4. De curieux étrangers
Onyx s’était faufilé à l’extérieur de son logis très tôt avant l’aube. Il se promenait dans les rues, afin d’atteindre son lieu de repos favoris : une vieille tour. Il y grimpa par les marches incrustées dans la façade, certaines d’entre elles étaient manquantes. Mais ça ne l’empêchait pas d’accéder à son but.
Dans haut, il avait une vue imprenable sur toute la cité, et une grande partie du désert. Il s’asseyait sur le bord, les jambes pendant dans le vide. C’était son lieu favori pour admirer le lever du jour, lorsque les rayons perçaient la noirceur de la nuit. C’est ligne orangée qui colorait le sable et atteignait les remparts de la ville après quelques minutes d’attentes.
Il savait qu’il ne serait pas dérangé. La tour était inhabitée, inutilisée, servant simplement à donner l’heure à la cité. C’était un lieu où il avait apprécié passer du temps avec sa grand-mère. Elle lui racontait des histoires sur ce monde, sa création et sa fin, ainsi que les divinités qui les avaient protégés d’Erebun.
Il se souvint d’une discussion qu’ils avaient eue lorsqu’il était jeune. Lui et sa grand-mère étaient assis au même endroit, à contempler l’horizon. Beaucoup de questions trottaient dans sa tête, et il savait que sa grand-mère y répondrait.
— Ama, comment a été créé notre monde ?
— Il a été conçu par deux déesses, Etsy et sa sœur Zakka. Après la création d’Angorra, elles l’ont divisé en quatre royaumes distincts.
— Ce sont les statues dans le khanqah ?
— Oui, elles sont représentées dans les lieux de prières, et dans certaines villes.
— Elles sont ou aujourd’hui ?
Sa grand-mère avait posé son regard sur lui, elle se questionnait personnellement pour savoir si cet enfant comprendrait l’histoire profonde de leur monde.
— Elles se sont battues contre Erebun, et ont disparu.
— Erebun ?
— C’est une force maléfique qui s’est réveillée pour s’emparer de toute bonne chose dans les royaumes.
— Mais il n’existe plus, hein ?
— Personne ne le sait. Les déesses ont uni leurs forces pour la détruire, mais leurs pouvoirs étaient trop puissants, et cela détruisit tout. Les villes alentour, Erebun, et elles.
— Alors, elles n’existent plus…
La voix de l’enfant était triste, sa tête se baissa vers ses mains, il triturait ses doigts.
— Non, mais elles continuent de veiller sur nous.
— Comment ?
— Elles nous regardent, dans le ciel, à travers les étoiles.
Leurs regards se levèrent vers le firmament. Les yeux d’Onyx s’ouvrirent en grand, émerveillé par la Voie lactée et ses couleurs magnifiques. Ama le regardait avec attention et amour.
— Alors, elles sont là pour nous protéger !
— Oui, elles te protégeront. Quoi qu’il arrive.
— Mais après, leur magie a disparu elle aussi ?
— On raconte que leurs pouvoirs se sont fragmentés et se serait caché dans des pierres. Une fois tous les fragments réunis, cela formerait la pierre Apeciiz.
— A-pe-ciiz…
Le garçon répétait ces mots, pour les retenir. Mais la vieille femme savait pertinemment qu’il allait oublier quelques-unes de ces informations le lendemain, et reviendrait vers elle pour lui poser les mêmes questions.
— Un jour, j’écrirais un livre sur notre histoire, pour que tu t’en souviennes toujours.
— J’ai hâte de le lire alors !
La voix enjouée de son petit-fils lui avait réchauffé le cœur. Elle l’avait pris dans ses bras, le posant sur ses genoux, afin de contempler l’horizon.
— Apeciiz…
Onyx souffla ce nom qu’il n’avait pu oublier. Ama avait écrit ce livre, et le lui avait offert à son dix-huitième anniversaire. Il l’avait dévoré en une nuit, allongé dans cette tour, Sarshall a ses côtés, témoins de sa curiosité. Onyx soupira une nouvelle fois, une douleur oppressait sa poitrine. La perte de sa grand-mère était encore douloureuse, bien que plusieurs jours se soient écoulés depuis la cérémonie.
Le jeune homme se trouvait assis là lorsqu’il aperçut un groupe de cavalier galoper vers sa ville. Il s’agissait d’un groupe de trois cavaliers, les Elkhorns qu’ils chevauchaient semblaient avoir été créées par Erebun en personne. C’était des herbivores semblables aux chevaux, quoi que plus imposantes par la présence de deux paires de cornes. L’une était droite, montant vers le ciel. L’autre se tournait vers l’avant du crâne. Leurs pelages cendrés ne rassuraient pas les habitants de la cité, qui s’écartaient à leurs passages dans les rues.
