Dans le silence
L’araignée tisse sa toile entre les fissures du plafond. Elle consolide le tout avant de descendre, de glisser le long de son fil et d’atterrir sur une table ronde où trône un service à thé. Trois tasses à fleurs fumantes sont disposées sur un plateau, une odeur enivrante de citron-miel emplit l’air. De chaque côté de la table, une personne est assise, les yeux fermés. La chaise du milieu est vide. D’autres araignées approchent pour gober ici et là quelques mouches mortes, puis montent le long des gens endormis. Ce qui leur fait ouvrir les yeux, lentement.
Martin sent quelque chose sur son bras. Il ouvre difficilement les yeux, tout n’est que brume. Sa bouche est pâteuse, il se sent très lourd, comme si son corps pèse des tonnes. Après quelques secondes où il se demande où il est, les pattes de l’araignée, maintenant sur son épaule, le font frissonner. Il tente de bouger mais il ne peut pas. Martin regarde la tasse de thé devant lui, il sent les effluves. D’autres araignées approchent de lui, slaloment entre la boite de sucres et les couverts. Lui ne peut toujours pas bouger. Avec peine, il lève un peu la tête et voit une femme devant lui, assise elle aussi, une araignée dans les cheveux et d’autres qui montent le long de ses bras. Il aimerait hurler, mais il ne peut pas non plus. Son corps ne répond pas.
Des bribes de souvenirs affluent subitement : il range les courses dans son coffre, le pack d’eau à gauche, le sac de droite attire son attention. Une plaque de chocolat noir 90%, un tube de mayonnaise, une pâte à pizza. Il voit tous les détails, ressent les rayons du soleil, entend les gens entrer et sortir du magasin. Il va remettre le caddie à sa place, reprend son jeton avant de revenir. Alors qu’il ouvre la portière, quelque chose le pique à la nuque. Il se retourne puis c’est le trou noir. Il reprend pied dans la réalité, la femme ouvre également les yeux.
Suzanne revient à elle, elle a soif, très soif. Elle cligne des yeux, ses membres engourdis et sa langue parait prendre la totalité de sa bouche. Elle sent quelque chose monter le long de sa jambe, ce qui finit de lui faire ouvrir ses paupières. D’ignobles araignées s’avancent vers elle. Horrifiée, elle ouvre la bouche et hurle. Enfin, c’est ce qu’elle croit. En réalité, aucun son ne sort, son corps ne bouge pas d’un centimètre. Elle sue à grosses gouttes alors qu’une des bêtes grimpe sur sa joue. Son cauchemar prend vie.
Suzanne hurle intérieurement alors qu’elle aperçoit un homme assis devant elle, amorphe lui aussi, des bêtes sur son corps.
Elle aimerait se pincer pour que ce cauchemar s’arrête, mais ses mains ne bougent toujours pas. Suzanne ne comprend pas, elle n’est même pas attachée. Elle capte le regard de l’homme, tout autant apeuré lorsque son esprit lui rappelle ce qui s’est passé, enfin presque. Elle fait son jogging, comme tous les matins, regarde son chronomètre. Elle est fière de son temps et également des têtes qui se retournent sur son passage. Des personnes sont au loin autour de l’étendue d’eau, en train de pêcher. Tout est calme. Elle s’arrête pour s’asseoir sur un banc à cause d’un caillou dans sa chaussure. Une piqure dans sa nuque, et les abysses l’étreignent.
Martin et Suzanne se regardent à nouveau, comprennent qu’ils ne sont aucunement dans un cauchemar. Tout est bien trop réel.
Une porte grince, claque, grince à nouveau.
Un soupir, un souffle caresse l’arrière de leur tête. Des mains trifouillent leurs cheveux. Un baiser, une langue râpeuse lèche leurs oreilles. Ils suent de plus belle, le cœur tambourinant dans leur poitrine, à la limite de la crise cardiaque alors que les araignées continuent de parcourir leur visage, tentent d’entrer dans leur bouche.
Une silhouette apparait devant Martin et Suzanne, s’assoit sur la chaise vide, un verre de vin dans la main. C’est un homme ou peut-être une femme, ils ne peuvent pas le dire, un masque cache ses traits. Un masque blanc, la bouche entourée de sang et les yeux semblables à deux lacs noirs.
Martin et Suzanne hurlent à nouveau intérieurement, des larmes coulent. Ils ont tellement peur qu’ils se font dessus.
La voix qui s’élève est celle d’un homme. Le rire, celui d’un fou.
- Bonjour, mes poupées. On va bien s’amuser.
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