3. Je ne suis pas un monstre

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« Au collège, dit-elle, et elle n’est pas la seule à le penser, il manquait déjà quelque chose à Lol pour être - elle dit : là. […] Lol était drôle, moqueuse impénitente et très fine bien qu’une part d’elle-même eût toujours en allée loin de vous et de l’instant Où ? Dans le rêve adolescent ? Non, répond Tatiana, non, on aurait dit dans rien encore, justement, rien. Était-ce le cœur qui n’était pas là ? Tatiana aurait tendance à croire que c’était peut-être en effet le cœur de Lol V. Stein qui n’était pas – elle dit : là – il allait venir sans doute, mais elle, elle ne l’avait pas connu. Oui, il semblait que c’était cette région du sentiment qui, chez Lol, n’était pas pareille. »

Le ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras

« Mais je ne voulais déjà pas sortir avec des garçons avant de visiter les Limbes, et je n’en ai toujours pas envie maintenant. Je ne veux pas. Je ne peux pas. […] Je ne veux pas non plus sortir avec des filles. Je ne veux sortir avec personne. Bien sûr, les gens sont beaux, et j’aime regarder les belles choses, mais je n’ai pas envie de sortir avec un tableau. »

Les portes perdues, Seanan Mc Guire

Asexualité : fait de ne pas ressentir d’attirance sexuelle. Désintérêt pour le sexe, absence de désir ou de besoin pour la chose. Elle concernerait 1% de la population mondiale, bien que ces données pourraient être sous-estimées.

Je n’ai plus honte à l’avouer, je ne m’y connais pas grand-chose à l’amour, si ce n’est rien. Enfin, l’amour avec le grand A. Parce que, autrement, j’en connais un rayon sur l’affection qu’on se porte en famille. Croyez-moi.

Je n’ai pas une pléthore d’exs. Si l’on excepte une brève amourette de primaire (il m’avait offert une bague issue d’un distributeur de boules en plastique, n’est-il pas mignon ?), je n’ai eu qu’une seule relation. À l’âge de 19 ans. Et c’est tout. Et c’est largement suffisant pour ma part. C’est moi qui m’investissais le plus, à faire des allers-retours entre ma maison et la sienne, pour finalement passer nos après-midis à se mater des films en amoureux. J’ai commencé à flairer l’anguille sous la roche mais elle s’est vite révélée fluo sous mes yeux : un jour mon copain m’avait téléphoné du hall d’accueil de la bibliothèque où je furetais en petit rat avide de mes lectures hebdomadaires : il ne pouvait pas entrer parce qu’il n’avait pas d’argent pour avoir accès aux rayons. Monsieur n’avait jamais mis le pied dans une bibliothèque. Là, j’ai commencé à me dire que ça n’allait pas le faire. Et puis comment dire…, je ne ressentais rien en sa compagnie. Mais alors strictement rien du tout. Je me sentais mal à l’aise sous ses étreintes, l’assaut de ses caresses. Quant à ses baisers… Non mais vraiment, ça a l’air romantique comme ça et tout et tout mais au-delà des baisers « chastes », faut avouer que je trouvais ça immonde. D’un point de vue hygiénique, des langues qui s’entremêlent comme les lames d’un mixeur me dégoûtaient, en plus de me désespérer parce que je ne savais pas tourner la mienne. Oui, je ne sais pas embrasser. Et le pire, c’est que je me désespérais de ne pas savoir faire un truc qui me rebutait. Niveau sentiments c’était la traversée du désert. Aucune émotion ne filtrait de moi quand il me serrait d’un peu trop près ou m’embrassait avidement. Je me pensais un monstre, et ce fut un soulagement quand il a fini par rompre avec moi pour ne pas nuire à sa future carrière. Soulagée parce que je n’aurais jamais eu le courage de le faire moi-même. Je pense que j’aurais été prête à me laisser piéger dans ce genre de relation infernale plutôt que de lui faire du mal ou de le blesser. Quand il a fait volteface pour se remettre à la colle avec moi, j’ai refusé. Quand-même. J’avais un prétexte parfait pour ne pas retomber dans le panneau.

Il y avait aussi l’amour que se porte mes parents, un modèle à suivre, peut-être un rien de pression distillée. Et dans la plupart des couples, qui dit amour dit… Dans une maison de campagne mal isolée, même à l’âge adulte, je n’osais pas regarder ma mère en face, aux petits déjeuners de vacances. Ma chambre est au-dessus de la leur, raccordée de surcroît par le tuyau de cheminée, si bien que parfois je n’en perdais pas une miette quand bien même je l’aurais voulu. Ce n’est pas qu’ils n’étaient pas discrets mais le fait même d’imaginer mes parents en train de « le faire » me répugnait. Je me pensais immature, et cette répulsion m’accablait.

Enfant, je ne m’étais jamais intéressée à l’acte de faire les bébés. Adulte, je n’avais pas d’intérêt pour la pratique ou tout ce qui relevait de la sexualité. Je ne connaissais rien à la masturbation. Pire, je pensais que c’était juste un fantasme relayé par des bouquins ou des films tordus. Pour moi, ça n’existait pas réellement. Je suis tombée des nues à 25 ou 26 ans, quand des amies de boulot se sont foutues de ma gueule pour n’avoir jamais expérimenté la chose. Désolée, mais je ne le fais pas. Je n’en ressens pas le besoin et ça ne me fait rien. Et désolée si je dois le dire mais je trouve ça proprement dégueulasse de penser à le faire avec un pommeau de douche. Je me pensais excessivement prude.

J’ai été Dame de compagnie un temps. J’ai vraiment fait plein de boulots différents. Quand la dame dont je m’occupais m’a tout simplement dit qu’elle ne comprenait pas pourquoi je n’envisageais pas le mariage ou même entamer une relation, elle m’a tout simplement fait comprendre que je n’étais pas normale.

