’un aboiement le fasse sursauter. Le chiot l’avait suivi, et fixait la ruelle adjacente.

Deux femmes, pendues la tête en bas, le visage complètement déchiqueté, étaient attachées à la toiture. Leurs viscères gouttaient et dans la mare poisseuse trônait une feuille froissée. Avec précaution, Beor regarda les alentours, psalmodia, pria pour que le Créateur l’aide et s’abaissa. L’atmosphère se fit plus oppressante, il sentait qu’il touchait un but. Son apprentie n’était plus très loin. Heureusement, elle ne faisait pas partie des cadavres, ou malheureusement. Il connaissait la monstruosité des jumeaux… Un coup d’œil derrière lui, le chien n’était plus là. Il se reconcentra sur la scène morbide.

Beor déplia la page du journal, sur lequel il put lire quelques mots qui n’étaient pas de la main de sa protégée : « Retournez-vous, Von Alspen, votre heure a sonné. »

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