La raison ne pouvait pas prendre le dessus sur la curiosité dévorante d’Onyx. Il se releva pour descendre du tour, et se mit à courir en suivant le chemin des étrangers. Ces derniers s’arrêtèrent aux alentours de la place centrale, où se tenait le bazar hebdomadaire de la ville.
Ils descendirent de leurs montures et se dirigèrent vers le marché monté sur une petite place ouverte, arpentant ses allées en silence. Les habitants de la ville les regardaient d’un mauvais œil, se méfiant des étrangers ainsi vêtus.
Le jeune homme les observait de loin, il prenait des allées parallèles, ne les quittant pas du regard. Le trio s’arrêta soudainement à un établi, tournant le dos au garçon. Mais il n’allait pas les laisser ainsi, il avait un pressentiment. Il sentait le besoin de les suivre.
Il s’assit sur un muret et les regarda. Le grand marché lunaire avait pris fin il y a plusieurs jours déjà, mais les marchands de Tenerice participaient au souk hebdomadaire, en prenant place dans les différentes places de la cité.
Le bazar n’était pas très grand, une quinzaine d’établis étaient montés en formant un carré, dont le centre était occupé par une fontaine. Là, les enfants jouaient tandis que les adultes faisaient leurs affaires. La place regorgeait de mets délicieux, d’odeur enivrante et de couleur vivante. Le brouhaha s’élevait dans une grande partie de la cité, c’était un évènement qui rassemblait les gens.
Onyx était assis proche d’un groupe de marchands qui discutaient entre eux, et remarquèrent sa présence quelques minutes après son arrivée.
— Bonjour Onyx.
— Bonjour Hamil.
— Que fais-tu donc ici de si bon matin ?
— Je… Je venais prendre l’air.
Le plus vieux sourit. Hamil était le boucher principal de Tenerice. Il connaissait son métier comme personne, et proposait une variété de viande impressionnante. Ama aimait venir ici prendre se fournir.
Onyx se souvenait d'un jour de son enfance, ou Ama l'avait emmené pour la première fois sur le marché. Trop curieux, il s'était éloigné de la matriarche, et avait fini par se perdre dans la foule. Il essayait de retrouver sa grand-mère en demandant de l'aide aux passants, mais personne ne pouvait lui indiquer la direction à prendre.
C'est un garçon d'à peu près son âge qui s'était approché de lui pour l'aiguiller. Les deux enfants avaient traversé le souk, main dans la main, jusqu’à rejoindre Ama. Cette dernière avait été surprise de voir son petit-fils guider par un orphelin, mais avait remercié l’enfant. Onyx était devenu ami avec ce garçon, même si ce dernier n’était pas apprécié par les habitants de la cité.
— Tu as meilleure mine.
Le garçon sort de ses pensées et sourit en reconnaissant la tendre voix d’Haya, une jeune femme collectionneuse d’objet en tout genre. Elle effectuait des accords avec les caravanes de voyageurs, en leur confiant des quêtes a effectué durant leurs voyages, pour lui ramener des pierres, des armes, des livres.
Elle était une très bonne amie d’Ama, elles avaient beaucoup voyagé ensemble dans leurs jeunesses. Et Onyx l’appréciait pour ses connaissances, et le fait qu’elle ne le voyait pas comme un enfant, mais bien un jeune adulte.
— Dites-moi, est-ce que vous connaissez les étrangers qui sont là-bas ?
Il désigna les trois inconnus d’un coup de menton afin de rester discret.
— Reste en éloigner.
La voix dure qui retentissait jusqu’à ses oreilles le fit grogner de défiance. Il connaissait Jariq depuis longtemps, mais ne l’appréciait pas pour autant. Il était garde de la cité dans sa jeunesse, maintenant à la retraite. Il n’avait jamais réellement aimé Onyx, malgré le respect qu’il portait pour Ama. Et le jeune homme n’avait jamais compris pourquoi.
— Je ne fais que demander, je ne comptais pas m’en approcher.
Il tourna de nouveau le regard vers les inconnus, qui semblaient négocier avec le marchand. C’était un marchand d’armes et un informateur de la citer. Contre une somme raisonnable d’argent, il pouvait se procurer des renseignements sur n’importe qui ou n’importe quoi. Onyx se demandait bien ce qui les avait amenés aussi loin dans le désert de Rui Wang et qu’elle genre d’informations ces hommes pouvaient demander au marchand.
L’un des étrangers pivota pour observer le marché, ses yeux croisèrent ceux du garçon. Son souffle se coupa lorsqu’il aperçut ces iris sanguins et la balafre qui fendait les lèvres de l’homme. Il dévia rapidement le regard, soudainement intimidé.
— Dites, sauriez-vous qui sait encore lire les vieilles langues ?
Sa question interrompue les quelques marchands autour de lui, qui le regardaient avec interrogations.