Je me croyais un monstre parce que je ne trouve rien d’excitant à m’extasier sur un cul (ou même une poitrine, hein.)

Dans une société hyper-sexualisée, je ne suis pas à l’aise pas quand mes hauts ne couvrent pas mes fesses ou à l’idée qu’on puisse devenir les contours de ma culotte. Je ne mets jamais de débardeur car je n’aime pas l’idée de dévoiler les bretelles de mon soutien-gorge. Je bloque sur les t-shirts trop moulants qui montrent ma poitrine, ou même à la pensée qu’on puisse la deviner, ma poitrine pourtant quasiment inexistante en comparaison. Ce qui agace ma mère : évidemment que j’ai une poitrine ! J’étais bizarre selon elle parce que je détestais le shopping et je ne pensais pas à m’apprêter. Enfin, bien sûr que je voulais être jolie, mais je n’aime pas l’idée de m’y adonner. Je ne voyais pas l’intérêt d’en faire tout un plat, moi qui stresse déjà pour un rien. Je ne sais toujours pas m’habiller.

À la plage, je préfère les maillots une pièce. D’accord je suis complexée (pas forcément sur mon physique même, mais surtout sur moi). Et je n’aime pas montrer mon corps. Ce n’est pas de la pudeur. Je sentais que ce malaise insidieusement malsain était plus subtil et remontait bien plus loin.

Je n’ai découvert le concept d’asexualité que très très tardivement et ce fut une révélation.

Je ne suis pas un monstre. Je suis différente, mais contrairement à ce qu’on avait cherché à me faire croire, je ne suis pas la seule. Et c’est réconfortant, bien entendu. On en parle trop peu au fond, ne serait-ce que dans les fictions (je veux en profiter pour souligner le très bon Plus sans toi de @Sherlock Momo@ sur ce site qui aborde entre autres le sujet) ; et on ne conçoit pas qu’on ne puisse pas tomber amoureux ou ne pas être en couple.

Je suis vierge, et dans notre société, c’est inconcevable à mon âge. Je suis la vieille fille par excellence. Et alors ? je ne suis ni à blâmer ni à applaudir pour être la reine des prudes. Je cherche à être moi comme tout un chacun.

Pour mes parents, cette définition n’existe pas. Ou ce n’est qu’une tocade éphémère, une étiquette dans laquelle je cherche à me fondre par prétexte pour ne pas faire d’efforts. Pour eux, je n’ai simplement pas trouvé le bon. Ou la bonne. Que je fréquente une fille serait même un soulagement. Ils essaient plus ou moins de m’encourager et c’est tellement désespéré qu’au fil des ans ils étaient prêts à me caser avec n’importe qui, du flûtiste d’un orchestre estival, à l’ami de ma petite sœur, en passant par le porteur de la flamme avec qui je devais poser en train de le bécoter pour les rassurer par selfie (véridique, merci Papa.).

Ils ont juste peur que je finisse seule dévorée par les chats. Ils ne prennent pas ma découverte, mon affirmation au sérieux, et la bague noire que j’ai fini par porter quotidiennement au majeur ne les intéresse pas.

Je ne me serais jamais doutée que j’appartenais au spectre LGBTQIA+, m’incarnant dans le A des Aces, mais je m’y englobe maintenant, sans que cela définisse ma personnalité. Cela me rappelle juste que je ne suis pas seule et que j’ai droit d’être moi. Je suis Ace et je ne sais pas encore mon orientation amoureuse. Il est vrai que j’ai ce que mes petites sœurs qualifieraient de crushs, mais essentiellement basés sur des principes de beauté que je jugerais classiques. Et ces dernières années, je me suis rendue compte que j’étais plus attirée par le visage des femmes que des hommes. J’ai même eu récemment un crush prolongé sur une de mes collègues, crush qui relevait plus de la fascination. Avec le recul, je pense que j’étais attirée par l’image qu’elle me renvoyait, tellement féminine et à l’image de ce que mes parents auraient voulu que je sois. Eux qui m’offraient bijoux et coffrets de maquillages sur coffrets de maquillage sans que j’y aperçoive le moindre intérêt. Et je l’ai déjà dit dans un autre de mes textes.

J’aime les détails, les traits d’un visage, la complexité scintillante de teintes d’yeux multicolores, ou une gentillesse qu’on m’adresse : sans blague je peux m’enflammer (j’adore les gens gentils, c’est tellement rare en cette saison XD). Oui, j’aimerais être comme les autres et en couple. Mais c’est sur un tableau, dans des scènes romantiques. Le côté pratique et quotidien ne me dit rien. Je suis une romantique dans l’âme, je n’ai rien contre les comédies romantiques et les grandes déclarations d’amour m’attirent parfois souvent le grand frisson. Mais je ne peux me concevoir dans ce genre de relation, je suis mal à l’aise, je me dérobe au-delà du « ils vécurent heureux ». Ce n’est pas de la timidité.

Je suis aromantique ou lesbienne. Ou alors je ne suis pas plus l’une que l’autre. Je m'en fous. J’attends.

Les aroaces sont réputés pour ne pas avoir de sentiments, ce qui est on ne peut plus faux (seulement les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas). J’ai des sentiments, des émotions. Seulement en moi elles sont cachées parce que je m’enfouis. Mais me découvrir à présent, découvrir un autre aspect de moi m’aide à les tirer de leurs tréfonds.

J’attends. Je ne suis pas un monstre.

Je ne vais pas me torturer, mais me laisser porter. Si le bon, la bonne, ou un cadeau imprévu du ciel m’arrive, qu’il vienne. Qui vivra verra.

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