— Ils ne sont plus beaucoup, mais la plupart d’entre eux se trouvent dans les grandes villes d’Angorra.
La réponse d’Haya n’arrangeait pas le jeune homme. Il ne comptait pas partir bien loin pour déchiffrer le livre qu’il avait acheté.
— Il y a un vieux sage qui vit en ermite dans des grottes, à l’ouest. Lui répondit Hamil.
— Ou précisément ?
— Il me semble qu’il s’agit des grottes de Gediminas Einikis, à deux jours de cheval.
— Oh ! Tu parles de Xeno.
Hamil et Haya commencèrent à discuter sur ce dénommé Xeno, mais l’attention du jeune homme s’était à nouveau tourné vers les étrangers, qui semblaient avoir fini de négocier, et s’éloignait du souk par une ruelle.
Il eut l’envie de les suivre, mais le regard noir de Jariq l’en dissuada rapidement. Il soupira, et écouta la conversation enjouée qu’avaient les deux plus jeunes marchands. Il ramena un genou proche de son buste et y déposa son menton, ennuyé.
Il regardait les enfants joués autour de la fontaine, prenant de l’eau dans leurs mains pour la jeter sur les autres. Il aimait l’animation qu’offrait le bazar, l’odeur délicieuse des différentes épices lui chatouillait les narines. Les couleurs des tissus de certains établis l’éblouissaient de leurs vivacités, et les voix qui se chevauchaient lui donnait parfois mal à la tête. Mais c’était le caractère festif du marché, et il aimait ça.
— Puis-je savoir pourquoi tu nous demandes ça ?
— Par curiosité.
Le regard malicieux d’Haya lui fit comprendre qu’elle ne le croyait pas.
— Toi, tu as encore volé un ouvrage à Kadir.
Son ton était accusateur et espiègle. Elle ne le réprimandait pas, elle avait l’habitude de son indiscrétion, et s’en jouait avec joie. Mais ce n’était pas la vérité, Onyx n’avait pas emprunté de livre au prêtre, il en avait acheté un. Néanmoins, il décida de ne pas le leur dire.
— Ce n’est pas voler, c’est emprunter.
— Ne joue pas sur les mots.
Il sourit, Hamil ricana dans sa barbe avant de se remettre à son travail.
— Je ne suis pas sûr que les gardes te laissent partir seul à Gediminas Einikis.
— Pourquoi ?
— Le désert regorge de danger. Tu es jeune et inexpérimenté dans les voyages à travers cette contrée. Même un voyage de deux jours s’avèrerait dangereux pour toi.
Il ne pouvait pas démentir les dires d’Haya, elle qui avait tant voyagé.
— Je ne comptais pas sortir de la cité maintenant. Mais un jour peut-être.
— Apprends d’abord à grandir et à faire des choix, on verra après.
La voix cassante de Jariq le faisait bouillonner. Cet homme ne l’aimait pas, et lui non plus. Bien qu’il s’agît d’un ancien, Onyx n’avais que très peu de respect pour lui. Il préférait le confronté que de le fuir, ce que peu de jeunes tenericiens parvenait à faire.
— Ce n’est pas en restant assis ici que j’apprendrais des choses, c’est une certitude.
— Ne t’avise pas de sortir de la cité jeune homme.
Onyx se leva sur le muret, puis jeta un regard méprisant au vieil homme, sous les regards tendus des marchands.
— Vous n’êtes pas mon père, je n’ai aucun ordre à recevoir de vous.
— Onyx !
Il ne prit pas en compte l’avertissement de Hamil, préférant descendre derrière le muret, disparaissant au détour d’une rue. Les marchands soupiraient face à son comportement.
— Vous ne pouvez pas vous en empêcher.
La voix d’Haya était méprisante. Malgré le respect qu’elle devait avoir envers l’ancien, elle prenait souvent la défense du garçon, en souvenir de son amie.
— Ce n’est qu’un enfant empoté, inconscient du danger, ignorant tout de ce monde.
— Si vous le laissiez faire ce qu’il veut, peut-être arrivera-t-il à grandir. Mais ce n’est pas en le rabaissant ainsi qu’il y parviendra.
Elle prit deux caisses posées sur son établie et quitta le marché pour retourner dans sa boutique, laissant le reste des marchands dans un silence pesant. Tous connaissaient Onyx grâce à sa grand-mère. Certains l’avaient vu grandir, d’autres lui avaient appris ce qu’ils connaissaient. Ils ne pouvaient pas s’énerver contre lui, il l’appréciait énormément pour cela.
Chacun retourna à son travail en laissant cette discussion en suspens. Onyx resta assis contre le mur pendant de longues minutes, ayant écouté silencieusement la courte discussion des plus vieux. Il serra les poings, une étrange sensation se formait dans sa poitrine, mélangée entre de la rancœur et de la contrariété.
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